Partie 6 (voir le frontispice) – Livre deuxième.
Gravure de la partie 6, livre 2.
Résumé de la séquence
Cyrus entreprend tout ce qui est possible pour parvenir à prendre Sardis. Entre autres mesures, il fait connaître l'oracle favorable qu'il a reçu de Venus Uranie. Son rival malheureux Mazare est désormais devenu son ami. A la suite de manœuvres militaires victorieuses, des prisonniers se soumettent de bonne grâce à Cyrus et lui livrent des informations sur le gouvernement de la ville convoitée.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 76 : Nouveaux plans pour l'attaque de Sardis – 4 min.
Cyrus ne songe qu'à une seule chose : retrouver Mandane par tous les moyens. Il continue à échafauder des plans pour la prise de Sardis. Cependant, le roi d'Assirie se montre toujours aussi impétueux : n'était la tempérance de Mazare, le duel entre Cyrus et son rival aurait lieu avant le terme convenu, qui est la libération de Mandane. Pour tempérer les revendications de son rival, Cyrus lui fait part de l'oracle de Venus Uranie qui, contredisant celui de Jupiter Belus, anéantit ses espoirs. En rendant public cette prédiction, Cyrus souhaite également redonner du courage à ses hommes.
Lire l'épisode ⬇p. 291Cyrus ne fut pas plus tost esveillé, qu'il donna toutes ses pensées à chercher par quelle voye il pourroit se mettre en estat de n'avoir plus besoin de la faveur du sommeil et des songes, pour jouïr de la veuë de Mandane : mais comme il ne le pouvoit sans prendre Sardis, la prise de cette fameuse Ville fut l'objet de tous ses souhaits. Jamais ce Prince n'avoit si ardamment desiré de vaincre qu'en cette occasion : aussi n'oublia t'il rien de tout ce qui pouvoit avancer son dessein : et il exposa tant de fois sa vie durant ce Siege, que si la Fortune n'eust eu autant de soin de le conserver qu'il en avoit peu, ses Rivaux eussent triomphé de son malheur, et n'eussent plus eu qu'à se combatre p. 292entre eux. Mais ce Prince estoit trop puissamment protegé du Ciel, pour succomber en une guerre si juste : quoy qu'il en parust souvent estre abandonné, à ceux qui jugeoient des choses par les aparences : et qui ne consideroient pas, que les secrets de la Puissance Souveraine sont impenetrables. Cependant cette petite Tréve, que l'on avoit faite pour retirer les morts de tous les deux Partis, estant finie, les attaquans et les attaquez, recommencerent chacun de leur costé, à faire tous leurs efforts, pour arriver à leur fin. Cyrus entreprit de faire un autre Logement sur la Contr'escarpe du Fossé, à l'oposite de celuy qu'il y avoit desja fait, le jour de l'assaut qu'il avoit donné à cette Place : afin que lors qu'il en donneroit un second, cela facilitast son dessein ; qu'il eust deux endroits du Fossé, dont il fust desja le Maistre ; et qu'ainsi il pust aller d'abord à l'escalade par deux lieux differens, sans perdre de beaucoup de monde. Il ne fit pourtant pas la chose sans tenir Conseil de Guerre : mais comme ce Prince ne proposoit jamais rien qui ne fust tres judicieusement pensé, et tres avantageux à la cause commune ; ses Amis et ses Rivaux estoient contraints d'approuver toûjours tout ce qu'il disoit. Le Roy d'Assirie disputoit neantmoins quelques-fois par pure opiniastreté : et si la sagesse de Mazare n'eust en quelque façon temperé la violence du Roy d'Assirie, peut-estre que le combat de Cyrus et de luy se fust fait devant la fin de la guerre : et par consequent devant que Mandane fust en liberté : p. 293qui estoit le terme où Cyrus, du temps qu'il n'estoit qu'Artamene, avoit promis à ce Roy de remettre encore au hazard par un combat singulier, ce qu'il avoit si bien aquis, et si justement merité par tant de Combats generaux ; par tant de prises de Villes ; par tant de Provinces conquises, et de Royaumes ; et par le gain de tant de Batailles. Il est vray que tous les Amis de Cyrus, avoient un soin extréme de les observer soigneusement : et plus vray encore, que Cyrus luy mesme avoit quelquesfois pitié de ce Prince, qui avoit sans doute d'excellentes qualitez. Car lors qu'il venoit à penser, que le Roy d'Assirie avoit perdu un grand Royaume, et la premiere Ville du monde ; qu'il estoit contraint par sa passion, de servir dans l'Armée de son Vainqueur, de son Rival, et de son ennemy tout ensemble ; et qu'il estoit dans la certitude d'estre haï de Mandane ; il excusoit une partie de ses chagrins : remettant à se vanger de luy, lors qu'il le pourroit faire equitablement et avec honneur, apres avoir delivré cette Princesse. Il voulut toutesfois luy donner une nouvelle inquietude, en faisant qu'il sçeust ce que l'Oracle de Venus Uranie avoit dit à son advantage : afin qu'il n'esperast plus tant en celuy de Jupiter Belus, qu'il avoit reçeu à Babilone. L'envie d'oster l'esperance à un Rival, ne fut pourtant pas la seule raison qui porta Cyrus à vouloir que cét Oracle fust publié : car comme il n'avoit pas voulu qu'on fist sçavoir à personne la funeste p. 294responce que la Sibille luy avoit envoyé par Ortalque, de peur que les Soldats ne s'en espouventassent : il voulut au contraire, qu'ils sçeussent ce que l'Oracle avoit dit de luy, afin qu'ils prissent une nouvelle confiance et un nouveau coeur, et qu'ils en combattissent mieux : sçachant bien que l'esperance de la victoire, parmy les Gens de guerre, est un grand acheminement à la r'emporter. Mais comme il estoit tres modeste, s'il eust creû pouvoir sans prophanation changer quelque chose à l'Oracle des Dieux, il auroit prié Megaside et Leontidas, d'oster de celuy de Venus Uranie, les loüanges qui s'y trouvoient pour luy : et de ne dire que ce qui regardoit la fin de ses malheurs. Car encore que cet Oracle ne dist pas positivement que Cyrus prendroit Sardis ; delivreroit Mandane ; et vaincroit tous ses Rivaux ; il estoit pourtant aisé de concevoir, que puis qu'il devoit estre heureux, il falloit que toutes ces choses arrivassent : estant certain qu'il ne le pouvoit jamais estre sans Mandane, et qu'il ne pouvoit avoir Mandane, sans avoir vaincu ses Rivaux et ses Ennemis : Joint aussi qu'il falloit de necessité, avoir r'emporté la victoire, devant que de posseder cette Princesse. Cét Oracle ne fut donc pas plustost publié, et par Megaside, et principalement par Leontidas, qui connoissoit tous les Chefs de l'Armée, qu'il produisit l'effet que Cyrus en avoit attendu ; une nouvelle allegresse se respandit dans toutes ses Troupes, et un nouveau chagrin s'empara du coeur du Roy d'Assirie. Cette p. 295grande esperance qu'il avoit tousjours euë aux promesses de Jupiter Belus, commença de diminuer, par la crainte qu'il eut que Venus Uranie ne se fust expliquée plus precisément en Chipre, que Jupiter n'avoit fait à Babilone : mais comme il croyoit bien que les murmures faits contre les Dieux qu'il adoroit, n'eussent fait que les irriter, il ne s'en prist point à eux : et il s'en prit à Cyrus, pour qui il eut encore plus de haine, quoy qu'il n'eust pas moins d'estime.
Épisode 77 : L'amitié de Mazare – 2 min.
Mazare a abandonné tout espoir de posséder un jour Mandane. Il est désormais résigné à être malheureux. Par conséquent, ses aspirations se limitent désormais à partager la gloire militaire de Cyrus. Les deux hommes se lient d'amitié, chacun plaignant le malheur de l'autre. Toutefois, Cyrus cache à Mazare la jalousie de Mandane, afin qu'il ne nourrisse pas de faux espoirs.
Lire l'épisode ⬇Pour Mazare, comme il s'estoit determiné absolument, à estre malheureux ; et qu'excepté quelques instans, où son amour faisoit encore quelques efforts pour surmonter sa raison, il n'avoit aucune esperance, que celle de partager avec Cyrus le peril et la gloire qu'il auroit à delivrer Mandane ; les promesses que les Dieux avoient faites à Cyrus, ou au Roy d'Assirie, ne faisoient pas extrémement redoubler ses maux. Il est vray qu'il estoit tousjours si malheureux, qu'il eust esté difficile que la Fortune eust pû estre assez ingenieuse, pour les pouvoir accroistre : mais comme il n'estoit pas moins sage qu'il estoit affligé ; et qu'il n'avoit pas moins de generosité que de sagesse ; Cyrus vingt à l'estimer extraordinairement, et à lier mesme quelque espece de societé aveque luy. Ils se plaignoient esgalement l'un à l'autre, de l'humeur violente du Roy d'Assirie : et s'accoustumerent enfin si bien à avoir de la civilité et de la defference l'un pour l'autre, qu'ils vinrent non seulement à s estimer (car ils ne se pouvoient pas connoistre p. 296sans cela) mais encore à se pleindre, et à se juger tous deux dignes de Mandane. Ils n'en parloient pourtant jamais qu'en souspirant : et lors qu'ils alloient ensemble de Quartier en Quartier, visiter tous les divers Postes que Cyrus faisoit garder sur les advenuës de Sardis, Mandane estoit l'objet de tous leurs discours : si ce n'estoit lors qu'ils estoient obligez de parler de ce qui regardoit le Siege. Que vous estes heureux ! luy disoit quelquesfois Mazare, non seulement de ce que vous estes aimé de la plus admirable Princesse du monde ; mais encore de ce que vous n'avez jamais rien fait qui luy ait pû desplaire : et qu'au contraire vous l'avez servie, et servie importamment en mille et mille rencontres. Eh plust aux Dieux, s'escrioit il, que puis que mon destin estoit que j'en deusse estre haï, je le fusse du moins avec injustice ! et que je n'eusse pas à me reprocher à moy mesme, d'avoir merité sa haine, par la tromperie que je luy fis, en l'enlevant de Sinope. Il y a quelque chose de si amoureux ; de si sage ; et de si genereux tout ensemble, à ce que vous dittes, repliqua Cyrus, que je ne voudrois pas que ma Princesse l'eust entendu. Non non, Seigneur, reprenoit tristement Mazare, ne craignez rien du costé de la Princesse Mandane : car puis qu'elle a mesprisé le Roy d'Assirie pour vous ; qu'elle a mieux aimé voir toute l'Asie en armes, que de vous estre infidelle ; qu'elle esté insensible aux soumissions du Roy de Pont ; et qu'elle m'a mesme assez haï, pour refuser la liberté p. 297que j'ay voulu luy rendre ; vous devez estre persuadé, que rien ne changera jamais le coeur de cette Princesse. Pendant que Mazare parloit ainsi, Cyrus l'escoutoit en souspirant, voyant qu'il estoit bien moins heureux qu'il ne le croyoit : il ne voulut portant pas luy dire en quels termes il en estoit avec Mandane : de peur de faire renaistre l'esperance dans le coeur de ce genereux Rival, et de r'allumer un feu, qui n'estoit pas tout à fait esteint.
Épisode 78 : Des prisonniers lydiens livrent des informations à Cyrus – 2 min.
Le combat reprend, conformément aux plans de Cyrus. L'inconnu Anaxaris y fait montre d'un grand courage. Araspe, désespéré depuis la mort de Panthée, est blessé. Néanmoins, l'avantage de la bataille échoit finalement à Cyrus. Des prisonniers lui apprennent que Cresus a perdu tout pouvoir dans la citadelle, au bénéfice du roi de Pont. La présence, dans la ville, d'une dame accompagnée d'un homme nommé Heracleon est également évoquée.
Lire l'épisode ⬇Cependant Cyrus se mit en estat de faire le Logement qui avoit esté resolu au Conseil de guerre : mais il ne le fit pas sans peine : car le Roy de Pont, qui en connoissoit l'importance, s'y opposa par trois sortiez qu'il fit faire en mesme temps. Neantmoins comme Cyrus sçavoit bien qu'un des grands secrets de la guerre, est de n'abandonner pas son premier dessein pour en prendre un autre ; parce que les ordres d'improviste ne sont jamais si sagement donnez, ny si ponctuellement executez : que ceux qui ont esté donnez aveque loisir ; il voulut que tout ce qu'il avoit commandé pour faire ce Logement s'executast, comme s'il n'y eust point eu de combat ailleurs. Car comme son Armée estoit fort nombreuse, il jugeoit bien que quelques sorties que pussent faire les Ennemis, il luy seroit aisé de les repousser : et comme il jugeoit bien encore que le grand effort des assiegez se feroit au lieu où il vouloit faire ce Logement, ce fut là qu'il voulut estre. Les Rois d'Assirie, de Phrigie, et d'Hircanie, et tous les autres Princes, estant chacun à leur Poste, l'Inconnu p. 298Anaxaris, combatit encore ce jour là aupres de Cyrus : luy semblant que sa valeur estoit assez dignement recompensée, quand cét illustre Heros en avoit esté le tesmoin. Aussi faut il advoüer, que si les loüanges de Cyrus estoient un digne prix des actions d'Anaxaris, les actions d'Anaxaris, estoient aussi dignes des loüanges de Cyrus. Mais entre toutes les occasions ou il se signala durant ce Siege, celle de ce Logement fut une des plus remarquables : car il y fit des choses qui ne pouvoient estre surpassées, que par la valeur de Cyrus seulement : qui fit sans doute en cette rencontre, ce qu'on ne sçauroit redire, sans se rendre suspect de mensonge. Vingt fois il fut repoussé par les Ennemis ; et vingt fois il les repoussa, et les mena battant jusques dans leurs Postes. Il perdit et regagna pour le moins autant, l'endroit du Fossé où il vouloit faire son Logement : mais à la fin il lassa les Ennemis, et vint heureusement à bout de son dessein. Les sorties que les Assiegez avoient faites par les autres costez, ne leur avoient guere mieux reüssi : ce n'est pas que Cyrus n'eust perdu quelques Soldats, mais ce n'estoit rien en comparaison de ceux que les Ennemis avoient perdus. Il est vray qu'Araspe, qui depuis la mort de Panthée, n'avoit fait que se plaindre et souspirer, fut blessé en cette occasion : où il combatit plustost pour mourir que pour vaincre. Son dessein ne reüssit pourtant pas : car la blessure qu'il reçeut n'estoit pas dangereuse : et servit plustost à conserver sa vie qu'à p. 299la mettre en danger : estant certain qu'il fut à propos qu'il ne se trouvast point en estat de combatre une seconde fois, que sa douleur ne fust un peu diminuée, et que le temps ne l'eust consolé. Le Roy d'Assirie avoit aussi pensé estre tué en cette occasion : mais enfin l'advantage tout entier estoit demeuré à Cyrus : qui avoit fait le Logement qu'il vouloit faire ; qui avoit tué beaucoup de Lydiens, et fait assez bon nombre de Prisonniers. Il sçeut par quelques uns d'entr'eux, apres le combat finy, et lors qu'il fut retourné à sa Tente, où il se les fit amener ; que le Roy de Pont, pour amuser le Peuple, avoit fait dire qu'il venoit un grand secours de Thrace : que ceux de la Bactriane leur envoyoient aussi des Troupes : et que dans peu de temps il faudroit que Cyrus levast le Siege. Il sçeut encore, avec plus de certitude qu'auparavant, que Cresus n'avoit plus nul pouvoir dans la Citadelle : et que le Roy de Pont avoit si bien fait, qu'il estoit Maistre de tous les Gens de Guerre. Ces Prisonniers luy dirent aussi, que depuis quelques jours, il estoit entré une Dame dans la Citadelle, à qui le Roy de Pont avoit obligé Cresus de donner protection. Mais, interrompit Cyrus, une Dame peut elle estre entrée dans Sardis, depuis qu'il est environné de deux cens mille hommes ? Nullement Seigneur, reprit un de ces Prisonniers, mais c'est qu'il y avoit quelque temps qu'elle y estoit, sans estre connuë pour ce qu'elle est : car on assure qu'elle est d'une fort grande condition. Il y a aussi un p. 300homme apellé Heracleon (qui est celuy qui l'a fait connoistre au Roy de Pont) que l'on dit estre fort brave, et de grande qualité : qui promet qu'il fera venir du secours pour Cresus. On dit aussi, poursuivit il, qu'il y a desja quelque temps qu'il estoit caché dans Sardis : mais je ne puis vous bien esclaircir toute cette advanture : je sçay toutesfois que ce sont des Gens de grande qualité. En suitte de cela, Cyrus leur demanda toutes les choses qu'il creût necessaires de sçavoir : apres quoy il les fit retirer : la pluspart d'entre eux ayant pris party dans l'Armée de ce Prince.
Épisode 79 : Générosité de Cyrus – 2 min.
Le lendemain de la bataille, des députés de plusieurs peuples viennent jurer fidélité à Cyrus. Celui-ci les traite avec respect. Ils s'en retournent charmés, résolus de procéder chaque année à un sacrifice de remerciement en l'honneur de leur nouveau souverain. Ce dernier s'enquiert par ailleurs de la santé de ses amis Sesostris, Araminte, Cleonice et Doralise. Pendant qu'il s'acquitte de ses multiples tâches, il ne peut s'empêcher, d'être attristé par l'accusation d'infidélité de Mandane. Mais il apprend bientôt que les habitants de Sardis manquent de vivres. Cela pourrait occasionner une guerre civile qui rendrait la prise de la ville plus aisée.
Lire l'épisode ⬇Le jour suivant les Deputez dont Leontidas luy avoit parlé, arriverent au Camp, pour luy jurer une fidellité invioblable, de la part des Peuples qui les envoyoient. Il y en avoit de Gnide ; de Carie ; du Territoire de Xanthe ; et de Licie. Les Cauniens en avoient encore envoyé, aussi bien que les Milesiens, que Thrasibule voulut qui deputassent vers Cyrus, et en son nom, et au leur : de sorte qu'il sembloit que de tous costez, la Fortune le voulust favoriser. Et en effet, s'il n'eust eu que de l'ambition, et qu'il n'eust aimé que la gloire, il auroit eu sujet d'estre content : mais comme il avoit de l'amour, il ne sentoit pas tout ce qui ne luy faisoit point delivrer la Princesse. Aussi eust il donné sans repugnance toutes ses Conquestes, pour la seule liberté de Mandane ; cependant il reçeut tous ces Deputez avec beaucoup de douceur : et les traita avec une magnificence extréme. Il les assura de les proteger contre leurs p. 301ennemis : et de faire en sorte que Ciaxare les traiteroit comme s'ils estoient ses plus anciens et ses plus fidelles Sujets. Enfin ils furent tellement charmez de la douçeur de Cyrus, qu'il ne se rendit pas moins Maistre de leurs coeurs par sa bonté, qu'il s'estoit rendu Maistre de leur Pais par la force de ses Armes. Ce qui les surprit extrémement, fut de voir qu'un Prince de l'âge de Cyrus, fust instruit de toutes leurs Coustumes, et de toutes leurs Loix : et qu'il leur donnast des advis pour la conduite des affaires publiques, comme s'il eust toûjours esté parmy eux, et qu'il n'eust eu autre chose à faire qu'à les gouverner. Il leur parla à tous chacun en leur langue : et leur donna enfin tant d'admiration, qu'ils s'en retournerent non seulement charmez de sa bonne mine ; de son esprit ; de sa vertu ; et de sa bonté en particulier ; mais encore chargez de ses presens : et ce qui est le plus remarquable ; ils s'en allerent resolus d'obliger leurs Concitoyens, de faire une chose fort glorieuse à Cyrus, mais fort extraordinaire. Car au lieu qu'on voyoit certains Peuples qui faisoient tous les ans des Sacrifices pour remercier les Dieux de les avoir delivrez de quelque Domination estrangere : ils firent dessein, quand ils seroient retournez en leur Païs, de faire faire tous les ans à perpetuité, un Sacrifice de Remerciment, pour rendre graces aux Dieux, de les avoir mis sous la puissance de Cyrus. Cependant ce Prince pour donner plus de marques de confiance à des Peuples qui luy tesmoignoient p. 302tant d'affection, les confirma dans tous leurs Privileges ; ne les obligea à nul Tribut ; et ne demanda d'eux, que des asseurances de fidelité : r'appellant l'Armée que Thrasibule et Harpage avoient commandée ensemble ; envoyant ordre à ce dernier de la luy r'amener ; et laissant l'autre dans la possession de sa chere Alcionide. Ce n'est pas que Cyrus ne sçeust assez bien la Politique, pour n'ignorer pas que ce n'est point la coustume de retirer si promptement les Armées des Païs qu'on a nouvellement conquis : mais comme la guerre importante et decisive pour luy, estoit celle de Lydie ; et qu'il donnoit ordre qu'on laissast des Garnisons en tous les lieux forts ; il ne creut pas rien hazarder : et il aima mieux fortifier encore ses Troupes, ne sçachant pas combien le Siege pourroit durer : et n'ignorant pas que bien souvent la prise d'une Ville, couste une Armée toute entiere à celuy qui la prend. Cependant comme Cyrus n'oublioit jamais rien, il envoya sçavoir des nouvelles de la santé de Sesostris : qui se trouva estre si bonne, qu'il manda à Cyrus qu'il esperoit estre dans peu de jours en estat d'aller hazarder pour son service, la vie qu'il luy avoit conservée. Cyrus fit aussi faire un compliment à la Princesse Araminte, a qui il tint sa parole : ne voulant pas permettre à Phraarte, de l'aller voir pendant ce Siege. Il n'oublia pas mesme, ny Cleonice, ny Doralise, ny toutes les autres Dames prisonnieres, qu'il sçeut estre en santé parfaite, par le retour de celuy qu'il avoit p. 303envoyé vers elles. Mais durant que Cyrus s'aquitoit si dignement de tout ce qu'il estoit obligé de faire, ou comme Amant, ou comme Amy ; ou comme Ennemy ; ou comme Prince ; ou comme General d'Armée ; ou comme Conquerant ; il ne laissoit pas d'avoir dans le fond de son coeur un chagrin extréme, de l'injustice que Mandane luy faisoit, en l'accusant d'estre infidelle : et toutes les fois que cette fascheuse pensée luy venoit, il trouvoit qu'il avoit lieu de craindre qu'elle ne peust la devenir : puisque pour l'ordinaire, on ne soubçonne pas legerement les autres, d'une chose dont on se sent incapable. Il se repentoit pourtant bien tost d'un sentiment qui l'eust estrangement affligé, s'il fust demeuré long temps dans son coeur : mais pour le consoler dans ses chagrins, il sçeut que le Peuple de Sardis, commençoit de ne trouver plus à vivre que par l'assistance des riches : et qu'ainsi il y avoit lieu d'esperer, que la sedition recommenceroit bien tost parmy eux : et qu'il en prendroit leur Ville plus facilement. Et en effet, il y avoit grande aparence que la chose seroit ainsi : ce n'est pas que Cresus et le Roy de Pont, ne fissent tout ce qu'ils pouvoient, l'un pour sauver sa Couronne, et l'autre pour conserver sa Maistresse ; mais ils ne laissoient pas de voir qu'ils estoient perdus.