Partie 6 (voir le frontispice) – Livre troisième.
Gravure de la partie 6, livre 3.
Résumé de la séquence
Après la mort d'Heracleon, tout semble indiquer que Timarete se trouve à Sardis. Cette supposition est bientôt confirmée par Cresus, qui demande à Sesostris qu'Amasis lui envoie des renforts. Mais le jeune prince choisit le camp de Cyrus. Ce dernier élabore, quant à lui, une nouvelle stratégie d'attaque. Mais l'assaut est infructueux. Cyrus décide alors d'assiéger la ville.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 141 : Timarete à Sardis – 4 min.
En apprenant que Cyrus soutient Sesostris, Heracleon entre dans une telle rage que ses blessures s'aggravent et qu'il perd l'esprit. En plein délire lorsque Cyrus lui rend visite, il le prend pour le roi de Pont et le remercie d'avoir recueilli Timarete à Sardis. Peu après il meurt. Cyrus passe le reste du temps occupé aux préparatifs de la prise de Sardis. Sesostris rejoint son camp d'autant plus volontiers que Cresus a insulté les Egyptiens. Il envoie au roi de Lydie une dépêche demandant qu'on lui rende Timarete.
Lire l'épisode ⬇p. 540Pendant que l'illustre Cyrus avoit escouté les advantures de Sesostris, et les crimes d'Heracleon ; ce dernier ayant sçeu par quelques uns de ceux qui estoient aupres de luy, quels estoient les soins que Cyrus avoit de Sesostris ; il entra en une telle fureur, que toutes ses playes se r'ouvrirent : et la fiévre luy prit si violente, que ceux qui avoient assuré Cyrus, que quand mesme il devroit mourir de ses blessures, ce ne seroit pas si tost, changerent d'advis : et furent advertir ce Prince, qu'Heracleon ne passeroit pas la nuict suivante. Cyrus sçachant donc l'estat où il estoit, fut le voir pour s'acquiter de sa promesse : afin de luy faire dire ou par adresse, p. 541ou par force, en quel lieu estoit Timarete. Mais il ne le trouva plus en estat de l'entretenir : car sa raison s'estoit esgarée. Il est vray qu'il y a apparence, que Cyrus aprit plus de nouvelles de cette Princesse dans son esgarement, qu'il n'en eust sçeu si son esprit eust esté libre : car dés qu'il vit ce Prince au chevet de son Lict ; comme il n'avoit l'imagination remplie que de Timarete, et de tout ce qui luy estoit arrivé ; il creût que Cyrus estoit le Roy de Pont ; et se mit à le remercier, d'avoir bien voulu donner Azile à la Princesse Timarete, dans la Citadelle de Sardis. En suitte de quoy changeant de discours, il parloit tantost de Sesostris comme estant mort : et un moment apres, comme le voulant tuër : de sorte que son esprit ne pouvant s'arrester à nul objet, il n'y avoit pas moyen de tirer de luy nulle nouvelle assurée de Timarete. Neantmoins, comme il y avoit des Prisonniers qui avoient assuré à Cyrus, qu'il estoit entré une Dame de grande condition, dans la Citadelle de Sardis ; il creût qu'il faloit faire quelque fondement sur ce qu'Heracleon venoit de dire : il ne voulut pourtant pas donner cette esperance à Sesostris, qu'il n'eust perdu celle d'en sçavoir davantage : mais Heracleon ayant enfin perdu la parole, et peu de temps apres la vie ; il dépescha Miris vers ce Prince, pour luy apprendre la mort de son Rival : et pour luy dire qu'il y avoit grande apparence, que la Princesse Timarete estoit dans la Citadelle de Sardis : apres quoy il fut suivant sa coustume, donner tous les ordres necessaires, p. 542et visiter tous les Travaux : laissant le soin des Funerailles d'Heracleon à ceux qui estoient aupres de luy. Il passa mesme à la Tente d'Araspe, dont les blessures ne l'incommodoient pas tant, que la douleur qu'il avoit dans l'ame : de là Cyrus fut tenir Conseil de Guerre ; où il fut resolu que dans deux jours on donneroit un second assaut : de sorte que ce Prince redoublant encore ses soins, employa tout ce temps-là à voir luy-mesme toutes les Machines ; à instruire ceux qui les devoient faire agir ; à donner d'utiles conseils à tous les Chefs ; et à encourager tous les Soldats. Le Roy d'Assirie et Mazare faisoient aussi la mesme chose : tous les autres Rois, et tous les autres Princes, qui estoient dans cette Armée, agissants encore avec un zele extréme, pour faire reüssir le dessein de Cyrus : Anaxaris en particulier, n'estant pas des moins ardens, au service de ce Prince. Cyrus eut mesme encore un nouveau secours : car le Prince Sesostris, se trouvant presques entierement guery de ses blessures, eut une telle joye de sçavoir qu'il y avoit apparence que Timarete estoit dans Sardis ; que non seulement il ne sentit presques pas celle que luy devoit causer la mort de son Rival, mais encore il voulut aller au Camp : principalement sçachant qu'on devoit donner un assaut à cette Ville. Car encore que les Troupes d'Amasis fussent venuës avec intention de la deffendre ; et que les Egiptiens, à qui Cyrus avoit fait grace, ne se fussent rendus qu'à condition de n'estre pas forcez à combatre p. 543contre Cresus, les choses avoient changé de face. En effet, Sesostris avoit sçeu qu'encore que les Lydiens l'eussent abandonné le jour de la Bataille, Cresus n'avoit pas laissé de parler indignement des Egiptiens : qui seuls avoient pû resister à l'effort de ses ennemis. Ce discours avoit tellement irrité tous ceux de cette Nation, que depuis cela ils n'estoient pas demeurez dans les termes qu'ils s'estoient prescrits, en se rendant à Cyrus : car ils avoient voulu combattre, et avoient combatu en effet, en diverses occasions. Mais comme ils avoient pris cette resolution ; durant que Sesostris n'estoit pas encore en estat de leur commander ; ce Prince, de qui la generosite estoit un peu plus scrupuleuse que la leur, ne voulut pourtant pas combatre de sa personne, qu'il n'eust supplié Cyrus de luy permettre d'envoyer un Heraut au Roy de Lydie : pour luy demander si la Princesse Timarete estoit dans la Citadelle de Sardis, et s'il la luy vouloit rendre ? Car encore qu'il eust fait faire un compliment à Cyrus ; il y avoit desja quelques jours, qui devoit luy faire croire qu'il avoit dessein de combattre pour luy, il n'en avoit pourtant en la pensée, qu'avec l'intention de chercher les voyes de le pouvoir faire sans blesser son honneur : de sorte qu'en ayant trouvé une, il n'avoit garde de la perdre. Il partit donc du Chasteau où il estoit, mais il n'en partit pas sans prendre congé de la Princesse Araminte, à qui il avoit desja rendu quelques visites, pour la remercier des soins qu'elle avoit eus de luy, pendant la p. 544violence de son mal. Il dit aussi adieu à la belle Cleonice ; à Doralise ; et à toutes les autres Prisonnieres : car comme il sçavoit la Langue Greque, qu'elles parloient ou entendoient toutes, il avoit eu de grandes conversations avec elles ; leur ayant mesme apris une partie de ses malheurs : si bien que sçachant que l'on croyoit que la Princesse Timarete estoit peutestre dans Sardis, elles s'en réjouïrent pour l'amour de luy : et firent des voeux pour sa liberté, aussi bien que pour celle de Mandane. Sesostris apres avoir donc reçeu mille civilitez de toutes ces belles Captives, s'en alla au Camp : où il fut reçeu de Cyrus, avec tous les honneurs qu'il meritoit, et par sa naissance, et par sa vertu. Mais enfin apres que Cyrus eut offert à Sesostris tout ce qui dépendoit de luy ; ce Prince le suplia de vouloir envoyer un Heraut à Cresus, pour luy demander des nouvelles de Timarete : et en effet, sans differer davantage, il y envoya selon son intention. Sesostris fit donc dire à Cresus, qu'encore qu'il eust apris qu'il avoit parlé indignement des Troupes Egiptiennes ; il n'avoit pas laissé de demeurer au Camp de Cyrus, dans les simples termes d'un captif : mais qu'ayant sçeu que la Princesse Timarete, Fille d'Amasis, estoit en sa puissance, par la perfidie d'un lasche apellé Heracleon, qui estoit mort dans l'Armée des Assiegeans ; il envoyoit luy demander s'il ne vouloit pas la renvoyer au Roy son Pere ? Cyrus ayant offert de luy donner passage, et mesme escorte pour la conduire.
Épisode 142 : Attaque infructueuse – 4 min.
Cresus et le roi de Pont répondent qu'ils libéreront Timarete à la seule condition qu'Amasis leur envoie des renforts. Sesostris n'y songe pas un instant, car il est persuadé que Cyrus est sur le point de prendre la ville. L'assaut est donné : malgré l'intelligence des tactiques militaires et la bravoure de chacun, les habitants de Sardis se défendent si bien que l'on ne parvient pas à prendre la ville ce jour-là. Cyrus tient un conseil de guerre ; au vu de la hauteur des murailles et du nombre des habitants, l'on décide d'assiéger et d'affamer la ville pour la prendre.
Lire l'épisode ⬇Ce fut p. 545pourtant en vain qu'on fit porter cette parole à Cresus et au Roy de Pont : car comme plus ils avoient de Personnes importantes entre leurs mains, plus ils se croyoient en seurete ; ils n'avoient garde de rendre Timarete. Cresus respondit donc, qu'il estoit vray qu'elle estoit en ses mains : mais qu'il ne rendroit cette Princesse, que lors qu'Amasis luy auroit envoyé un secours assez puissant, pour faire lever le Siege de Sardis. De sorte que Sesostris recevant cette responce en presence de Cyrus, se tourna en sousriant vers ce Prince, et luy dit, que selon son sens, comme il seroit plus aisé de prendre Sardis que de le secourir ; il valoit mieux qu'il reçeust Timarete de sa main, que de celle de Cresus. C'est pourquoy, adjousta Sesostris, au lieu de songer à secourir Sardis, je pense à vous aider à le prendre plustost : bien-heureux encore, d'avoir quelque asseurance que la Princesse Timarete est dans une Ville qui ne peut manquer d'estre prise, puis que l'invincible Cyrus l'attaque. Ce qui me le fait esperer, repliqua-t'il, est que le vaillant Sesostris combattant pour Timarete, m'enseignera par son exemple, à combattre pour Mandane. Cependant Cyrus ne se contenta pas de traiter Sesostris tres civilement ; mais il voulut encore que tous les Grands de son Armée le visitassent, et luy rendissent beaucoup d'honneur. De sorte que Sesostris vit ce jour-là tous les Princes qui estoient dans cette Armée : qui furent tous si satisfaits de luy, et si charmez de son esprit, et de sa civilité, p. 546qu'il en fut infiniment estimé. Et pour luy faire encore plus d'honneur, Cyrus voulut qu'il commandast une des Attaques qu'on devoit faire : si bien que le lendemain au matin estant venu, tous les ordres ayant esté donnez, toutes les Machines estant disposées, toutes les Eschelles estant prestes, et tout le monde estant preparé ; on commença une heure devant le jour à combler les Fossez de la Ville en divers endroits avec des Fascines : ce qui fut si promptement fait, que presques en un instant l'Assaut fut donné de toutes parts ; et cette grande Ville se vit toute environnée d'Eschelles, à la reserve du costé qui regardoit le Mont Tmolus, qui paroissoit inaccessible. Cyrus estoit en personne à l'endroit le plus prés de la Citadelle, qui estoit le plus dangereux : le Roy de Phrigie attaquoit le costé de la Ville qui donnoit vers le Pactole : le Roy d'Assirie celuy qui luy estoit opposé : Mazare commandoit l'Attaque qui estoit entre Cyrus et le Roy d'Assirie : Sesostris faisoit la sienne du costé de la Ville qui regardoit la Plaine : Tigrane et Phraarte en faisoient une autre vers la principale Porte de Sardis : et Anaxaris en faisoit aussi une autre à un Bastion qui couvroit une autre Porte de la Ville. Hidaspe, Chrisante, Andramite, Aglatidas, Persode, Hermogene, Leontidas, et tous les autres Braves de cette Armée commandoient sous tous ces Princes, aux Attaques qu'ils faisoient. Le Roy d'Hircanie, Gobrias, et Gadate, demeurant à commander dans le Camp avec un Corps de reserve : p. 547tant pour le garder, qu'afin de faire executer tous les ordres de Cyrus : et d'envoyer du secours aux lieux où il en seroit besoin. L'ordre de cét Assaut ne fut pas seulement judicieusement donné, mais il fut encore courageusement executé : et il le fut d'autant plus, que la resistance des Lydiens, donna une ample matiere à la valeur de tant de Grands Princes, et de tant de vaillans Soldats. Car jamais on n'a veu une telle ardeur, ny à attaquer, ny à se deffendre, que celle qu'on vit et aux Assiegens, et aux Assiegez. La multitude des Eschelles estoit si grande, et celle de ceux qui se pressoient pour y monter estoit telle ; que si les Lydiens n'eussent esté encouragez par un Prince, à qui l'amour ne faisoit rien trouver de difficile, ils n'auroient asseurément osé entreprendre de s'opposer à un effort si grand, et à un Assaut si general. Mais il les asseuroit tellement, qu'il estoit bien adverty que cet Assaut seroit le dernier qu'ils auroient à soustenir ; qu'en effect ils se resolurent à combattre de toute leur puissance : et ils le firent si courageusement, qu'ils donnerent de l'admiration à leurs propres Ennemis : car enfin, quoy qu'ils fussent attaquez par les plus vaillans Princes du monde, et par des Soldats acconstumez à gagner des Batailles, et à conquerir des Royaumes ; ils ne laisserent pas de leur resister avec une opiniastreté qui paroissoit invincible. Non seulement ils faisoient pleuvoir une gresle de Pierres et de Traits ; non seulement ils renversoient les Eschelles, ou ceux qui p. 548estoient dessus ; mais ils combattoient encore main à main, avec une ardeur heroïque, contre ceux qui pouvoient arriver jusques au haut des Murailles. Enfin, Seigneur, quoy que Cyrus fist des choses prodigieuses ; et que tous ces autres Princes fissent aussi des merveilles ; que Sesostris en son particulier y fist des miracles ; et que tous ensemble combattissent de toute leur force ; ils ne purent emporter la Ville : et il fallut que tant de vaillans Princes, se resolussent à ne vaincre point ce joui là. Il y eut pourtant cela de remarquable, qu'à la reserve de Tigrane, qui fut legerement blessé à la main de la cheutte d'une Eschelle, il n'y eut pas un de ces Princes ny tué, ny blessé. Il est vray que Cyrus pensa l'estre plus d'une fois : car comme il s'exposoit encore plus que les autres, il fut souvent tout prest ou d'estre renversé du haut des Eschelles, ou d'estre escrasé per ceux qui estoient renversez ; ou d'estre accablé par l'abondance des Pierres que les Lydiens jettoient. Mais enfin la Fortune qui sembloit ne vouloir le mettre en peril que pour le sauver, et qui sembloit aussi en d'autres occasions, ne le vouloir sauver que pour le perdre plus cruellement ; le conserva en celle-là. Il se retira pourtant si triste, de ce que cét Assaut ne luy avoit pas succedé heureusement, qu'on ne pouvoit pas l'estre davantage ; car enfin il connut bien qu'il seroit tres difficile de forcer Sardis : de sorte qu'ayant tenu Conseil de Guerre, pendant une Tréve de quatre heures, qu'on obtint pour retirer les p. 549morts qui estoient demeurez dans le Fossé ; il fut resolu qu'on ne s'obstineroit pas davantage à vouloir forcer une Ville qui sembloit ne pouvoir estre prise par Assaut, à cause de la hauteur de ses Murailles ; de la multitude de ses Habitans ; et du grand nombre de Soldats qui la deffendoient : et qu'on commenceroit enfin ce qu'on n'avoit pas voulu faire auparavant, c'est à dire une Ligue de circonvalation avec des Forts : esperant prendre par la faim, ceux qu'on ne pouvoit prendre par la force.