Partie 7 (voir le frontispice) – Livre premier.
Gravure de la partie 7, livre 1.
Résumé de la séquence
Après la prise de Sardis, Cyrus rétablit le calme dans la ville et favorise la réunion des différents couples. Lui-même est au désespoir à cause de la disparition de Mandane. Il décide toutefois de rendre visite à Cresus. En traversant appartements de ce dernier, le vainqueur de Sardis découvre des richesses inestimables. La statue d'une jeune fille, ainsi que les fables d'Esope, retiennent particulièrement son attention.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 1 : Après la prise de Sardis – 4 min.
A Sardis, Cyrus remplit ses fonctions de chef militaire, malgré la douleur qu'il ressent à cause de la disparition de Mandane. Il donne les ordres nécessaires au rétablissement du calme dans la ville, et assume diverses obligations mondaines. Il favorise les retrouvailles de Palmis et Artamas, Timarete et Sesotris, ainsi que d'Araminte et Spitridate.
Lire l'épisode ⬇p. 5Sesostris, Tigrane, et Anaxaris, ne furent pas les seuls qui eurent la curiosité d'aprendre qui estoit Spitridate, et qui eurent envie de sçavoir le succez du voyage de Cyrus. Car en un moment, cét illustre Conquerant se vit environné d'un si grand nombre de Princes, de Capitaines, et d'autres Gens de qualité, qui tesmoignoient s'interesser sensiblement à tout ce qui le touchoit, qu'il fut contraint de suspendre durant quelques instans, une partie de sa douleur : afin de les assurer, que celle qu'ils avoient de la sienne l'obligeoit, et qu'il n'en seroit pas ingrat. p. 6Mais durant qu'il donnoit des marques de sa reconnoissance à tant d'illustres Personnes, Tegée vint luy donner des tesmoignages de celle qu'avoit la Princesse Palmis, d'avoir fait esteindre le feu du Bûcher sur lequel estoit le Roy son Pere : Le Prince Myrsile y envoya aussi pour le mesme sujet : et il eut tant de complimens à rendre ou à recevoir, qu'il ne fut de long-temps en liberté d'entretenir ses propres pensées. La bien-sceance voulut mesme qu'il disnalt en public : cependant le Prince Artamas fut visiter la Princesse Palmis, et l'assurer qu'il employeroit tout le crédit qu'il avoit aupres de Cyrus, pour l'obliger à continuer de bien traiter le Roy son Père. Il vit aussi le Prince Myrsile, qu'il fut rauy de trouver en estat de luy respondre ; Pour Cresus, il n'osa entreprendre de le visiter : et il se resolut d'attendre à le voir, que Cyrus le luy presentast, Cependant les Roys de Phrigie et d'Hircanie, ayant sçeu le retour de Cyrus, vinrent du Camp à Sardis, pour luy dire deux choses qui ne luy pouvoient estre agreables : la première, que toutes les Parties qu'ils avoient envoyées pour aprendre des nouvelles de Mandane, n'en avoient pu rien sçavoir : et la seconde, que la prise de Sardis, avoit plus affoibly son Armée, que n'avoit fait la derniere Bataille, ny mesme le Siège de cette Ville. Car comme on n'avoit pu d'abord empescher le pillage, il estoit armé que tous ceux qui s'estoient chargez de p. 7butin s'estoient desbandez ; durant son absence : les uns ayant emporté celuy qu'ils avoient fait, et les autres l'ayant vendu, afin de se retirer plus facilement. Cette nouvelle affligea sensiblement Cyrus : mais pour empescher que ce desordre ne continuast, et pour retenir dans le devoir ceux qui y estoient demeurez ; il leur fit donner plus qu'il ne leur avoit promis au commencement du Siège de Sardis : et fit punir avec beaucoup de severité quelques-uns de ceux qui avoient fuy, et qu'on avoit repris. Son Armée estoit pourtant encore si membreuse ; que si l'amour qu'il avoit pour Mandane, n'eust pas esté extraordinairement forte, il n'eust pas aprehendé qu'elle eust esté trop foible, pour attaquer et pour prendre tous les lieux que le Roy de Pont auroit pû choisir pour Azile : mais comme c'est la nature de cette passion de ne trouver point de petits obstacles aux choses qu'elle entreprend, quoy qu'ils le soient en effet ; Cyrus sentit cét accident, comme s'il eust esté beaucoup plus considerable. Il ne laissa pourtant pas de s'appercevoir qu'il n'avoit point veù Phraarte parmy ceux qui l'estoient venu visiter à son retour : et de songer aussi à donner bien-tost a Spitridate, la satisfaction de voir la Princesse Araminte. Il s'informa donc où estoit Phraarte, mais personne ne luy pût dire precisément, ce qu'il estoit devenu : et tout ce qu'il en sçeut, fut qu'aussi- tost qu'il avoit esté party, il avoit disparu. Comme p. 8Cyrus sçavoit la passion qu'il avoit pour la Princesse de Pont, il ne douta pas qu'il ne la fust allé visiter : de sorte que craignant que comme il estoit violent, il n'arrivast quelque mal-heur, si Spitridate alloit seul quérir cette Princesse ; il fit si bien que quelque sorte que fut l'impatience de cét Amant, il le fit resoudre d'attendre au lendemain à partir, pour aller où tous ses desirs l'apelloient : Cyrus luy disant obligeamment, que puis qu'il estoit guery de sa jalousie, il vouloir le mener à la Princesse Araminte : ce qu'il ne pouvoit faire des le jour mesme, à cause des divers ordres qu'il avoit à donner. Comme le terme n'estoit pas long, Spitridate consentit à ce que Cyrus souhaitoit : qui cependant envoya au Chasteau où il avoit laissé Araminte, pour voir si Phraarte y estoit, et pour luy commander de revenir à Sardis. Apres quoy, ce Prince ayant fait tous les commandemens necessaires pour la tranquilité de la Ville ; pour le Campement de son Armée ; et pour la garde de Cresus ; il fut faire une visite à la Princesse Palmis, et à la Princesse Timarete : pour leur demander pardon, de les avoir quittées si brusquement, sans leur faire aucune civilitè, lors qu'il estoit sorty de la Citadelle : les conjurant toutes deux, de considerer que s'agissant de la liberté de la Princesse Mandane, il eust estè criminel, s'il se fust arrestè un moment auprès d'elles, après avoir sçeu que le Roy de Pont l'avoit enlevée. Comme ces deux Princesses avoient de l'obligation p. 9à Cyrus ; que Palmis luy en avoit en la personne de Cresus, et en celle d'Arramas ; que Timarette luy en avoit aussi, en celle de Sesostris, et en la sienne ; elles luy firent autant de remercimens qu'il leur fit d'excuses. Elles furent mesme obligées de luy en faire, pour de nouvelles grâces qu'il leur fit : car ce Prince dit à la Princesse Palmis, qu'il alloit mener le Prince Arramas à Cresus, afin de le faire souvenir de ce qu'il devoir à Cleandre : disant en suitte à la Princesse Timarete, qu'aussi-tost qu'il auroit donné ordre aux choses necessaires pour la commodité de son voyage, et pour la magnificence de son Train, il l'en advertiroit : afin qu'elle puit, quand il luy plairoit, retourner en Egypte, conduite per Sesostris : à condition toutesfois qu'ille luy feroit l'honneur de luy promettre de rendre cét illustre Prince aussi heureux qu'il meritoit de l'estre.
Épisode 2 : La statue d'Elise – 6 min.
En compagnie de ses amis, Cyrus se rend auprès de Cresus, afin de lui présenter ses excuses pour la violence que ce dernier a subie de la part du roi d'Assirie. En traversant les appartements du roi de Lydie, les amis de Cyrus sont éblouis par ses richesses. De son côté, l'amant malheureux est absorbé par ses pensées. Une statue de marbre, représentant une jeune fille d'une incomparable beauté, attire toutefois son attention. La statue est polychrome. Les chairs, les mouvements et les drapés sont si bien rendus que l'on croirait la jeune fille vivante. Elle est l'œuvre des plus célèbres sculpteurs de ce temps, Dipoenus et Scillis, et représente une noble fille de Tyr, dont le roi de Phenicie a été amoureux.
Lire l'épisode ⬇Ces deux Grandes Princesses ayant respondu à Cyrus, aussi civilement que la generosité les y obligeoit ; il les quitta, pour aller rendre une visite à Cresus, afin de luy demander encore une fois pardon de la violence du Roy d'Assirie ; pour le consoler dans son mal-henr - et pour luy presenter le Prince Artamas : sçachant bien que le Roy de Phrygie consentoit à cette réconciliation. Mais en y allant, Hidaspe, qui avoit la garde de ces Princes et de tout le Chasteau. le fit passer par le superbe Apartement où estoient tous les Tresors de Cresus. La veuë de tant de richesses, et p. 10de tant de belles choses, ne l'eust pourtant pas destourné de la profonde resuerie où l'enlevement de Mandane l'avoit mis, si Tigrane, Anaxaris, et Chrisante, qui l'avoient suivy, aussi bien que le Prince Artamas, n'eussent tesmoigné leur estonnement et leur admiration, par des cris qu'ils ne purent retenir, quelque respect qu'ils enflent accoustumé de rendre à cet illustre Vainqueur. Leur Voix n'eust toutesfois pas encore fait arrester Cyrus à considerer tant de rares et magnifiques choses, si Chrysante, qui ne pouvoit se resoudre à sortir si tost d'un si beau lieu, n'eust pris la parole pour l'y retenir. Du moins Seigneur, luy dit-il en sousriant. regardez ce que vous avez conquis : et soyez assuré après cela, que puis que la Fortune vous a assez aimé pour vous rendre Maistre de tant de Tresors, elle ne vous haïra pas assez pour vous faire perdre la Princesse Mandane : c'est pourquoy, Seigneur ;vous les pouvez regarder comme un gage asseuré de vostre bon-heur à venir le les regarderay, répliqua Cyrus, lors que Ciaxare m'aura donné la permission d'en recompenser la valeur de tant de braves Gens qui m'ont aide aussi bien que vous à les conquérir : ou qu'il m'aura accordé celle de les rendre au malheureux Cresus, à la consideration du Prince Artamas. Mais comme cela n'est pas encore, il suffit que j'ordonne à Hidaspe d'en avoir foin : et en effet Cyrus ne se feroit pas amusé à considerer tant de magnificence, s'il n'eust remarqué que le Prince Tigrane avoit p. 11beaucoup d'envie de s'y arrester davantage. De sorte que ne voulant pas tout à fait s'opposer à sa curiosité, il marcha plus lentement ;et traversa trois grandes Chambres et deux Galeries qui donnoient l'une dans l'autre, et qui estoient routes remplies de choses esclatantes et precieuses : mais disposées avec tant d'ordre et avec tant d'art, qu'on voyoit par tout je ne sçay quelle confusion reguliere et :diversifiée ; qui fait la beauté des Cabinets magnifiques : et qui remplit l'imagination d'une abondance de belles choses, qui force l'esprit de ceux qui les regardent à avoir de l'admiration. Et certes ce ne fut pas sans sujet, si l'illustre Cyrus, tout desinteressé qu'il estoit, et tout occupé de sa passion et de sa douleur, se resolut enfin à honorer de quelques un de ses regards, ce prodigieux amas de richesses, que Cresus avoit si cherement aimées ; et que Solon avoit si peu estimées, qu'il en avoit aquis son aversion. Car il est vray qu'on n'a jamais veû ensemble tant d'argent, tant d'or, tant de Pierres precieuses, ny tant de choses rares, qu'il y en avoit dans ces trois Chambres et dans ces deux Galleries. La grandeur des Cuves et des Vases d'Or estoit prodigieuse : et les Statues de mesme Métal estoient innombrables, et incomparables en beauté Mais entre toutes ces Figures d'Or, on en voyoit une de Marbre, si merveilleuse, qu'elle força Cyrus à s'arrester plus longtemps à l'admirer que toutes les autres, quoy p. 12qu'elle ne fust pas d'une matiere si precieuse. Il est vray qu'elle estoit faite avec tant d'Art, et elle representoit une si belle Personne, qu'il n'est pas estrange si elle charma les yeux d'un Prince qui les avoit si délicats, et si capables de juger de toutes les belles choses. Cette Statue estoit de grandeur naturelle, posée sur un Piédestal d'Or, où il y avoit des Bassestailles des quatre costez, d'une beauté admirable : où l'on voyoit en chacune, des Captifs enchaisnez de toutes sortes de conditions : mais enchaisnez par de petits Amours, si admirablement bien faits, qu'on ne pouvoit rien voir de mieux. Pour la Figure, elle representoit une Femme d'environ dix-huit ans : mais une Femme d'une beauté surprenante et parfaite. Tous les traits du visage en estoient merveilleusement beaux : la taille en estoit si noble et si bien faite, qu'on ne pouvoit rien voir de plus élégant : et son habillement estoit si galant et si extraordinaire, qu'il tenoit esgalement de celuy des Dames de Tyr ; de celuy qu'on donne aux Nymphes. et de celuy qu'on donne aux Deesses : mais particulièrement à la Victoire, lors qu'on la veut representer comme faisoient les Athéniens, c'est à dire sans aisles, et avec une simple Couronne de Laurier sur la teste. Cette Statuë estoit si bien plantée sur sa Base, et avoit une action si vive, qu'elle sembloit estre animée : le visage, la gorge, les bras, et les mains, en estoient de Marbre blanc, aussi bien que les jambes et les p. 13pieds, dont on voyoit une partie, à travers les entrelassures des Brodequins qu'elle avoit et qu'on pouvoit voir : parce que de la main gauche elle retroussoit un peu sa robe, comme si ç'eust esté pour marcher plus aisément : retenant de la droite un Voile qu'elle avoit attaché au derrière de la teste, au dessous d'une Couronne de Laurier ; comme si elle eust voulu empescher que le vent dont il paroissoit estre agité, ne le luy eust enlevé. Toute la Draperie de cette Figure estoit faite de Marbre et de Jaspe de couleurs différentes : en effet, la robe de cette belle Phénicienne, qui faisoit mille agréables plis, quoy qu'on ne laissast pas de voir la juste proportion de son corps, estoit d'un Jaspe dont la couleur estoit si vive, qu'elle aprochoit de celle de la Pourpre de Tir. Une Escharpe qui passoit negligeamment à l'entour de sa gorge, et qui se ratachoit sur l'espaule, estoit d'une espece de Marbre entremeslé de bleu et de blanc, qui faisoit un agréable effet à la veuë. Le Voile de cette Figure estoit de pareille matière : mais taillé avec tant d'art, qu'il sembloit avoir la mollesse d'une simple Gaze. La Couronne de Laurier estoit d'un Jaspe verd, et les Brodequins estoient encore d'un Marbre different, aussi bien que la ceinture qu'elle avoit : qui ferrant au dessus de la hanche, tous les plis de cette Robe, qui descendoient après plus negligeamment jusqu'en bas, faisoit voir la beauté de la taille de cette belle Tyrienne. Ce qu'il y p. 14avoit de plus admirable, c'est qu'il y avoit en toute cette Figure, un esprit qui l'animoit, qui persuadoit quasi à ceux qui la regardoient, qu'elle alloit marcher et parler. On luy voyoit mesme une phisionomie spirituelle : et une certaine fierté en ton action, qui faisoit connoistre que celle qu'elle representoit avoit l'ame fiere ;cette Figure semblant regarder avec mespris les captifs qui paroisloient enchaisnez sous ses pieds. De plus, le Sculpceur avoit si parfaitement imité je ne sçay quelle fraischeur, et je ne sçay quoy de tendre qui se trouve à l'embonpoit des jeunes et belles Personnes, qu'on pouvoit mesme connoistre l'âge de celle que cet excellent Ouvrier avoit voulu representer, en voyant seulement sa Statue. Cette Figure estant donc aussi, admirable qu'elle estoit, ce ne fut pas sans raison, si l'illustre Cyrus qui n'avoit point eu de curiosité pour toutes les autres, demanda au Prince Artamas, après l'avoir bien considerée, si elle n'estoit pas de Dipoenus, ou de Scillis, qui estoient les deux premiers Sculpteurs qui fussent alors en toute la Terre : s'imaginant toutesfois que cette belle Statue n'estoit que l'effet d'une belle imagination. Mais le Prince Artamas, apres luy avoir dit qu'elle esloit en effet de ces mesmes Sculpteurs donc il parloit, et qui estoient de l'Isle de Crete ; il luy aprit qu'elle avoit esté faite d'après une Fille de qualité qui estoit de Tyr, donc le feu Roy de Phenicie avoit esté amoureux, et que l'on disoit estre une des plus p. 15belles Personnes du monde, et plus belle encore que sa Statuë. Mais cela estant, dit Cyrus, comme est-il possible que ce Roy amoureux n'ait point conservé cette Figure ? C'est à ce que j'ay oüy dire, reprit Artamas, que cette Statuë ne faisoit que d'estre achevée, lors que ce Prince mourut : et comme vous sçavez sans doute, puis que vous avez esté en Grèce, que Dipoenus et Scillis, laisserent imparfaites quatre Images, d'Apollon, de Diane, d'Hercules, et de Minerue, qu'ils avoient commencées en une Ville du Peloponese, parce qu'on ne leur donnoit pas assez promptement ce qu'on leur avoit promis :il vous sera aisé de comprendre, que le Roy de Phenicie estant mort, et le Prince son Fils, qui luy succedoit, ayant alors des affaires plus pressées que celle de leur faire donner ce que le Roy son Père leur avoit promis ; Dipoenus et Scillis ne furent pas plus patiens qu'ils l'avoient esté en Grèce. Car après avoir demande leur recompense une fois seulement, et qu'ils eurent veû qu'on leur demandoit quelque temps pour la leur donner ; ils s'embarquèrent une nuit, et emportèrent leur travail avec eux : de sorte que comme Cresus estoit alors en réputation de vouloir amasser tout ce qu'il y avoit de rare en Asie, ils vinrent icy, et luy vendirent cette belle Statuë. Il est vray qu'on dit qu'un peu devant cette guerre, ce jeune Roy de Phenicie avoit envoyé la redemander à Cresus, en luy offrant le double de ce qu'elle luy avoit p. 16cousté, et qu'il ne l'avoit pas voulu rendre.
Épisode 3 : Les tablettes d'Esope – 2 min.
Parmi toutes les richesses de Cresus, on montre encore à Cyrus les fables qu'Esope à écrites à Sardis : sous le voile de la fiction, elle relatent l'histoire de la cour de Cresus. Après le départ du poète, le roi les a fait relier avec magnificence. Cyrus arrive enfin auprès de Cresus et de son fils Myrsile, qui, malgré leur défaite, reçoivent dignement le vainqueur.
Lire l'épisode ⬇Cette advanture est sans doute digne de la beauté de la Statuë qui l'a causée, répliqua Cyrus ; après quoy il continua de regarder une quantité predigieuse d'Armes de toutes les Nations du monde : mais d'Armes d'Or, garnies de Pierreriers ; il admira aussi des Trônes d'Or massif ; des Figures de tous les Dieux qu'on adoroit par toute l'Asie, mais des Figures plus grandes que Nature : et qui par le seul prix de leur matière, valoient plus qu'on ne sçauroit s'imaginer. Il vit encore en ce lieu là des Tables, des Miroirs, et des Cabinets d'un prix inestimable : toutes les Tablettes qui environnoient ces Chambres et ces Galeries, estoient remplies de mille choses riches et rares : et les Perles, et les Rubis, les Esmeraudis, et les Diamants, faisoient un si beau et si précieux meslange, que la bigarreure d'une agréable Prairie ne fait pas voir un si bel objet au Printemps, que la diversité des Pierres precieuses en faisoit voir en toutes ces belles choses dont ces Tablettes estoient couvertes. Mais au milieu de tant de raretez magnifiques, on fit voir à Cyrus ces ingenieuses Fables qu'Esope avoit faites à Sardis : ou il avoit escrit et caché avec tant d'art, l'Histoire de toute la Cour de Cresus : et que ce Prince avoit tant estimées, que lors qu'Esope partit de Lydie, il voulut qu'il les luy donnait. Et pour tesmoigner combien il les estimoit, il les avoit fait relier magnifiquement, aussi bien que p. 17celles qu'il avoit composées auparavant : et qui enseignent une Morale si délicate, à ceux qui entendent bien de langage des Bestes qu'il fait parler. En effet, ces Tablettes estoient couvertes d'Or cizelé, dans lequel on avoit enchassé des Diamants, qui de chaque costé formoient le nom d'Esope. Les Fermoirs en estoient aussi magnifiques que le reste : et Cresus enfin n'eut pû faire plus d'honneur, ny à Homère, ny aux Livres de la Sybille, qui estoit alors si fameuse par toute l'Asie, qu'il en avoit fait à Esope : puis qu'il avoit jugé ses Oeuvres dignes d'estre parmy ses Tresors, qu'il estimoit plus que toutes les choses du monde. Apres avoir donc assez consideré cette abondance de richesses, et regardé encore en passant avec estonnement, de grands mençeaux de grosses Lames l'Or et : d'Argent, qui estoient au bout d'une longue Galerie : Apres dis-je, avoir fait quelques reflexions sur le malheur du Prince qui avoit perdu ces Tresors, qu'il aimoit fi. passionnement ; Cyrus sortit. enfin d'un lieu si magnifique : et fut à la Chambre de l'infortuné Cresus, auprés de qui estoit alors le Prince Myrsile. Ce vieux Roy, et ce jeune Prince, recourent Cyrus avec toute la civilité qu'ils devoient à leur Vainqueur : mais ce fut pourtant sans bassesse. S'il parut de la tristesse dans leurs yeux, il parut aussi de la fermeté dans leur âme : et Cyrus voyant qu'ils suportoient si constamment une si grande infortune dit p. 18tout haut qu'ils meritoient de porter toute leur vie le Sceptre qu'ils venoient de perdre : et qu'il ne tiendroit pas à luy, que Ciaxate ne leur rendist.