Partie 7 (voir le frontispice) – Livre deuxième.
Gravure de la partie 7, livre 2.
Résumé de la séquence
Les préparatifs de l'attaque de Cumes se poursuivent en secret, mais l'état des troupes est mauvais, et l'hiver approche. Cyrus décide d'avancer le départ de Sardis. Les différents couples d'amants se font dès lors leurs adieux. Myrsile essaie de s'enquérir des sentiments de Doralise, qui continue à se montrer froide à son égard. De son côté, Aristhée, également épris de la jeune fille, lui rend visite, avant de repartir pour la Phénicie. Pendant ce temps, Cyrus fait fortifier la ville de Thybarra, lieu stratégique sur la route de Cumes. Il tient un conseil de guerre et informe ses hommes de son intention de prendre la ville de Cumes. C'est alors qu'il reçoit alors une lettre de Martesie qui a pour effet de redoubler son courage : Mandane se repent de sa jalousie, et Cyrus est invité à venir délivrer la princesse au plus vite.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 67 : Etat des troupes – 6 min.
Alors que Cyrus continue de préparer en secret l'attaque de Cumes, l'ambassadeur de Phenicie retourne dans son pays, emportant la statue d'Elise et de nombreux présents que Cyrus offre au roi. Sesostris et Timarete rentrent également en Egypte, non sans laisser à la disposition de Cyrus les troupes d'Amasis. De mauvaises nouvelles arrivent au sujet des troupes que Cyrus avaient prêtées à Thrasibule, afin qu'il reconquière son pays : à la suite d'une sédition, une partie des hommes s'est enrôlée dans l'armée du roi de Cumes. Cyrus décide alors de quitter Sardis en direction de Cumes avant l'hiver. Artamas, Ligdamis, Thrasimede, Menecrate, Parmenide et Philistion se séparent de leurs épouses pour le suivre.
Lire l'épisode ⬇p. 362A peine Cyrus fut il retourné à la Citadelle, que sa douleur reprit de nouvelles forces pour le tourmenter : en voyant à l'entour de luy tous ces Amans heureux, à la felicité desquels il avoit pourtant aporté tous ses foins. Ce n'est pas qu'il eust voulu qu'ils ne l'eussent pas esté : mais il n'estoit pas possible que comparant l'estat de sa fortune avec la leur, il ne soupirast en voyant la difference qu'il y avoit de l'une à l'autre. Ainsi apres s'estre advoüé à luy mesme, qu'il estoit moins malheureux que Roy de Phenicie, il se disoit encore qu'il estoit bien plus infortuné que tous ceux qu'il voyoit aupres de luy : mais il se le disoit avec une douleur si sensible, que si Mandane eust pû sçavoir ce qui se passoit dans son coeur, elle eust chassé du sien l'injuste jalousie p. 363qu'elle y avoit : estant certain que jamais homme n'a sçeu aimer si parfaitement que Cyrus. Cependant l'Ambassadeur de Phenicie sçachant le Roy son Maistre dans la douleur, et n'ayant plus rien à faire à Sardis, se disposa d'en partir, et il en partit en effet : faisant emporter la Statuë d'Elise, que Cyrus accompagna de Presens , qui estoient de beaucoup plus magnifiques que ceux qu'il avoit reçeus. Il escrivit aussi au Roy de Phenicie, pour le remercier des trente mille hommes qu'il luy avoit offerts : le priant de luy donner en eschange le plus de Vaisseaux qu'il pourroit pour un dessein qui demandoit du secret, et qu'il avoit confié à son Ambassadeur et à Aristhée : ainsi tous ces Pheniciens, à la reserve d'Aristhée, partirent infiniment satisfaits de Cyrus. Pour Aristhée, il demeura aupres de ce Prince pour crois raisons :la premiere, parce que l'Ambassadeur de Phenicie et luy, jugeant qu'il estoit avantageux au Roy qu'ils servoient, d'estre en bonne intelligence avec un si Grand Conquerant, ils resolurent qu'il faloit qu'il demeurait quelqu'un aupres de luy, pour cimenter cette liaison. La seconde ; fut parce qu'en effet Aristée estoit si charmé de la vertu de Cyrus, qu'il n'estoit pas marry d'en estre un peu plus longtemps l'admirateur. Et la troisiesme, estoit que la mort d'Elise l'ayant fort touché, il estoit bien aise de ne retourner pas si tost au lieu où il l'avoit tant veuë, et où il ne la verroit plus : car encore qu'il p. 364aimast cherement une des Amies d'Elise, il se resolut à souffrir cette absence : principalement trouvant en Doralise une personne qui luy ressembloit si fort, qu'il s'en faloit peu qu'elle ne le consolast, de la privation de l'autre. Ainsi l'Ambassadeur de Phenicie partit, et Aristhée demeura : et quelques jours apres, l'Equipage de Sesostris et de Timarete estant prest, ces deux illustres personnes se separerent de Cyrus, pour s'en retourner en Egipte : laissant tous ceux qui les avoient connus si charmez de leur merite, et si affectionnez à leurs interests, qu'ils sirent mille voeux pour leur felicité. La Princesse de Phrigie, et la Princes se Timarete, se dirent adieu en soûpirant : et toutes les Dames qui estoient au Palais de Cresus , en verserent des larmes. Pour Sesostris, en se separant de Cyrus, il luy tesmoigna avoir un regret extréme de le quitter, devant qu'il eust delivré Mandane : luy laissant, toutes ses Troupes, et luy offrant d'obliger Amasis de luy en envoyer d'autres, pour reconnoistre l'obligation qu'il luy avoit, de luy avoir rendu sa chere Timarete, et de luy avoir sauvé la vie. Cyrus de son costé, dit à ce genereux Prince, les plus obligeantes choses du monde : allant mesme conduire la Princesse Timarete, jusqu'à une demie journée de Sardis, où leur derniere separation se fit : Sesostris et Timarete agissant si bien en cette rencontre, et parlant d'une maniere si noble, qu'il estoit assez difficile de s'imaginer qu'ils eussent p. 365porté la Houlette. Cyrus envoya mesme plusieurs Personnes de qualité, les conduire jusques aux Vaisseaux qui les attendoient : ayant donné un aussi grand nombre d'Esclaves à Timarete, qu'elle en eust pû avoir si elle eust esté à Thebes ou à Memphis. Apres le départ de Sesostris, l'inquietude de Cyrus augmenta encore : et il ne pouvoit qu'à peine souffrir nulle autre conversation, que celle dont Mandame estoit le sujet. Mazare de son coste, estoit tousjours dans une agitation continuelle : employant toute sa vertu à tascher de s'empescher de haïr son Rival, et d'aimer trop sa Maistresse. Pour Cresus , quelque joye qu'il eust d'estre remonté au Thrône, il y avoit pourtant tousjours quelques instans au jour, où il sentoit la difference qu'il y a d'un Roy vassal et tributaire, à un Roy souverain et independant. Quant à Myrsile, l'amour le tourmentoit plus que l'ambition : et il s'en faloit peu, qu'il ne trouvast qu'il luy estoit plus insuportable de n'oser parler de sa passion à Doralise, qu'il ne le luy avoit esté, de ne pouvoir parler à personne. Cependant il craignoit tellement d'irriter cette cruelle Fille, qu'il y avoit des jours ou sentant bien qu'il ne pourroit pas luy parler, sans luy dire quelque chose de son amour, il la fuyoit, quoy qu'il ne pûst durer où elle n'estoit pas. Cependant le Prince Artamas, et tous ces heureux Amans, dont les peines estoient changées en plaisirs, n'avoient plus d'autre douleur, que celle de pleindre p. 366Cyrus : qui en effet meritoit bien d'estre pleint, et par la grandeur de son merite, et par la grandeur de son infortune. Quelques jours s'estant donc passez , en de continuelles agitations d'esprit, Cyrus eut un grand redoublement de douleur : car il sçeut qu'Harpage qui avoit eu ordre de luy de ramener l'Armée qui avoit aidé à Thrasibule, à reconquerir son estat, avoit eu prise avec les principaux Chefs de ses Troupes : et que la chose avoit esté si loin, que s'estant formé deux Partis, ils en estoient venus aux mains. Qu'il y en avoit eu beaucoup de tuez : et que ceux qui n'avoient pas pery en cette occasion, n'osant paroistre devant luy , s'estoient presques tous des bandez : le bruit courant que la plus part des Soldats s'estoient allez jetter dans Cumes : dont on disoit que le Prince armoit puissamment. Cyrus sçeut aussi, qu'au lieu de faire viure ses Troupes dans l'exacte discipline, Harpage leur avoit donné toute la licence imaginable : de sorte que les Xanthiens, et les Cauniens, quoy qu'ils eussent esté tres satisfaits de Cyrus : au retour de leurs Deputez ; ne trouvant pas ses effets respondans aux paroles, s'estoient revoltez et avoient fait Ligue offensive et deffensive, avec le Prince de Cumes , qui levoit une puissante Armée. Cyrus aprenant donc qu'il en avoit perdu une , et que son Rival se fortifioit de jour en jour, eut une douleur estrange : mais ce qui la luy rendoit insupportable, estoit qu'il ne pouvoit rien faire qu'il n'eust des p. 367Vaisseaux, et qu'il n'estoit pas possible qu'il en peust si-tost avoir. Cependant la Saison de la guerre se passoit : principalement ayant à faire un Siege, où il falloit avoir une Armée Navale, l'Hyver qui s'approchoit n'estant pas propre pour cela. Mais enfin ne pouvant plus souffrir d'estre enfermé dans une Ville pendant qu'il avoit des ennemis en Campagne , il prit la resolution de s'en aller au Camp, et de commencer mesme de s'esloigner de Sardis : quoy qu'il n osast pourtant pas encore tourner teste vers Cumes, ny faire semblant de sçavoir que sa Princesse y estoit, jusques à ce qu'il eust des Vaisseaux : cette resolution estant prise, apres l'avoir communiquée à Mazare, et à ceux qui sçavoient ses plus secrettes pensées, il donna ordre à toutes choses. Il laissa une Garnison considerable dans la Citadelle de Sardis : Cresus et Myrsile se mirent en estat de le suivre : et le Roy de Phrygie, dont la santé estoit devenuë assez mauvaise, fut contraint d'obeïr à Cyrus, qui voulant qu'il s'en retournast à Apamée, et qu'il y menast la Prince ne Palmis sa belle-Fille : car pour le Prince Artamas, il n'eust eu garde de l'abandonner, quand il l'eust voulu. Ainsi toute cette belle Cour se separa : mais pour faire voir combien Cyrus estoit aymé de tous ceux qui le connoissoient, il ne saut que sçavoir que Ligdamis, Trasimede, Menecrate , Parmenide et Philistion, quoy qu'ils fussent encore Amans de leurs Femmes, les quitterent pour suivre ce p. 368Prince à la guerre, Bien qu'il voulust les en dispenser. Ainsi Lycaste s'en retourna à Patate avec sa Troupe : y remenant aussi Arpalice, jusques au retour de Thrasimede : Candiope se changeant de la belle Androclée, jusques à la fin de la guerre, où Lysias son Frere fut aussi : n'y ayant que Menophile, Mary de Lycaste ; pour les conduire : bien est-il vray que Cyrus leur donna une Escorte. Cleomire s'en retourna aussi à Ephese avec sa Mere, et toutes ses autres Amies : toutes ces belles Personnes se separant avec beaucoup de douleur. Ainsi les derniers jours que Cyrus fut à Sardis, il n'y avoit plus que Doralise, Pherenice, et Arianite logées dans le Palais : de sorte que n'y voulant pas demeurer, elles furent chez une Tante de Doralise. Or durant ces trois jours là, Cyrus fut visiter Arianite, pour parler avec elle de sa chere Mandane : Marsile sur voir Doralise pour luy tesmoigner son amour : et Aristhée la visita , aussi pour l'entretenir de son amitié : et du plaisir qu'il avoit de trouver en sa personne et en son esprit, ce qu'il avoit accoustumé d'admirer en une autre. Pour Cyrus, sa conversation avec Arianite, n'estoit jamais que de sa Princesse : tantost luy faisoit raconter, comment elle avoit vesou avec le Roy d'Assire, du temps qu'elle estoit à Babilone et à Sinope : apres, il se faisoit redire, comment elle agissoit avec le Roy de Pont, à Suse, et à Sardis : et quoy qu'il sçeust toutes ces choses, il ne laissoit pourtant pas de se les faire p. 369redire : luy semblant que tout le temps qu'il n'employoit point à servir Mandane, devoit du moins estre employé à parler d'elle.
Épisode 68 : Adieux de Myrsile à Doralise – 3 min.
Avant de quitter Sardis, Myrsile va trouver Doralise, afin de connaître sa disposition exacte à son égard. La jeune femme le reçoit froidement et lui pose de nombreuses questions indifférentes visant à détourner la conversation. Mais Myrsile en vient au fait : peut-il considérer que sa bien-aimée ne lui est pas indifférente ? Doralise lui rappelle qu'elle n'aime personne. Myrsile souhaite alors savoir si du moins il lui est permis d'espérer. La jeune femme invoque alors leur différence de rang, afin de justifier sa froideur : dans la mesure où elle est indigne d'un fils de roi, les sentiments du jeune prince sont déplacés. De toute manière, quand bien même elle ne serait pas indifférente, elle refuserait que l'homme aimé lui parle d'amour.
Lire l'épisode ⬇Pour le Prince Myrsile, comme il se vit sur le point de s'esloigner de Doralise, il ne pût se resoudre de partir, sans luy avoir encore une fois parlé de sa passion : mais quelque dessein qu'il en eust, dés qu'il se vit aupres d'elle, sa hardiesse le pensa quitter : car il vit sur le visage de Doralise, je ne sçay quelle froideur inquiete qui luy fut de mauvais presage : et qui luy sit garder un silence, ui n'embarrassa guere moins Doralise qu'eussent pû faire ses paroles : parce qu'elle jugeoit bien, par le desordre de l'ame de ce Prince, que s'il ne venoit personne, il luy diroit ce qu'elle ne vouloit pas entendre. Neantmoins, pour l'en empescher elle se mit à luy faire cent questions, de choses fort esloignées de celles qu'elle craignoit qu'il luy dist : d'abord le Prince Myrsile y respondit : mais à la fin s'ennuyant de tant de questions inutiles ; Cessez, aimable Doralise, luy dit-il : cessez de me demander tant de choses ou vous ny moy n'avons aucun interest : et souffrez qu'apres vous avoir respondu à tant de demandes peu necessaires, je vous en face une à mon tour, où il importe de tout mon repos que vous respondiez, et que vous respondiez favorablement. Pour y respondre Seigneur, dit-elle, je vous le promets : mais pour y respondre favorablement, je ne m'y engage pas : et je ne m'y dois pas engager, sans sçavoir auparavant ce p. 370que vous voulez me demander. je luy veux, dit-il, que vous me disiez devant que je parte, mais que vous me le disiez sincerement, si ce n'est que par cette fierté naturelle qui paroist en toutes vos actions, que vous rejettez l'affection que je vous offre, ou si c'est par quelque aversion dont la cause vous soit connuë, ou dont vous ne puissiez dire la raison ? De grace, adjousta ce Prince, ne me refusez pas de me parler avec la mesme franchise, que si vous parliez à la plus fidelle de vos Amies. je vous assure Seigneur, interrompit Doralise, que si je ne vous dis que ce que je dis à la meilleure de mes Amies, je ne vous diray pas de grands secrets : estant certain que je n'aime point à parler de moy à personne : et je ne sçache rien qui me soit plus incomprehensible, que ces faiseuses de confidences, qui vont dire tous les mouvemens de leur coeur, toutes les pensées de leur esprit, et tous les sentimens de leur ame, à tous ceux qui les veulent entendre : car je suis persuadée, qu'elles disent bien souvent qu'elles sentent et qu'elles pensent, ce qu'elles n'ont jamais ny pensé ny senty. Pour moy j'advouë que je ne suis pas de cette humeur : et j'ay à vous dire que ceux qui veulent sçavoir mes sentimens doivent les deviner, ou les connoistre par mes actions, sans m'obliger à les leur dire plus precisément :car de penser m'engager à chercher dans le fonds de mon coeur ce qu'il y a, c'est ce que je ne sçaurois faire : estant méme bien aise de ne p. 371me connoistre pas tant, et de ne me donner pas la peine de sçavoir moy-mesme tout ce que je pense. En effet, adjousta-t'elle, pour empescher le Prince Myrsile de luy parler, je me suis apperceuë plus d'une fois en ma vie, que j'avois des Amies, et mesme quelquesfois des Amis, que j'aymois plus que je ne pensois les aimer : et qu'il y avoit aussi d'autres personnes que je haïssois plus que je ne croyois les haïr. Ha, Doralise, s'escria ce Prince en l'interrompant, je suis asseurément de ce dernier ordre ! mais de grace si cela est faites que je le sçache precisément : afin que je regle la fuite de ma vie, selon les sentimens que vous avez pour moy. La haine, Seigneur, reprit Doralise, est un sentiment que je ne dois pas avoir pour un Prince, de qui selon les apparences, je seray un jour Sujette : mais pour agir raisonnablement, agissez pourtant comme si je n'aimois rien, et que je ne pusse jamais rien aimer : car selon mon sens, vous en serez plus en repos et moy aussi. je n'entends pas toutesfois, adjousta t'elle, perdre le respect que je vous dois : au contraire, je pretends en avoir plus que je n'en ay jamais eu. Le respect, repliqua Mirsile, est un sentiment qui doit estre inseparable de toutes les actions d'un Amant : mais cette parole est la plus injurieuse, qu'un homme amoureux puisse ouïr, de la bouche d'une personne qu'il aime. On peut respecter son Maistre ou son Tiran : mais respecter un Esclave amoureux ; ha Doralise c'est ce qui n'a point d'exemple ! p. 372et l'on ne se sert jamais de cette cruelle parole que vous avez prononcée, que pour cacher de la haine ou de l'aversion à un homme que le caprice de la Fortune plustost que la raison, a fait naistre au dessus de celle qu'il ayme. Mais Seigneur, interrompit Doralise, puis-je ne sçavoir pas que vous estes sils du Roy de Lydie ? vous l'auriez sans doute oublié, reprit-il, si vous sçaviez que je suis vostre Esclave, de la maniere dont je voudrois que vous le sceussiez : car enfin puis que j'oublie, lors que je suis aupres de vous, ce que je suis veritablement, et que je ne crois estre que vostre Amant ; il me semble que vous pourriez bien faire la mesme chose, et ne me regarder que comme je le veux estre. Me preservent les Dieux, repliqua fierement Doralise, de faire ce que vous dites ! car Seigneur, si je vous regardois comme mon Amant, sans vous regarder en mesme temps comme le sils de Cresus, et comme le Prince Myrsile, je vous aurois desja dit plus de cent choses fâcheuses, je vous aurois desja deffendu de me voir ; et je vous haïrois desja horriblement. Vous ne me haïssez donc pas encore, reprit cet amoureux Prince ; Puis que je l'ay dit sans y penser (repliqua Doralise, avec un sousrire le plus indifferent du monde) je ne m'en veux pas desdire : mais, Seigneur, adjousta-t'elle, en rougissant de despit, il y a un grand intervalle entre la haine et l'amour. Pourveu que je fuse un peu au de là de l'indifference, respondit-il, je ne desespererois p. 373pas de mon bon heur. De tous les sentimens que la passion dont vous parlez, peut inspirer dans le coeur d'un Amant, reprit-elle, il n'y en a point qui me semble plus offençant pour la personne qu'on aime, que l'esperance : c'est pourquoy je ne vous conseille pas d'en avoir. Que voulez vous donc que je devienne ? reprit-il ; le veux, dit-elle, si ce mot n'est point trop libre, que vous ne me disiez plus ce que je ne dois pas entendre : et ce que je ne sçaurois escouter, qu'avec une colere estrange. Car enfin Seigneur, poursuivit-elle, de la maniere dont j'ay l'esprit, quand je ne haïrois pas un homme qui m'aimeroit, et que je ne ferois pas mesme marrie qu'il m'aimast, il est constamment vray que je ne voudrois pas qu'il me le dist : et que la chose du monde qui m'importuneroit le plus, seroit un discours d'amour. Jugez donc si sçachant comme je le sçay, que nulle bien-seance, ne souffre que je vous regarde comme mon Amant, si je dois endurer que vous me parliez comme vous faites : c'est pourquoy, Seigneur, reglez s'il vous plaist vostre esprit, afin de regler vos paroles : et mettez moy en estat de me réjouïr de la gloire que vous allez sans doute aquerir à la guerre, et de souhaiter vostre retour. Pour estre en pouvoir d'acquerir de la gloire, reprit-il, et de songer à revenir, il faudroit ne craindre pas de ne pouvoir aquerir vostre estime, et de vous retrouver aussi fiere que je vous laisse.
Épisode 69 : Préparatifs pour le siège de Cumes – 6 min.
Myrsile et Doralise sont interrompus par Cyrus, accompagné d'Aristhée, qui vient également faire ses adieux à la jeune femme, pour laquelle il ressent une forte amitié. Cette première visite est suivie d'une seconde le lendemain. Pendant ce temps, Cyrus, passant en revue ses troupes, constate que le repos suivant la prise de Sardis leur a fait plus de mal que de bien : en effet, hormis l'armée perse, aucune n'est complète. Le conquérant commence à craindre de n'être pas suffisamment armé pour l'attaque de Cumes. Par ailleurs, il songe aux divers obstacles qui risquent d'entraver ses opérations : en raison du sable et des marécages, les conditions de campement aux alentours de la ville sont extrêmement mauvaises ; Cumes s'avère particulièrement difficile à attaquer ; enfin, son absence de Sardis risque de lui faire perdre cette dernière ville. Il décide dès lors de faire fortifier une autre cité conquise, Thybarra, qui se trouve sur la route de Sardis. Puis, lors d'un conseil de guerre, il révèle ouvertement son intention d'attaquer Cumes.
Lire l'épisode ⬇Comme ils en estoient là, Cyrus suivy p. 374d'Aristhée arriva : qui venant de dire adieu à Arianite, venoit aussi faire sa derniere visite à Doralise : qui reçeut l'honneur qu'un si Grand Prince luy faisoit, avec autant de respect que de joye. Cette aimable Fille avoit pourtant une extréme desplaisir de le voir aussi mal heureux qu'il estoit : aussi sit elle mille voeux pour la fin de ses infortunes, et mille souhaits pour la liberté de Mandane, qu'il fut tout le sujet de cette conversation. Comme tous les momens sembloient des Siecles à Cyrus, dans l'impatience où il estoit de se voir à la Teste de son Armée, et de commencer d'agir pour sa Princesse, sa visite ne fut pas longue : mais comme il ne sçavoit pas que le Prince Myrsile fust amoureux de Doralise, il luy rendit un mauvais office : car il l'emmena aveque luy, pour l'entretenir de quelque chose qu'il vouloir que le Roy son Pere fist devant que de partir de Sardis. Ainsi Doralise fut delivrée d'une conversation qui l'embarassoit : ce n'est pas qu'elle n'estimast extrémement le Prince Myrsile : mais c'est que naturellement elle avoit dans le coeur je ne sçay quoy de fier, qui estoit opposé à toutes sortes de galanteries : estant certain qu'il n'y avoit rien de plus difficile, que d'estre Amant de Doralise sans luy desplaire. Cependant Aristhée, qui avoit une estime tres particuliere pour elle, luy sit ses adieux à part : et luy rendit une visite le lendemain, qui dura l'apresdisnée tout entiere. Comme cette conversation fut longue, p. 375elle fut extrémement diversifiée : et il connut si bien toute l'estenduë de l'esprit de cette Personne, qu'il ne pût s'empescher d'avoir pour elle, cette espece d'affection dont son coeur estoit capable , qui n'estant ny amour, ny amitié, avoit pourtant tout ce que la premiere a de galant, et tout ce que l'autre a de tendre et de passionné. Mais jusques au point, que s'il eust tardé davantage à Sardis, il luy eust sans doute donné le premier rang sur toutes celles pour qui il avoit eu de cette affection meslée qui n'a point eu de nom, parce qu'il ne s'en est jamais guere trouvé que dans le coeur d'Aristhée. En effet dans ce peu de temps qu'il la vit, il luy dit plus de choses flatteuses et obligeantes, qu'un autre ne luy en eust pû dire en toute sa vie : et il les luy dit mesme d'une maniere qu'elle n'eut pas la force de s'en fascher. Mais encore qu'elle ne s'en faschast point, lors qu'Aristhée les luy dit, elle ne pouvoit pourtant presques souffrir qu'Arianite et Pherenice luy fissent la guerre de cette illustre conqueste, et entreprissent de luy soustenir qu'elle n'estoit pas marrie de l'avoir faite : tant il y avoit quelque chose de particulier et de delicat dans son esprit, en matiere d'affection galante. Aristhée se separa pourtant fort bien d'avec elle : en fuite dequoy il se prepara à suivre Cyrus, jusques à ce qu'il eust eu des nouvelles du Roy de Phenicie, apres l'arrivée de l'Ambassadeur qui luy devoit rendre la Statuë d'Elise. Pour Andramite il ne fut pas si heureux p. 376qu'Aristhée, car il ne pût dire adieu en particulier à Doralise qui l'esvita avecque soin. Cependant Cyrus, apres avoir laissé Hidaspe pour commander dans la Citadelle de Sardis, en partit accompagné de Cresus et de Myrsile : ainsi on voyoit les vaincus aller à la guerre pour leur Vainqueur. Le peu de Soldats Lydiens qui estoient encore en estat de servir, furent distribuez en diverses Troupes de l'Armée de Cyrus : qui ne fut pas plustost au Camp, qu'il en sit faire la reveuë. Mais il fut bien affligé, de trouver qu'excepté les Troupes Persanes, il n'y en avoit aucune qui fust complete : et il trouva enfin que le repos avoit plus sait déperir son Armée, que n'auroient pû faire deux Batailles. De sorte qu'aprenant que la Ligue qui se formoit contre luy, en avoit une qui commençoit d'estre extrémement forte, et voyant la sienne affoiblie, et par les Soldats desbandez, et par les Garnisons qu'il falloit qu'il laissast à toutes les Places conquises, il en eut une affliction inconcevable. De plus, venant à considerer le dessein d'assieger Cumes, il le trouva bien plus difficile, que son amour ne le luy avoit d'abord representé : il sçavoit qu'il faudroit qu'une grande partie de son Armée campast sur des Sables mouvans, qui l'incommoderoient extrémement : et que l'autre fust en des lieux Marescagieux, et parmy des Eaux croupies, et des Terres bousbeuses. Il sçavoit encore qu'à l'entour de Cumes, on ne trouvoit rien de tout ce qui est p. 377necessaire pour le Campement d'une Armée : que la sterilité du lieu feroit que les Soldats qui n'auroient point de Tentes, n auroient ny bois, ny aucune chose pour se faire des Huttes. Que la Cavalerie n'auroit nul logement commode, ny aucun fourrage : et de la façon dont on luy representoit les choses, on eust dit que son Armée ne pourroit estre trois jours devant Cumes sans y perir. La difficulté d'avoir des vivres, sembloit encore rendre ce dessein là impossible :car il n'en pouvoit venir par Terre, que d'un costé que la Mer inondoit quelquesfois : et pour la voye de la Mer, elle n avoit rein d'assuré, à cause que la Plage estoit sans Ports : et que durant la tdmpeste, on ne pouvoit aborder. Ainsi ce grand Prince voyoit que si la tourmente venoit, et duroit seulement trois jours, il faudroit lever le Siege. Outre toutes ces considerations, il voyoit encore qu'il n'y avoit nulle esperance de prendre Cumes, si ce n'estoit en bouchant le Port : ny d'empescher que le Roy de Pont n'enlevast Mandane une troisiesme fois. Cependant il craignoit estrangement qu'en la Saison où il estoit, les Vaisseaux qu'il auroit ne pussent tenir la Mer si prés de la Terre sans faire naufrage, à cause des vents qui soufflent d'ordinaire à la fin de l'automne. De plus la place estoit d'elle mesme extrémement forte : la Garnison l'estoit aussi : et comme en toutes les Villes Maritimes, les peuples sont plus agueris qu'aux autres lieux, celuy de Cumes l'estoit extrémement. p. 378Tous les Habitans estoient munis : les Magasins publics estoient pleins : et ce qui estoit le plus considerable, c'est qu'outre que cette place devoit estre deffenduë par le Roy de Pont, qui estoit vaillant et amoureux , et par le Prince de Cumes qui avoit du coeur, et qui aimoit la gloire ; c'est qu'il y avoit un homme aupres de ce dernier, qui avoit soustenu un Siege, avec une valeur inouïe : et qui sçavoit si admirablement tout ce que l'Art Militaire enseigne pour garder les places ; qu'il avoit osé se vanter, qu'il arresteroit les conquestes de Vanqueur de l'Asie : et qu'il auroit l'avantage d'empescher de vaincre, celuy à qui rien n'avoit pû resister : et qui ne pouvoit conter le nombre de ses combats, sans conter celuy de ses victoires. Quelques grandes que fussent ces difficultez, l'amour que Cyrus avoit pour Mandane et pour la gloire, les surmonta : il est vray pourtant que la sterilité du lieu où il falloit qu'il menast son Armée l'inquietoit, par la crainte qu'il avoit qu'elle n'y pûst subsister, autant qu'il faudroit pour prendre cumes : que celle d'oster à ceux de cette Ville la communication qu'ils avoient avec une autre, qui pourroit leur fournir des vivres, l'affligeoit : joint aussi qu'il aprehendoit qu'esloigant son Armée de Thybarra, qu'il avoit conquise au commencement de la Campagne, les Ennemis ne la reprissent : et ne luy ostassent la communication de Sardis. Mais apres tout, quand ce Prince eut bien consideré tous ces inconveniens, p. 379il se resolut d'y aporter les remedes qui s'y pourroient apporter : en effet il donna ordre pour la subsistance de son Armée, que l'on pourveust toutes les places qu'il tenoit : c'est à dire celles qui estoient le plus proche de Cumes. Il disposa ses Troupes en façon, que faisant plusieurs petits corps qu'il détacha de son Armée, il cachoit son dessein aux ennemis : et estoit pourtant tousjours en estat de les pouvoir r'assembler facilement quand il voudroit , selon les besoins qu'il en pourroit avoir. Et pour assurer Thybarra, il se resolut, en attendant qu'il eust des nouvelles de Thrasibule, en qui il se fioit plus qu'en aucun autre, pour luy envoyer des Vaisseaux, de la faire fortifier. Ce dessein ne fut pas plustost pris, que marchant vers cette Ville, il l'executa, avec une capacité, et une diligence si prodigieuse, qu'on peut dire que les Fortifications de Thybarra, furent plustost achevées par Cyrus, qu'un autre n'en eust pu regler le dessein. Il choisit luy mesme tous ceux qu'il destina à ce travail : et pour l'avancer d'avantage, il voulut que les Soldats y servissent. Il ordonna qu'en chaque Quartier, il y eust un homme de Commandement, qui eust l'oeil sur ceux qui travailloient : et pour ne perdre point de temps, la Cavalerie alla couper du bois pour faire des Pieux, afin de soustenir la Terre qu'on remüoit : et pour mesnager encore mieux les heures et les momens, il commanda que durant qu'on fortifieroit la Ville on la munist. Pour p. 380cét effet, tous les Païsans des environs de Thybarra, eurent ordre d'y aporter du fourrage et des vivres : il choisit des Gens pour les faire conduire : d'autres pour en tenir conte : et d'autres encore, pour les mettre dans des Magasins publics. Jamais on n'a veû tant de diligence ny tant d'ordre : car on voyoit en un mesme temps une grande Armée, une Ville toute entiere, et presques tout un Païs, agir pour une mesme chose, et suivre les volontez d'un seul homme : mais avec tant d'exactitude, et tant de regularité, que jamais on n'a oüy parler d'une telle chose. Il est vray que Cyrus y estoit luy mesme present, conduisant les Travaux avec une capacité merveilleuse : aussi sut-il si bien obeï, qu'en quatorze jours Thybarra fut fortifié, et muny de toutes choses : et ce Prince prest à marcher, des qu'il auroit eu la responce de Ciaxare, et qu'il auroit des Vaisseaux. L'impatience qu'il avoit d'achever une entreprise, qui devoit luy faire delivrer Mandane, et le couvrir de gloire si elle reüssissoit, faisoit que les heures luy sembloient des Siecles : il n'attendit pourtant que huict jours, les nouvelles qu'il souhaitoit avec tant d'ardeur :car il reçeut en mesme jour les ordres de Ciaxare, qui ne luy prescrivant rien positivement, sembloit laisser toute cette entreprise à sa conduite ; et il reçeut aussi les assurances que Thrabule luy donnoit, qu'il iroit en Personne avec dix Vaisseaux, s'anchrer dans le Canal de Cumes, à un jour qu'il luy marquoit : l'assurant que p. 381ce nombre suffisoit pour en fermer le Port, sans qu'il employast le Prince de Mytilene. De sorte que Cyrus ravy de joye, communiqua aussi tost ces deux nouvelles au Prince Mazare : mais comme Cyrus craignoit que ce nombre de Vaisseaux que Thrasibule luy donnoit, ne suffit pas pour empescher que le Roy de Pont ne pûst faire sortir Mandane de Cumes, en faisant couler la nuit quelque Barque le long de la Terre, il donna ordre qu'on eust plusieurs petits Vaisseaux des Ports les plus proches dont il estoit Maistre. Et en effet, les soins qu'il en prit sirent qu'il en eut douze d'un costé, deux d'un autre, et un d'un autre encore : faisant aussi rassembler le plus de Barques qu'il pût. De sorte que faisant une assez grande Flotte de tous ces petits Vaisseaux, il l'envoya joindre Thrasibule : ordonnant que Leontidas la commandast, sous le Prince de Millet. Apres cela Cyrus ne faisant plus un secret de son dessein, tint Conseil de Guerre : où le Roy de Lydie, celuy d'Hircanie, le Prince Artamas, Mazare, Myrsile, Persode, Gobrias, Gadate, Anaxaris, et tous ceux qui avoient accoustumé d'en estre, se trouverent : pas un n'osant insister sur la difficulté de l'entreprise, voyant que c'estoit une chose resolve, et que Cyrus souhaitoit avec tant d'ardeur.
Épisode 70 : La lettre de Martesie – 3 min.
Aristhée est rappelé en Phenicie, tandis que deux de ses compagnons, Clearque et Megabate arrivent de Tyr pour soutenir Cyrus. Ce dernier reçoit une autre nouvelle excellente : une lettre de Martesie l'informe que Mandane, ayant appris l'enlèvement d'Araminte, se repent de son injuste jalousie. Cyrus, fou de joie, décide néanmoins de ne pas montrer la lettre à Mazare afin de ne pas le chagriner.
Lire l'épisode ⬇De sorte qu'ayan seulement tenu Conseil sur les moyens de la faire reüssir, tout le monde eut ordre de se tenir prest à partir dans un jour : durant lequel il arriva une chose à Cyrus, qui luy fut d'un heureux p. 382presage. Car le vaillant Megabate, et le genereux Clearque, poussez d'un violent desir de gloire, estans partis de Phenicie, dés qu'ils sçeurent par les Lettres de l'Ambassadeur de leur Roy, que Cyrus devoit bien tost se mettre en Campagne, arriverent au Camp, voulant partager les perils où un si grand Prince devoit s'exposer, afin d'avoir aussi quelque part à l'honneur qu'il aqueroit. Aristhée estant donc agreablement surpris de l'arrivée de deux hommes dont il estoit cherement aimé, sit sçavoir à Cyrus qui ils estoient : bien que ce Prince les connust desja admirablement, par ce qu'il en avoit oüy dire à Telamis, lors qu'il avoit raconté l'Histoire d'Elise. Aussi les reçeut il avec beaucoup de joye, et avec la civilité qu'il avoit accoustumé d'avoir, pour les hommes d'un merite extraordinaire. Il est vray qu'en gagnant Megabate et Clearque, il perdit Aristhée : qui reçeut en mesme temps ordre du Roy de Phenicie, de remercier Cyrus de la grace qu'il luy avoit accordée, et de s'en retourner à Tyr : n'estant plus besoin qu'il demeurast aupres de Cyrus, pour les raisons qu'il luy en escrivoit. De sorte que cét excellent homme se separa de ce grand Prince, plustost qu'il n'en avoit eu le dessein : mais il s'en separa si satisfait de son esprit, de sa generosité, et de sa courtesie, qu'il advoüoit que depuis qu'il estoit au monde, il n'avoit point veû d'homme, n'y avoit point oüy dire qu'il y en eust eu, de si propre à faire concevoir la Grandeur des p. 383Heros, et mesme celle des Dieux, que Cyrus :adjoustant que la connoissance de ce Prince, luy serviroit extrémement à luy eslever l'esprit : et à luy faire encore achever son Poëme mieux qu'il ne l'avoit commence. Cependant Aristhée, apres avoir pris congé de Cyrus , et dit adieu à tous ces Princes donc il estoit connu , et infiniment estimé, partit de Thybarra : et encore que ce ne fust pas son droit chemin de s'en retourner par Sardis, l'estime qu'il avoit pour Doralise, luy persuadant que c'estoit le plus court, ce fut par là qu'il s'en retourna à Tyr. Mais si l'arrivée de ces deux vaillans Pheniciens, fut d'un heureux presage à Cyrus, celle d'un des Esclaves qu'il avoit donnez à celuy qu'il avoit renvoyé à Cumes, luy fut presques une assurance certaine de l'heureux succés de son entreprise : car enfin il reçeut par luy un Billet de Martesie, où il trouva ces paroles.
MARTESIE A L'ILLUSTRE CYRUS.
L'Enlevement de la Princesse Araminte, que j'ay fait sçavoir à la Princesse Mandane, vous ayant justifié dans son esprit, j'ay creû que je devois vous m advertir :afin que vous agissiez, avec plus de joye, pour la liberté d'une Personne qui se repent de l'injustice qu'elle vous a p. 384faite. C'est pourtant sans sa participation, que je vous donne de ses nouvelles : mais je suis toutesfois assurée que quand elle le sçauroit, elle me pardonneroit aisément la liberté que je prends de vous escrire : estant certain que si elle ne le fait pas elle mesme, c'est que son grand coeur ne peut consentir qu'elle vous advouë qu'elle a eu tort. Cependant, Seigneur, soyez s'il vous plaist sans inquietude, du costé du Roy de Pont : et soyez fortement persuadé, que si Cumes estoit au si imprenable que le coeur de Mandane est invincible pour luy, vous ne la delivreriez jamais.
MARTESIE.
La lecture de cette Lettre, donna une si grande joye a Cyrus, qu'il en oublia presques tous ses malheurs passez : et l'esperance s'emparant de son esprit, malgré tous ses funestes Oracles qu'il avoit reçeus, et malgré toutes ces difficultez qu'il avoit preveuës au Siège de Cumes, il ne douta presques plus que tout ne luy reüssist heureusement. Cependant il s'informa de cét Esclave, qui estoit fort intelligent, comment il avoit eu ce Billet, et de l'estat ou estoient les choses dans la Ville ? pour le premier il luy dit que son Maistre le luy avoit donné, sans luy aprendre comment il l'avoit eu : et pour le reste, il luy donna une ample instruction de tout ce qu'il vouloit sçavoir : car par là il sçeut l'ordre qu'on gardoit dans la Ville, et comment on gardoit la Princesse : qui n'estoit plus inconnuë dans Cumes comme elle y avoit esté, non plus que le p. 385Roy de Pont. Il aprit aussi par cette mesme voye, que l'Armée ennemie se preparoit à secourir Cumes, lors que le Siege se formeroit : et que Pactias et un apellé Lycambe la commandoient :adjoustant à l'instruction qu'il avoit donné à Cyrus, que par l'ordre qu'on devoit establir aux Portes de cette Ville, le jour qu'il en estoit party, il seroit desormais presques comme impossible, que son Maistre pûst luy donner de ses nouvelles. Apres cela Cyrus delibera en luy mesme, s'il montreroit la Lettre de Martesie au Prince Mazare : mais il resolut de ne luy faire voir que l'instruction qui luy aprenoit l'estat de choses : car encore que le bonheur d'un Rival, face pour l'ordinaire mourir l'amour dans le coeur d'un Amant mal traité , cela n'arme pas tousjours : et il y a certaines occasions, où la jalousie resveille cette passion, et la fait renaistre au lieu de l'estouffer. De sorte que pour ne se redonner pas un Rival aussi amoureux qu'il l'avoit esté, et pour n'exposer pas Mazare à un aussi cruel suplice qu'estoit celuy de sçavoir qu'il estoit tousjours bien dans l'esprit de Mandane ; il ne luy monstra point la Lettre qu'il avoit reçeuë.