Partie 7 (voir le frontispice) – Livre troisième.
Gravure de la partie 7, livre 3.
Résumé de la séquence
Cyrus reçoit des nouvelles de Spitridate : ce dernier s'est battu avec Phraarte, mais il n'a pu empêcher que son rival ne se sauve à nouveau en emmenant de force Araminte. Mazare, quant à lui, conçoit une soudaine inquiétude au sujet de la pierre Heliotrope et en fait part à Cyrus. Les deux amants de Mandane, ignorant que le roi de Pont a perdu le joyau, craignent que celui-ci ne s'en serve une nouvelle fois pour enlever la princesse. Peu après, Cyrus reçoit une lettre du roi d'Assirie, qui a été fait prisonnier par le roi Arsamone. Le vainqueur ne tarde pas à se manifester : il propose à Cyrus d'échanger son rival contre le roi de Pont, ennemi personnel d'Arsamone, dès qu'il sera tombé aux mains de Cyrus. Celui-ci s'offusque d'un procédé qu'il juge indigne de lui, et se contente de proposer une rançon en échange du roi d'Assirie. Pendant ce temps, dans la ville de Cumes, Tiferne, mandaté par Cyrus, s'applique à semer le trouble au sein de la population, dans le dessein de susciter une sédition. De son côté, Anaxaris, tombé amoureux de Mandane, profite de l'agitation du peuple pour attaquer le château du prince de Cumes, secondé par les gardes dont il a acquis la confiance. Le roi de Pont, blessé, est contraint de fuir, tandis que le prince de Cumes meurt au combat. Mandane est libérée. Le peuple l'acclame et désire qu'elle transmette en personne les clefs de la ville à Cyrus.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 101 : Nouvelles des amis de Cyrus – 3 min.
Un homme apporte à Cyrus une lettre de Tigrane : on y apprend que Spitridate a retrouvé Phraarte et que les deux hommes se sont battus. Toutefois, Phraarte est parvenu à s'enfuir à nouveau, emmenant de force la princesse Araminte. Après avoir écouté ces nouvelles, Cyrus apprend qu'Arianite et Doralise, ne doutant pas de la victoire de Cyrus, ont quitté Sardis pour Thybarra.
Lire l'épisode ⬇p. 545Le lendemain au matin, Timochare, estant allé au leuér de Cyrus, ce Prince s'aquita de la promesse qu'il avoit faite à Philocles : mais en luy parlant, il connut bien qu'il donnoit un conseil que la Reine de Corinthe né suivroit pas. Cependant pour tesmoigner combien il estimoit cette Princesse, il redoubla encore ses civilitez pour Timochare, à qu'il fit voir tous ses Travaux : en suitte dequoy, apres un magnifique repas, Thimochare s'en retourva à sa Plotte : ne voulant pas demeurer d'avantage au camp, de peur de quelque accident impreveû, quoy que la Tréue deûst l'assurer. A peine estoit il party, qu'un de ceux que Cyrus avoit donnez à Spitridate arriva : il ne le vit pas plustoit, qu'ayant une extréme impatience de sçavoir ce qui luy estoit p. 546advenu, il le pria de le luy aprendre : mais auparauant que de luy dire ce qu'il en sçauoit, il luydonna une Lettre de Tygrane, où il trouira ces paroles.
TYGRANE A L'ILLUSTRE CYRUS.
Le Prince Spitridate estant biessé a la main droite, il faut que ce soit de la mienne, que vous sçachsez qu'il est si malheureux, qu'il n'est pas mesme en estat d'accenter les offres genereuses que vous luy auez faites. Car enfin, apres auoir rencontré le Rauisseur de la Princesse Araminte que je ne puis apeller mon Frere ; apres s'estre batu contre luy, durant que j'estois d'vn autre costé, a chercher des nouvelles de cette Princesse ; il a eschapé a sa vangeance, apres l'auoir legerement blessé à la main : et s'est allé embarquer a un Port de Galatie où nous l'auons suiuy , à' où nous nom embarquons aussi, sans sçauoir pourtant precisément la route qu'il a prise. Apres cela, Seigneur, je n'ay plus qu'à vous dire, que la reconnaissance que le Prince Spitridate a pour vous, est aussi grande que sa douleur : et que la colere où te suis contre Phraarte, esgalle toutes les deux : quoy quelle ne sur passe pas la passion que j'ay pour vostre gloire.
TIGRANE.
Apres la lecture de cette Lettre, Cyrus s'insonna plus particulierement, de celuy qui l'auoit p. 547aportée, comment Spitridate auoit rencontre Phraarte : de sorte qu'il sçeut par cét homme, que ç'auoit esté dans un Bois. Que d'abord Phraarte l'ayant pris pour luy, il auoit voulu l'esuiter ; mais qu'vn de ceux qui estoient avec Spitridate luy ayant fait connoistre Phraarte, il l'auoit attaque le premier. Que leurs Gens s'estoiêt batus aussi bien qu'eux : mais qu'à la fin Phraarte voyant venir de loin Tigrance avec sa Brigade, avoit lasché le pied : et estoit allé par un chemin destourné qui le conduisoit dans l'espaisseur du Bois,où ils l'auoiet perdu de veuë. Qu'en suitte ils auoient sçeu qu' Araminte estoit pendant ce combat, dans une Cabane de Pastres, à deux cens pas du lieu, où ils s'estoient batus : et qu'elle y estoit avec ceux qui la gardoient, où Phraarte l'estoit allé prendre, et l'auoit menée à un Port de Mer, qui n'estoit qu'à trente Stades de là, eu on luy auoit prepare un Vaissean, durant qu'il auoit este à cette Cabane : ayant sçeu encore qu'il n'auoit pas este plustost arriué à ce Port, qu'il s'estoit embarqué : quelques vns ayat raporté qu'il estoit assez blessé. Cet homme adiousta encore, que Spitridate et Tigrane ayant esté à celieu là, y estoient arriuez trop tard : et qu'ils auoient pris la resolution de s'embarquer, et de mener avec eux ceux qu'il leur auoit donnez : apres quoy ils l'auoient enuoyé luy dire ce qui c'estoit passé. Comme Cyrus acheuoit d'escouter ce qu'on luy disoit de Spitridate, il sçeut par Feraulas qu'Arianite ne doutant point qu'il p. 548ne deust bien tost prendre Cumes, estoit partie de Sardis : et estoit venue à Thybarra avec Doralise, dont la Tance y avoit du bien et des affaires : et qu'ainsi elle estoit en lieu où elle pourrait facilement se rendre aupres de sa Maistresse, lors qu'elle seroit delivrée : Feraulas luy disant encore, que Pherenice ne l'ayant point voulu quitter, estoit aussi avec elle. Le Prince Myrsile, qui estoit present lors que Feraulas dit cette nouvelle à Cyrus, eut beaucoup de joye de pouvoir esperer de voir Doralise, à la fin du Siege : mais à peine Cyrus eut il achevé d'entendre ce que Feraulas luy disoit qu'on luy amena un Envoyé du Prince Philoxipe, et un du Prince de Cilicie, qui venoient l'assurer qu'ils luy envoyoient des Vaisseaux : de sorte que Cyrus ne voyant alors que de nouvelles esperances de vaincre, et de delivrer Mandane, avoit l'ame dans une assiete assez tranquile.
Épisode 102 : Inquiétudes au sujet de la pierre Heliotrope – 2 min.
Alors que Cyrus jouit d'une relative tranquillité d'esprit, Mazare se souvient soudain que le roi de Pont détient la pierre Heliotrope, capable de rendre celui qui la porte invisible. Craignant qu'il ne s'en serve une nouvelle fois pour enlever Mandane, il fait part à Cyrus de ses inquiétudes. L'amant de Mandane, se rendant compte du danger, est désemparé : comment a-t-il pu oublier la pierre Heliotrope ? Il s'en veut terriblement, et ne sait quelle disposition prendre.
Lire l'épisode ⬇Il est vray que ce calme ne fut pas long : car Mazare s'estant souvenu que le Roy de Pont pouvoit encore avoir les mesmes Pierres d'Heliotrope, avec lesquelles il avoit fait sauver Mandane de Sardis, en eut une douleur si sorte, que ne pouvant souffrir de l'avoir sans que son Rival l'eust aussi, il fut à l'heure mesme la communiquer à Cyrus ; qui demeura si surpris de ce que la pensée ne luy en estoit pas venuë, qu'il n'avoit guere moins d'estonnement que d'affliction. Ha Mazare, s'escria-t'il, nous n'aimons point assez Mandane, de n'avoir pas songe plus p. 549tost à craindre ce que nous craignons ! car enfin à quoy nous sert de former un Siege ; d'eslever des Travaux, d'avoir une puissante Armée Navale ; d'emporter tous les Dehors de Cumes ; d'avoir fait une Bréche raisonnable ; d'avoir commence une negociation qui sera heureuse, ou qui du moins en manquant, causera un soulevement dans la Ville, qui la sera prendre plus tost, si nostre Rival est tousjours en pouvoir de se dérober à nos yeux, et de nous enlever nostre Princesse ? Ha Mazare, je le dis encore une sois, je ne sçay à quoy nous avons pensé, d'avoir une esperance si ferme, sans songer à l'accident que nous craignons presentement, et que nous craignons sans y pouvoir donner ordre ! Justes Dieux, s'escrioit-il, comment le peut il faire, que j'aye esté capable d'un tel oubly, et d'un tel aveuglement ; moy qui ay accoustumé de prevoir des malheurs, qui ne m'arriveront peutestre jamais ? Les Dieux l'ont sans doute permis, reprit Mazare, afin que vous fumez plus capable de faire le Siege de Cumes aussi glorieusement que vous l'avez fait. Mais helas, repliqua Cyrus, que nous sert de l'avoir si heureusement avancé, malgré tous les obstacles que la Nature et les hommes y ont aporté, puis que la seule vertu d'une Pierre, va rendre tous nos travaux inutiles ? Peutestre qu'à l'heure que je parle, Mandane n'est desja plus dans Cumes, et que nostre Rival l'enleve une troisiesme fois. Mais à quoy bon entendre à une negociation, reprit p. 550Mazare, les choses estant aussi desesperées qu'elles sont, s'il avoit cette voye de sortir de Cumes ? C'est peutestre, repliqua Cyrus, pour se servir du temps de la Tréue pour cela, et pour abuser le Prince qui luy a donné retraite. Enfin Mazare, je ne sçay que dire ny que penser : mais je sçay bien que je ne me pardonneray jamais un si criminel oubly Ce n'est pas que je ne juge, que quand je me serois souvenu de ce qui me donne aujourd'huy de si mortelles aprehensions, cela n'eust de rien servy à nostre Princesse : mais c'est que je ne puisse souffrir, que j'aye esté capable d'un tel endormissement d'esprit, pour une chose qui occupe toutes mes pensées, et d'où dépend toute l'infortune ou tout le bonheur de ma vie. Helas, disoit il, je commence de m'apercevoir, que l'esperance est un bien, dont je jouïssois fort injustement, lors que vous estes arrivé ! car enfin, poursuivit ce Prince, il faut que j'advouë, que voyant toutes choses en si bon estat, je commençois non seulement d'esperer, mais de croire que j'avois mal expliqué les menaces que les Dieux me faisoient par leurs Oracles ; et que j'avois mal entendu la responce de la Sibile, aussi bien que celle de Iupiter Belus au Roy d'Assuie. Mais je voy bien que je me trompois, en croyant que je m'estois trompé : et que je ne suis pas encore à la fin de mes malheurs.
Épisode 103 : Nouvelles du roi d'Assirie – 4 min.
Un homme apporte une lettre à Cyrus de la part du roi d'Assirie : prisonnier d'Arsamone, il demande à son rival de venir le délivrer afin que les termes de leur accord – le duel qui décidera du sort de Mandane – puissent être respectés. Etonné, Cyrus se demande pour quelles raisons Arsamone détient le roi d'Assirie captif. Il décide d'offrir une rançon, et de livrer bataille si nécessaire.
Lire l'épisode ⬇Comme Cyrus achevoit de prononcer ces paroles, on luy amena un Soldat, qui dit qu'il avoit une Lettre à luy rendre : Cyrus luy demanda alors p. 551de qui elle estoit ? mais il luy respondit qu'il ne pouvoit le luy dire : et que tout ce qu'il en sçavoit, estoit qu'elle luy estoit escrite par un Prisonnier, qui estoit fort soigneusement gardé, dans un Chasteau de Bithinie, du costé qui touche la Galatie : et qu'elle luy auoit esté donnée par un de ses Gardes qu'il avoit suborné,avec ordre de la luy aporter. Cyrus prenant donc cette Lettre, sans sçavoir de qui elle venoit, l'ouvrit, et y trouva ces paroles.
LE ROY D'ASSIRIE A CYRUS.
La Fortune qui veut m'accabler de toute sortes de malheurs, n` est pas encore satisfaite de ce que je vous dois la vie, puis quelle vous que je vous doive encore la liberté. Mais souvenez vous, pour n'avior pas autant de peine à l'accorder à vostre Ennemy, que j'en ay à la demander à mon Rival, que vous ne pouvez posseder Mandane, tant que je seray Captif d'Arsamone puis que vous ne me pouvez vaincre sans me delivrer, ny sonder à la possession de cette Princesse sans m'avoir vaincu, puis que vous me le promistes a Smope. Seuvenez vous donc, que c'est a Cyrus a tenir les promesses d'Artamene : et ne resusez pas à un malheureux Amant, la satisfaction d'esperer de se vanger ou de mourir , et de n'estre jamais le spectateur du Triomphe de son Rival.
LE ROY D'ASSIRIE.
p. 552Voyez genereux Prince (dit Cyrus, en donnant cette Lettre à Mazare, apres avoir fait retirer celuy qui l'avoit aportée) que nostre Riual n'est pas mort : et considerez en mesme temps, je vous en conjure, à quelles bizarres avantures la Fortune m'expose. Mazare prenant alors cette Lettre, la leût : et tomba d'accord apres l'avoir leuë, que le destin de Cyrus estoit tout à fait extraordinaire. Mais quoy qu'il eust resolu d'aimer sans esperance, et de ne pretendre plus rien à Mandane ; il ne laissa pas d'avoir dans le fonds de son coeur, quelque legere consolation, de voir un nouvel obstacle au bonheur de Cyrus. Il eut pourtant la generosité de cacher ce sentiment là, à un Rival qui vivoit si bien aveque luy : et de se pleindre en aparence, d'une chose dont il ne pouvoit s'empescher de se réjouïr. Cependant quoy que ce fust une cruelle avanture à Cyrus, que d'estre obligé à delivrer un Rival, et uu Rival encore qui ne vouloir avoir la liberté, que pour luy disputer la possession de Mandane, où il ne pouvoit avoir aucun droit, il n'hesita pas un moment, à prendre une resolution digne de son grand coeur. Car comme il avoit un autre Rival pour tesmoin de sa force ou de sa foiblesse en cette rencontre, il fit un grand effort pour surmonter la repugnance qu'il avoit, à rendre un service à son ennemy. Quoy que je n'aye promis au Roy d'Assirie, dit-il à Mazare, que de combatre contre luy, et non pas de combatre pour luy, je ne veux p. 553pas laisser de luy accorder ce qu'il demande, et de le luy accorder mesme le plustost que je pourray : afin que si par un bonheur, que je n'ose esperer, se Roy de Pont ne pouvoit se servir de cette fatale Pierre, dont la prodigieuse vertu m'a donné tant de peine, et que nous delivrassions Mandane, je fusse plustost ou vainqueur, ou vaincu. Mazare entendant parler Cyrus de cette sorte, ne pût s'empescher par un premier sentiment, pour differer la liberté d'un de ses Rivaux , et le bonheur de l'autre, de luy dire qu'il portoit la generosité trop loin : mais Cyrus trouvant que l'Honneur et l'Amour vouloient qu'il fist ce qu'il avoit resolu de faire, ne changea point de sentimens. Non non, dit il à Mazare, il ne faut pas mettre le Roy d'Assirie en estat, de croire que sa valeur me soit redoutable : ny donner lieu à Mandane de penser que je veuille m'espargner un combat, pour m'assurer sa conqueste. Apres cela, ces deux Princes tascherent de deviner, comment le Roy d'Assirie pouvoit estre en Bithinie, et pourquoy Arsamone l'y retenoit :mais apres y avoir bien pensé, ils jugerent que ce Prince en partant de Sardis, auroit eu quelques faux advis de Mandane, qui l'auroient conduit de ce costé là : et qu'ayant esté reconnu, Arsamone l'auroit fait arrester. Ils n'en comprenoient pourtant pas bien la raison : car encore qu'ils sçeussent que la Princesse Istrine, que le Roy d'Assirie avoit tant mesprisée à Babilone, du temps de la Reine Nitocris, estoit p. 554niece d'Arsamone, et estoit aupres de luy, aussi bien que le Prince Intapherne, que le Roy d'Assirie avoit tant outrage ; ils ne comprenoient pas que cela fust une raison d'arrester ce Prince : et : ils concevoient aussi peu, pourquoy l'ayant arresté, Arsamone en faisoit un si grand secret. Mais enfin ne pouvant imaginer autre chose, Cyrus chercha par quelle voye il devoit donc songer à delivrer le Roy d'Assirie : de sorte qu'apres y avoir bien pensé , il resolut de faire deux choses. L'une , d'envoyer ordre qu'on tirast de toutes les Garnisons de Galatie et de Capadoce, dequoy former un Camp vollant, qui s'avanceroit le plus prés de la Frontiere de Bithinie qu'il pourroit : et l'autre, d'envoyer demander le Roy d'Assirie à Arsamone, avec ordre de luy offrir une Rançon proportionnée à la qualité du Prisonnier, et à la magnificence de celuy qui l'offroit. En suitte dequoy, si Arsamone refusoit de le rendre, celuy qui commanderoit les Troupes sur la Frontière de Bithinie,avanceroit vers le Chasteau où on le gardoit, et tascheroit de le surprendre : Cyrus ne trouvant pas juste d'affoiblir l'Armée qui devoit delivrer Mandane, pour aller delivrer son Rival. Ce dessein estant donc formé, il jetta les yeux sur Hidaspe, pour l'aller executer : luy commandant de mener aveque luy, celuy qui avoit apporté la Lettre du Roy d'Assirie. Mais afin que la chose se fist plus viste, il envoya dés le mesme jour ses ordres en Galatie et en Capadoce, par p. 555les Courriers qu'il avoit establis par tout l'Empire de Ciaxare : afin que quand Hidaspe arriveroit, il trouvast toutes choses prestes, pour executer son dessein. Mais Dieux, (s'escria Cyrus, en achevant de donner les derniers ordres pour cette entreprise) faut il qu'estant obligé d'employer tous mes soins pour la liberté de ma Princesse, je metrouve dans la necessité de les partager pour mon Rival ? Encore si j'estois assuré, dit-il en luy mesme, que je fusse bien toslen estat de le voir l'espée à la main, je me consolerois de tant de disgraces : mais connoissant la malignité de ma fortune, je ne doute presques point, que je n'aye le malheur de delivrer mon Ennemy, sans pouvoir delivrer Mandane. Cependant Mazare qui sçavoit qu'il avoit enlevé cette Princesse au Roy d'Assirie , lors qu'elle estoit à Sinope, se repentant de sa premiere pensée, eust bien voulu , pour reparer l'infidelité qu'il luy avoit faite, contribuer quelque chose à sa liberté : mais comme il avoit encore plus outrage Mandane que le Roy d'Assirie, et qu'il luyt importoit plus de reparer cette faute que l'autre ; il demeura au Camp, afin d'estre present à la prise de Cumes, ou à sa reddition. Ce n'est pas qu'il n'aprehendast presques esgallement, que Mandane s'y trouvast, on ne s'y trouvast point : et que la seule imagination de l'entreveuë de Cyrus et d'elle, ne luy donnait une sensible douleur.
Épisode 104 : La requête d'Arsamone – 2 min.
Le lendemain, Cyrus reçoit une lettre d'Arsamone : sachant que le roi de Pont, son ennemi personnel, est sur le point de tomber entre les mains de Cyrus, Arsamone lui propose de lui offrir en échange le roi d'Assirie, ancien ravisseur de Mandane. Cyrus s'offusque et refuse la proposition, car cet échange est indigne de sa manière de procéder. Par contre, il maintient l'offre de rançon.
Lire l'épisode ⬇Cependant comme une si la Fortune eust voulu mettre la generosité de p. 556Cyrus à toutes sortes d'espreuves, il arriva le lendemain un Envoyé d'Arsamone : qui luy ayant fait demander audiance en particulier, l'obtint de ce Prince, qui reçeut de sa main une Lettre d'Arsamone : mais comme elle n'estoit que de creance, ce fut par celuy qui la luy rendit, que Cyrus sçeut la proposition que le Roy son Maistre luy faisoit. Comme cet Envoyé estoit un homme entendu il prepara resprit de Cyrus, par un assez long discours : luy exagerant quelle avoit esté l'injuste usurpation des Rois de Pont sur ceux de Bithinie : et quelle avoit esté la violence du Roy d'Assirie, à autrager un Prince et une Princesse, qui touchoient de si prés à Arsamone. En suitte dequoy voulant interesser Cyrus à luy accorder ce qu'il desrroit ; le Roy mon Maistre (luy dit-il, apres avoir assez exageré les sujets de pleinte qu'il avoit contre ces deux Princes) s'est tenu heureux dans son malheur, d'avoir du moins des ennemis qui sont les vostres : et de n'avoir pas à aprehender, que vous les protegiez contre luy. Aussi est ce dans ce sentiment là, que sçachant que le Roy de Pont sera bientost en vostre puissance, il m'a ordonne de vous dire, que le Roy d'Assirie est en la sienne : et que si vous luy voulez remettre ce Prince usurpateur entre les mains, il remettra le Roy d'Assirie entre les vostres : si ce n'est que vous aimiez mieux qu'il le garde Prisonnier, pour vous delivrer d'un ennemy. je n'ay pas accoustumé, reprit Cyrus, de me servir de pareilles voyes, pour me deffaire de mes Rivaux : et je m'estonne p. 557qu'un Prince qui a reconquis son Royaume si glorieusement, veüille se deffaire de son ennemy, d'une maniere si peu glorieuse. Mais puis qu'Arsamone a bien eu l'injustice de tenir Spitridate dans une rigoureuse Prison, luy qui est un des plus illustres Princes du Monde, je ne dois pas trouver si estrange, qu'il y voulust tenir son ennemy. Cependant quoy le Roy de Pont soit le mien, et que le Roy d'Assirie le soit aussi, je ne veux ny livrer le premier au Roy de Bythinie, ny m'assurer de l'autre comme il me conseille : au contraite, j'ay fait offrir diverses fois au Roy de Pont de luy reconquerir son Estat, s'il vouloit me rendre la Princesse Mandane : et j'envoye demain, pour des raisons que je ne suis pas oblige de dire, offrir au Roy vostre Maistre, de luy payer la Rançon du Roy d'Assirie, afin de le remettre en liberté. Jugez apres cela, si je suis en pouvoir d'escouter la proposition que vous me faites : mais Seigneur, reprit cet Envoyé, ces deux Princes sont vos Rivaux, vos Ennemis, et les Ravisseurs de la Princesse Mandane. Il est vray, repliqua Cyrus, qu'ils sont ce que vous dites : mais suis d'autant plus obligé de me vanger d'eux par la belle voye : et de ne leur donner pas sujet de noircir ma reputation, qui graces aux Dieux n'a reçeu aucune tache, qu'on me puisse reprocher. Dites donc au Roy vostre Maistre, que je ne puis ny ne dois faire ce qu'il veut : et que s'il est bien conseille, il rapellera le Prince son Fils aupres de luy, et consentira p. 558sentira qu'il espouse la Princesse Araminre, dont la vertu est extréme : afin d'avoir un droit legitime au Royaume de Pont, si le sort des armes fait perir celuy à qui il appartient, durant la suitte de cette Guerre. Et pour le Roy d'Assirie, je ne laisseray pas de suivre mon premier dessein :et d'envoyer vers Arsamone, pour sçavoir s'il n'en changera point : Cét Envoyé voulut encore dire quelques raisons à Cyrus : mais ce Prince demeurant serme dans sa resolution, luy imposa silence. Cependant il donna ordre qu'on eust soin de luy, le retenant mesme deux ou trois jours au Camp, afin que les Troupes eussent le temps de s'assembler.
Épisode 105 : Inquiétudes du roi de Pont – 2 min.
Cyrus redoute en vain que le roi de Pont se serve de la pierre Heliotrope pour enlever Mandane : son rival est au désespoir, car il l'a perdue lors de l'embarquement ! Ignorant tout de cette péripétie, Cyrus ne peut cependant considérer la situation sans s'affoler, tant elle lui semble sans issue : Mandane le hait, le prince de Cumes commence à regretter de lui avoir offert son soutien, la ville est sur le point d'être prise, et il est l'ennemi du plus grand guerrier de la Terre. Pendant ce temps, un homme à la solde de Cyrus, Tiferne, est parvenu à s'infiltrer dans la ville, et reste à l'affût des moindres mouvements de l'ennemi.
Lire l'épisode ⬇Durant qu'il y fut, Gadate ayant sçeu qu'il estoit de Bithinie, et envoyé par Arsamone, fut fort surpris de ne recevoir point par luy de nouvelles ny d'Intapherne son fils, ny de la Princesse Istrine sa fille : mais cet Envoyé luy ayant dit qu'ils n'avoient pas sçeu son voyage, son estonnement cessa : et il leur escrivit par luy, lors qu'il partit avec Hidaspe :apres quoy, Cyrus demeura avec une inquietude, dont il ne pouuoit estre le Maistre : car toutes les sois qu'il pensoit, que peut estre Mandane n'estoit plus dans Cumes, il avoit une douleur qu'on ne sçauroit exprimer. La cruelle avanture qu'il avoit euë à Sinope, et celle qu'il avoit euë à Sardis, luy faisoient si bien concevoir quel seroit son desespoir, s'il arrivoit qu'il prist Cumes sans delivrer Mandane ; que la seule crainte qu'il en avoit, ne l'affligeoir guère moins, p. 559que si ce malheur luy fust desja arrivé. Cependant cette crainte qui luy paroissoit si bien sondée, ne l'estoit pourtant pas : et le Roy de Pont estoit aussi affligé d'avoir perdu les Pierres d'Heliotrope, que Cyrus l'estoit dans la croyance qu'il les avoit encore. En effet, toutes les fois qu'il se souvenoit qu'en s'embarquant au Port d'Atarme, avec tant de precipitation, lors qu'il avoit pris Spitridate pour Cyrus, il avoit donne toutes ces Pierres à porter à un des siens ; et qu'il se souvenoit encore que dans ce tumulte celuy à qui il les avoit baillées, les avoit laissé tomber dans la Mer, il estoit en un desespoir sans esgal : s'accusant d'une imprudence extréme, d'avoir si mal choisi celuy à qui il les avoit confiées : car plus la fin de la Tréve aprochoit, moins il imaginoit d'aparence de trouvre les voyes de sauver Mandane. Le Prince de Cumes, qui voyoit son estat perdu, si cette Princesse en sortoit, observoit mesme alors assez exactement le Roy de Pont : de sorte que de quelque costé qu'il se tournait, il ne trouvoit que des choses fâcheuses. S'il regardoit Mandane, il la voyoit tousjours irritée contre luy : s'il regardoit le Prince de Cumes, il voyoit que son Protecteur estoit presque devenu son Espion : s'il tourvoit les yeux vers la Mer, il y voyoit une puissante Armée Navale : s'il les tournoit vers la Terre, il y voyoit des Lignes, des Forts, et des Soldats resolus à vaincre ou à mourir : s'il regardoit les Murailles de Cumes, il y voyoit une Bréche en estat p. 560estat de la faire prendre au premier Assaut que Cyrus seroit donner : s'il observoit les Habitans de cette Ville, il n'endoit que murmures contre luy : et s'il se consideroit luy mesme, il se voyoit le plus malheureux homme du monde : soitnt qu'il se considerast comme Amant, ou seuleme comme un Prince sans Royaume et sans appuy, ou mesme encore comme ennemy de Cyrus. Car comme il luy avoit de l'obligation, et qu'il luy en auroit encore pû avoir s'il eust voulu accepter les offres genereuses qu'il luy faisoit, il en avoit un despit extréme : de sorte que ce malheureux Prince ne voyant, comme je luy dit, que des choses fâcheuses ; n'imaginant nulle voye de se sauver ; et ne pouvant se resoudre à perdre Mandane, enduroit des maux incroyables. Cependant ce fidelle Agent que Cyrus avoit dans la Ville, continuoit ses Brigues et ses Cabales parmy le Peuple, pour le disposer à la revolte, en cas que le Prince de Cumes et le Roy de Pont, n'acceptassent pas les offres de Cyrus, au retour de ceux qu'on avoir envoyez vers Lycambe, vers Pactias, vers les Cauniens, et les Xanthiens. Cet homme, apellé Tiserne, estoit si adroit, et si propre à un pareil employ, qu'en effet il avoit luy seul inspiré un esprit de revolte dans toute cette Ville : il n'y avoit pas une Place publique dans Cumes, où il n'allast deux ou trois fois tous les jours : s'il voyoit seulement deux hommes arrestez à parler ensemble, il se mesloit à leur conversation : et entrant d'abord p. 561dans leurs sentimens , quels qu'ils pussent estre, ils les amenoit apres dans les Gens avec tant d'adreste, qu'ils croyoient plustost l'avoir persuadé, qu'ils ne pensoient qu'il les eust persuadez. Il n'y avoit point de jour, qu'il ne debitast quelque nouvelle estonnante, pour intimider le Peuple, et qu'il circonstancioit d'une telle sorte, qu'elle ne manquoit jamais d'estre creuë, et de faire l'effet qu'il en attendoit.
Épisode 106 : Anaxaris, amoureux de Mandane – 5 min.
De son côté, Anaxaris côtoie chaque jour Mandane. Sa beauté ne le laisse pas insensible, d'autant que la jeune fille lui témoigne une grande affection, car elle voit en lui un ami de Cyrus. Mais bientôt, Anaxaris ne peut plus se soustraire à sa passion, et trouvant excuse dans la faiblesse des trois illustres princes qui ont enlevé Mandane – le roi d'Assirie, Mazare et le roi de Pont – il tombe éperdument amoureux d'elle. Il préfère toutefois que la jeune fille soit délivrée par Cyrus, plutôt qu'enlevée une nouvelle fois par le roi de Pont. Il œuvre donc à gagner la confiance de tous les soldats qui gardent la princesse.
Lire l'épisode ⬇D'autre part, Anaxaris n'estoit pas sans inquietude : ce n'est pas qu'il ne fust traité avec toute la civilité qu'on a accoustumé d'avoir pour des Prisonniers de guerre : aussi n'estoit ce pas de cette espece de Prison dont il se pleignoit : et si son ame n'eust pas esté plus captive que son corps, il n'auroit pas eu besoin de toute sa confiance pour suporter son infortune. Mais comme il n'y a rien de plus dangereux à voir qu'une belle affligée, et que la Princesse Mandane estoit la plus belle insortunée qui sera jamais, Anaxaris, donc l'ame estoit tendre et et passionnée, ne la pût voir sans l'aimer. Il attribua pourtant d'abord à la compassïon qu'il avoit de ses malheurs, tous les sentimens tendres qu'il avoit pour cette Princesse : il creût mesme durant quelques jours, que c'estoit autant pour l'interest de Cyrus, que pour celuy de Mandane, qu'il s'interessoit si sensiblement à tout ce qui la touchoit : mais à la fin sa passion augmentant non seulement de jour en jour, et d'heure en heure, mais de moment en moment, il p. 562en connut toute la grandeur, et la connut sans avoir la force de luy resister. Comme il ne se passoit point de jour qu'il ne vist Mandane, les beaux yeux de cette Princesse allumerent sans qu'elle y prist garde un feu si violent dans le coeur de ce veillant Inconnû , que toute sa raison ne le pût esteindre. Ce n'est pas qu'il ne vist bien que jamais amour ne pouvoit naistre avec si peu d'esperance que la sienne : mais c'est que n'estant plus Maistre de son coeur, il n'estoit plus en termes d'en regler les mouvemens : et tout ce qu'il pouvoit faire , estoit de connoistre que s'il eust pû, il eust deû n'aimer point Mandane. Il faut pourtant dire pour excuser sa passion, qu'il voyoit Mandane d'une maniere, qu'il eust esté fort difficile de ne l'aimer pas : car enfin il la voyoit tous les jours ; il la voyoit en secret, et avec quelque difficulté : et comme c'estoit par luy qu'elle sçavoit des nouvelles de l'estat du Siege ; qu'elle le trouvoit admirablement honneste homme ; et qu'elle le consideroit comme un Amy de Cyrus, et comme estant Prisonnier pour ses interests, elle avoit pour luy toute la civilité , qu'elle estoit capable d'avoir. De plus, comme ils estoient tous deux Captifs, cette conformité faisoit je ne sçay quelle esgalité entre eux, qui rendoit la civilité qu'elle avoit pour luy, plus douc et plus obligeante. Il faut mesme encore dire pour son excuse, que jamais Mandane n'avoit esté plus belle qu'elle estoit alors. En effet on eut dit que la Prison n'avoit p. 563fait que l'empescher d'estre halée, et que conserver la fraischeur de son taint, tant sa beauté estoit admirable. Il la voyoit donc belle ; douce ;civile ; et affligée : et il la voyoit tous les jours, comme je l'ay desja dit : de sorte qu'ayant le coeur attendri par les larmes de Mandane, l'Amour le blessa plus facilement : et le blessa d'une Fléche tellement envenimée, que sa blessure fut incurable Helas (disoit-il en luy mesme, lors qu'il consideroit le malheur où il estoit tombé) que pretenday-je dans ma passion ? et ne faut-il pas tomber d'accord, qu'il y a de la folie dans mon esprit :d'avoir tant d'amour dans le coeur, pour une personne qui ne peut, et qui ne doit jamais m'aimer, quand mesme elle sçauroit la violente passion que j'ay pour elle ? car enfin son coeur est à Cyrus par tant de droits differens, que ce seroit une extravagance effroyable, que d'y pretendre quelque chose. Ses services le luy ont acquis ; l'inclination de Mandane le luy a donné ; Ciaxare luy a promis cette Princesse ; et son incomparable valeur, la luy a fait conquerir. Il fait plusieurs combats pour cela ; il a donné et gagné des Batailles pour elle ; il a assujetti des Provinces et des Royaumes, et il prendra bien tost Cumes, et luy redonnera la liberté. Iuge Anaxaris apres cela , ce que tu dois pretendre à Mandane : toy qu'elle ne connoist point ; qui n'oses te faire connoistre ; et qu'elle n'aimeroit mesme pas, quand elle te connoistroit. Ne songe donc plus à conquerir un coeur, que le p. 564Vainqueur de l'Asie a desja conquis : pense que tu ne ferois pas, ce que le Roy d'Assirie, le Roy de Pont, et le Prince Mazare n'ont pû faire : et resous toy de chasser de son coeur une Princesse qui ne peut jamais te donner le sien. Mais helas, reprenoit-il, que me sert d'opposer la raison, à une passion desreglée, qui fait gloire de la mespriser ? Plus je voy de Rivaux malheureux, plus je voy d'excuse à mon erreur : et puis que le Roy d'Assirie, le Roy de Pont, et Mazare, ne se sont pû deffendre des charmes de Mandane, n'ayons point de honte de ne luy pouvoir resister. Le premier l'aima, qu'il estoit inconnu comme nous : le second en venant de perdre ses Royaumes, ne pût sauver la vie à Mandane en la retirant des Flots, sans redevenir son Amant, jusqu'à estre son Ravisseur : et le troisiesme, quoy qu'il sçeust qu'elle aimoit Cyrus ; qu'il fust Parent et Amy du Roy d'Assirie ; ne laissa pas de l'aimer, et de faire une double trahison pour l'enlever. Croyons donc, pour nostre justification, que les charmes de cette Princesse sont inevitables : et que faillir apres trois aussi Grands Princes que ceux que je viens de nommer, n'est pas une lascheté. Cedons donc à Mandane, puis que nous ne luy pouvons resister : ainsi sans sçavoir pourquoy nous aimons, et sans considerer la suitte d'une si folle passion, songeons seulement à luy plaire. Qui sçait, disoit-il encore, si tous mes Rivaux ne se destruiront point l'un l'autre, et si je ne profiteray p. 565point de leur perte ? Aussi bien, puis que je ne puis cesser d'aimer Mandane, ne me reste-t'il rien à faire, qu'à me tromper le plus long-temps que je pourray : joint que de la façon dont je sens mon ame, je sçay bien, que quand je serois assuré que Cyrus devroit demain posseder cette Princesse, je ne pourrois cesser de l'aimer. Cependant quelque violente que fust l'amour d'Anaxaris, il luy demeura pourtant assez de raison, pour comprendre qu'il ne faloit pas qu'il fist connoistre sa passion a la Princesse qui la causoit : de sorte que vivant avec elle avec un profond respect, et une complaisance sans esgalle, elle vint à avoir de l'amitié pour luy. Mais afin de se rendre plus necessaire, et pour faire qu'il la pûst voir tous les jours, lors qu'il ne sçavoit point de nouvelles, il en inventoit : mais comme il n'en pouvoit inventer oû Cyrus ne fust meslé, et que pour estre bien reçeu de Mandane, il faloit mesme qu'il y fust meslé avantageusement, il avoit une peine estrange à s'y resoudre. Il avoit mesme encore une inquietude extréme, que sa passion luy donnoit : car comme il sçavoit que le Roy de Pont ne songeoit à autre chose,qu'à tascher de faire sortir Mandane de Cumes ; il ne sçavoit lequel il devoit souhaiter, ou que Cyrus la delivrast, ou que le Roy de Pont l'enlevast. Si le premier arrivoit, il jugeoit bien que Cyrus ne seroit pas longtemps sans estre heureux, et qu'il verroit bien tost Mandane en sa puissance : mais de l'autre costé, il voyoit p. 566que si le Roy de Pont enlevoit Mandane, il ne la verroit peutestre jamais : de sorte qu'aimant encore mieux la voir posseder par Cyrus, que de ne la voir de sa vie, il apliqua tous ses soins à faire, que ce Prince ne pûst executer son dessein. Joint qu'ayant sçeu par Persode que Cyrus et le Roy d'Assirie se devoient battre, devant que le premier espousast Mandane, son amour luy fit imaginer plus d'avantage pour luy, que Cyrus la delivrast, que de la voir enlevée par le Roy de Pont : si bien que se servant de l'intelligence qu'il avoit avec ses Gardes, que Martesie avoit subornez, il fit en sorte qu'il gagna prés de la moitié de la Garnison. Mais comme il n'avoit rien à leur donner, ce ne pouvoit estre qu'en leur parlant de la magnificence de Cyrus, et qu'en leur faisant esperer d'en estre liberalement recompensez, s'ils luy conservoient la Princesse Mandane : ainsi, faisant servir une des vertus de son Rival à son dessein, il y reüssit si heureusement, qu'il estoit presques aussi puissant dans le Chasteau où estoit Mandane, que le Roy de Pont et le Prince de Cumes : et s'il n'y eust eu qu'à s'en rendre Maistre pour la delivrer, il l'auroit sans doute tenté. Mais comme ce Chasteau ne commandoit qu'une petite partie de la Ville, cela ne suffisoit pas : joint que cette entreprise n'estant pas infaillible, il craignoit de rendre Mandane plus malheureuse, en pensant la delivrer : de sorte que pour ne rien hazarder, il differa son dessein, jusques à ce qu'il p. 567eust encore gagné davantage de Soldats.
Épisode 107 : L'opération de Tiferne – 4 min.
Tiferne parvient à semer le trouble au sein du peuple de Cumes, en répandant le bruit que la paix est proche, mais que le prince de Cumes et le roi de Pont s'y opposent. Il suggère aussi que Cyrus deviendra le protecteur des habitants, dès qu'il sera entré dans la ville. Le tumulte est tel que le prince de Cumes et le roi de Pont commencent à s'inquiéter. Le second espère surtout que les vents seront bientôt favorables à une nouvelle fuite. De son côté, Cyrus ordonne à ses hommes de se préparer à la fin de la trêve.
Lire l'épisode ⬇Les choses estant en ces termes, ceux qu'on avoit envoyez vers les Xanthiens, vers les Cauniens, vers Lycambe, et vers Pactias, revinrent : et porterent au Roy de Pont, et au Prince de Cumes, apres avoir passé au Camp de Cyrus, que les uns et les autres trouvoient qu'il n'y avoit rien à faire, qu'à accepter les propositions que Cyrus avoit faites. Pactias et Lycambe mandoient, que l'espouvante estoit dans leur Armée : et qu'ils estoient persuadez que si Cumes estoit prise sans composition, leurs Troupes se dissiperoient dés le lendemain, par l'aprehension qu'elles auroient de voir celles de Cyrus les aller attaquer et les combatre : qu'ainsi ils ne pouvoient demeurer garands de l'evenement, si on ne concluoit pas le Traité. Pour les Xanthiens et les Cauniens, ils ne demandoient autre chose, sinon qu'on leur accordast promptement ce qu'on leur offroit : ces Envoyez estant donc chargez de paroles de Paix si favorables, et estant arrivez aux Portes de Cumes, le peuple excité par Tiferne, s'amassa en un instant à l'entour d'eux : et se mit à leur demander, avec des cris tumultueux et violens, quelles nouvelles ils aportoient ? De sorte que ces Envoyez, pour les apaiser, leur dirent qu'ils aportoient la Paix : mais ce mot de Paix, ne fut pas plustost prononcé, que passant de bouche en bouche ; il fit faire des acclamations si grandes, à tous ceux qui l'entendirent, que de par tout le peuple p. 568accourut au lieu où ces cris de réjouïssance faisoient retentir l'air de sons esclatans et agreables, à des Gens lassez des fatigues d'un Siege. Si bien que ces Envoyez se virent environnez de tant de Gens, qu'à peine pouvoient ils marcher à chaque pas qu'ils faisoient, la foule augmentoit : ils ne passoient pas un coing de Ruë, que diverses Troupes ne se joignissent aux autres : et par ce moyen, plus de la moitié du Peuple de Cumes, se trouva rassemblé en un instant en deux ou trois Ruës. Cependant Tiferne, qui ne perdoit pas une occasion si favorable, alloit et venoit au milieu de cette presse, pour amener les choses au point qu'il les souhaitoit : aux uns, il se contentoit d'augmenter dans leur coeur le desir de la Paix : aux autres, il disoit avoir oüy dire que le Roy de Pont et le Prince de Cumes, ne la voudroient point accepter : adjoustant qu'il la faloit faire sans eux, ou les y forcer les armes à la main. Qu'il ne faloit qu'ouvrir les Portes à Cyrus, qui de leur ennemy qu'il estoit, deviendroit leur Protecteur, s'ils luy faisoient delivrer la Princesse Mandane. A peine Tiferne avoit il pit cela, que ceux à qui il parloit, le redisoient à leurs Compagnons, qui le redisoient à d'autres : et y adjoustant plus ou moins d'aigreur, selon leur temperamment, il s'excita enfin une telle esmotion parmy cette multitude, qu'il estoit aisé de comprendre par les cris qu'on entendoit de toutes parts, que si on refusoit la Paix, le peuple se porteroit à la derniere violence, p. 569et entreprendroit de se la faire accorder de force. Dés que quelqu'un de ceux qui estoient au Roy de Pont, vouloit s'opposer à des sentimens si tumultueux, on le menaçoit de le tuer, et il se voyoit contraint de se taire. D'autre part, le Prince Anaxaris estant adverti de ce qui se passoit dans la Ville, commença d'agir parmi les Soldats, comme Tiferne agissoit parmi le peuple : continuant d'employer le Nom de Cyrus, pour les porter à ce qu'il vouloit. Tantost il leur parloit de la recompense qu'il leur donneroit : tantost de la gloire qu'ils auroient de combatre à l'advenir, sous un si illustre Conquerant : leur persuadant qu'il ne borneroit par ses conquestes à Cumes, et qu'ils s'enrichiroient sous luy. A d'autres, pour leur oster le scrupule de la trahison, il adjoustoit que par cette action, ils feroient rendre l'Estat au Prince leur Maistre : et qu'il leur engageoit sa parole, de le servir autant qu'il le pourroit. De sorte qu'ostant la honte de leur action ; leur parlant de gloire ; de recompense ; et de Richesses ; il les porta à luy promettre de faire absolument ce qu'il voudroit. Cependant ces Envoyez ayant rendu leur responce au Roy de Pont, et au Prince de Cumes, le premier se trouva bien embarrassé : car il connut clairement, que l'autre souhaitoit la Paix : si bien que n'osant pas s'opposer directement aux sentimens de son Protecteur, il luy dit seulement qu'il le conjuroit, pour derniere grace, de tirer encore la chose en longueur durant quelques p. 570jours, sur le pretexte de la seureté du Traité : esperant que comme on alloit entrer en une Lune où d'ordinaire les Vents sont fort grands, et la Mer fort esmeuë et fort orageuse, une tempeste pourroit desboucher le Port, en dissipant les deux Flottes qui le fermoient, et sauver peut-estre Cumes, ou du moins luy permettre d'enlever Mandane. Comme le Roy de Pont parla avec beaucoup de chaleur, il persuada le Prince de Cumes : ce ne fut pourtant pas si tost : et leur contestation fut si longue, que le peuple eut lieu de croire, que ces Princes n'accepteroient pas la Paix qu'on leur offroit. D'autre part, Cyrus ayant veû ces Envoyez en passant, et ayant sçeu par les Herauts qu'il leur avoit donnez pour les conduire, que selon ce qu'ils en pouvoient juger, par les choses qu'ils avoient oüy dire, aux lieux où ils avoient esté, ces Envoyez raportoient des paroles de Paix : il ne douta point que la chose ne fust ainsi : de sorte que ce Prince se voyant sur le point d'estre bientost heureux, ou malheureux ; de delivrer Mandane, ou de la perdre ; de faire la Paix, ou de recommencer la Guerre ; redoubla tous ses soins : et commença d'agir comme si la Tréve eust deû finir à l'heure mesme, et de disposer toutes choses, à un Assaut general. Philocles et Leontidas, s'en retournerent diligemment à leurs Flottes ; le Prince Mazare à son Quartier ; le Prince Artamas au sien ; Persode se tint au lieu où estoient les Machines ; et le genereux Megabate, aussi bien que p. 571tous les Volontaires, aupres de Cyrus, qui attendoit avec une impatience extréme, qu'on luy vinst rendre la responce des Assiegez. Mais la plus cruelle inquietude qu'il eust, estoit celle de penser, que peutestre le Roy de Pont, luy enleveroit il encore Mandane, en se servant de ces Pierres d'Heliotrope. Il esperoit pourtant quelquesfois, que cette Princesse se souvenant de son avanture de Sardis, seroit plus difficile à tromper : mais apres tout, il craignoit mille fois plus qu'il n'esperoit : de sorte que les momens luy semblant des Siecles, et la contestation du Roy de Pont et du Prince de Cumes durant tres long temps ; comme il vit qu'on ne luy rendoit point de responce, il l'Envoya demander par un Heraut : croyant mesme que cela pourroit plus facilement porter le peuple à se revolter. Mais pour faire encore mieux reüssir son dessein, il commanda à ce Heraut de dire à ces Princes assiegez, que s'ils ne luy rendoient à l'heure mesme une responce decisive, il alloit faire donner l'Assaut : ordonnant aussi à ce Heraut, de semer ce bruit parmi le peuple en traversant la Ville. Et en effet cét homme executant les volontez de Cyrus, s'aquita si adroitement de sa commission, qu'en allant au chasteau il mit l'espouvante dans le coeur du peuple : de sorte que Tiferne se servant à propos de la matiere qu'on luy donna, changea cette espouvante en fureur : et fit que toute cette multitude se resolut, si ce Heraut apres avoir parlé aux Princes qui devoient p. 572luy rendre responce, ne la raportoit favorable, de prendre les armes ; de s'assurer de leurs personnes ; de se saisir des Portes ; de laisser entrer Cyrus ; et d'aller aupres au lieu où estoit Mandane.
Épisode 108 : Les exploits d'Anaxaris – 4 min.
Anaxaris, désireux de se signaler, profite d'un mouvement de sédition du peuple, pour attaquer le château du prince de Cumes, grâce aux gardes dont il a acquis la confiance. Le souverain ainsi que le roi de Pont se battent farouchement. Ce dernier, gravement blessé au bras droit, est contraint de fuir. Un homme lui propose de se réfugier chez lui jusqu'à la tombée de la nuit. Anaxaris se heurte au prince de Cumes, avec qui il engage un combat. La victoire lui permet de se rendre maître du château.
Lire l'épisode ⬇Cependant Anaxaris qui mouroit d'envie de se signaler, et de faire que Mandane luy eust quelque obligation de sa liberté ; aprenant que ce Heraut estoit avec ces Princes, et craignant qu'ils ne conclussent la Paix, où il n'auroit point de part, il commença de disposer à agir, ces Soldats qu'il avoit gaignez, et à se rendre Maistre de ce Chasteau, que le peuple apelloit pourtant le Palais du Prince de Cumes : afin que se saisissant et du Roy de Pont, et de Mandane, il pûst avoir la gloire qu'il pretendoit. Cependant ce Heraut que Cyrus avoit Envoyé, n'ayant pas reçeu une responce aussi decisive qu'il la souhaitoit, se mit en estat de s'en retourner : mais à peine parut il à la Porte du Chasteau, que le peuple, qui attendoit sa sortie avec impatience, se mit à luy demander si la Paix estoit concluë ? de sorte que cét homme voyant combien ils la desiroient, leur respondit hardiment, pour les soûlever, que leurs Princes ne la vouloient pas : et que dés qu'il seroit retourné au camp, Cyrus alloit faire donner un Assaut general. Ces paroles ne furent pas plustost ouïes, qu'on entendit un tumulte de voix effroyable : et en un moment, la fureur passant d'esprit en esprit, se communiqua à toute la Ville : si bien que tous les Habitans prenant les armes, ils commencerent de p. 573perdre tout à fait le respect, et de vouloir enfoncer les premieres Portes du Chasteau. Anaxaris oyant ce tumulte, fit de son costé soûlever la plus grande partie de la Garnison : de sorte que le Roy de Pont et le Prince de Cumes, se trouverent en un estrange estat, estant environnez d'ennemis de par tout. S'ils vouloient sortir du Chasteau, ils trouvoient un Peuple en fureur, les armes à la main : s'ils vouloient y demeurer, ils voyoient qu'ils n'en estoient plus les Maistres : qu'une partie de leurs Soldats combatoit contre l'autre : et qu'ainsi ils ne trouvoient sevreté en nulle part. Le Roy de Pont voulut alors aller à l'Apartement de Mandane : mais les Gardes qui y estoient, au lieu de luy obeïr, voulurent se saisir de sa Personne : joint qu'Anaxaris estant survenu en cét endroit, s'y opposa courageusement. Le Roy de Pont de son costé, ayant ramassé quelques Soldats, voulut le sorcer à luy donner passage : de sorte qu'il se fit un assez grand combat entre ces deux Princes, que la Princesse Mandane voyoit de ses fenestres. Il est vray qu'elle ne le regarda guere, et que Martesie le vit mieux qu'elle : mais enfin elle en vit assez, pour remarquer qu'Anaxaris combatoit pour elle, avec une ardeur heroïque. D'ailleurs, le Prince de Cumes s'estant voulu montrer au peuple pour l'apaiser, avoit esté contraint de se retirer : si bien qu'estant arrivé où le Roy de Pont et Anaxaris combatoient, la meslée devint encore plus sanglante. Mais à la fin le party d'Anaxaris p. 574estant le plus fort, et le Roy de Pont estant blessé au bras droit, il falut que l'autre cedast. Ce Prince ne se rendit pourtant pas : au contraire, se souvenant alors d'un Escalier dérobé, qui estoit à l'Apartement de Mandane, et qui respondoit dans la Cour de derriere, il se mit en devoir d'y aller : laissant le Prince de Cumes fort embarrassé avec ceux qui l'attaquoient : mais Anaxaris qui avoit eu toute la prudence imaginable en cette occasion, y avoit posé des Gardes : de sorte que ce malheureux Roy, ne pouvant seulement avoir l'avantage de mourir aux pieds de Mandane, et aprehendant de tomber sous la puissance d'un Rival dont il craignoit autant la generosité, qu'il en eust deû craindre la rigueur, si Cyrus en eust esté capable ; chercha du moins par quelle voye il pourroit se dérober à la victoire de ce Prince : de sorte que sentant qu'il ne pouvoit plus combatre, et trouvant un Soldat à l'escart, qui n'estoit pas de ceux qu'Anaxaris avoit gagnez ; il se servit de luy, pour luy aider à ouvrir une fausse Porte qui estoit à ce chasteau, qu'Anaxaris n'avoit pas sçeu qui y fust : si bien que l'ayant ouverte, il sortit, resolu d'aller voir s'il ny auroit point moyen d'exciter le peuple à quelque resistance. Mais à peine fut il dehors, qu'il entendit un bruit effroyable : et qu'il aprit, par celuy chez qui il avoit logé en arrivant à Cumes, que le hazard luy fit rencontrer en ce lieu destourné, que le Peuple s'estoit desja saisi des portes de la Ville ; qu'il parloit p. 575de faire entrer les Troupes de Cyrus ; que la plus parts des Soldats se rangeoient de son costé ; et qu'il n'y avoit plus rien à faire pour luy qu'à ne se monstrer pas, s'il ne vouloit estre pris ou tué. Le Roy de Pont desesperé, et voulant du moins cacher sa honte et sa mort, accepta l'offre que luy fit cét homme, de le faire entrer dans un jardin qu'il avoit, qui estoit aupres des Fossez de ce chasteau, sur le bord desquels ils estoient : et qui respondant vers la Mer, luy donneroit moyen de se sauver la nuit dans quelque Barque de Pescheur, quand les choses seroient plus tranquilles, et que la Flotte de Cyrus ne boucheroit plus le Port. Si bien que cét infortuné Prince, se laissant conduire où son malheureux destin vouloit qu'il allast, suivit cét homme : mais avec tant de rage et de desespoir, qu'il en eust fait pitié à ses plus fiers ennemis, s'ils l'eussent veû en ce pitoyable estat. L'abondance du sang qu'il perdoit, avoit rougi tous ses Habillemens : il portoit son Espée toute sanglante, de ceux qu'il avoit tuez : mais il la portoit de la main gauche, ne pouvant plus la soustenir de la droite, à cause de la blessure qu'il avoit reçeuë de ce costé là, et qui l'avoit mis hors de combat. En marchant de cette sorte, il pensoit des choses si tristes et si violentes, que s'il eust eu la force de se tuer, il se seroit delivré de tous ses malheurs par un seul coup : mais estant trop affoibli par la perte du sang, il fut contraint de vivre, parce qu'il n'avoit pas la force de p. 576mourir : et il fut contraint de marcher en s'apuyant sur le Soldat qui l'avoit suivi, et d'entrer dans ce jardin qui luy servit d'Asile. Cependant Anaxaris n'ayant plus que le Prince de Cumes en teste, ramassa toute sa valeur pour vaincre plustost : mais quoy que ce vaillant ennemi eust esté force de lascher le pied, lors que le Roy de Pont s'estoit separé de luy, il resista pourtant avec une valeur extréme, secondé de celuy qui avoit pris Anaxaris, qui se nommoit Thrasile : ainsi on voyoit ce vaincu redevenir vainqueur, et le Captif, en estat de faire son Maistre prisonnier. Vaillant Prince, cria Anaxaris au Prince de Cumes, voyant qu'il s'opiniastroit à luy resister ; ne me forcez pas à vous perdre : je ne veux que delivrer la Princesse Mandane, et je ne veux pas vous détruire. Mais à la fin voyant qu'il ne rendoit pas, il l'attaqua si vivement, qu'apres l'avoir blessé en plusieurs endroits, il tomba mort à ses pieds. Cette mort ne finit pourtant pas encore le combat : car le vaillant Thrasyle, au lieu de ceder à la force, voyant le Prince de Cumes mort, r'anima son courage, pour s'empescher d'estre Captif de celuy qui estoit son prisonnier, et pour vanger la mort de son Prince. Mais ce fut inutilement, qu'il voulut vaincre ou mourir : car le premier estoit impossible, et la generosité d'Anaxaris empescha ce vaillant homme de se perdre. En effet voulant reconnoistre la civilité qu'il avoit euë pour luy durant sa prison, il deffendit à ceux de son party de le tuer : p. 577apres quoy l'ayant fait enveloper par dix ou douze, il fut contraint de se rendre, aussi bien que le peu de Gens qui luy restoient. Il n'eut pas plustost posé les armes, qu'Anaxaris l'ayant laissé sous la garde de quatre Soldats, fut faire le Tour du chasteau, pour voir s'il en estoit absolument le Maistre, et pour chercher le Roy de Pont : mais il vit qu'il faloit que ce Prince se fust sauvé par la fausse Porte qu'il trouva ouverte : et qu'il n'y avoit plus d'autre tumulte, que celuy que faisoit le peuple à celle du chasteau, qu'il vouloit enfoncer.
Épisode 109 : La libération de Mandane – 2 min.
Anaxaris veut envoyer un héraut pour annoncer la libération de Mandane à Cyrus, mais le peuple agité s'y oppose. On veut d'abord s'assurer que la princesse est en état d'être rendue à Cyrus. Mandane se montre alors sur un balcon, et son apparition est acclamée par des cris de joie. Le peuple souhaite qu'elle offre en personne à Cyrus les clefs de la ville de Cumes.
Lire l'épisode ⬇Anaxaris s'estant alors presenté à ces furieux, et leur ayant imposé silence ; il leur fit entendre que le Roy de Pont n'estoit plus dans le chasteau ; qu'il en estoit Maistre ; que leur Prince estoit mort ; et que la Princesse Mandane estoit en sa puissance. Que s'ils vouloient luy permettre d'Envoyer advertir Cyrus de ce qui s'estoit passé, il leur promettoit de leur faire obtenir des conditions avantageuses, que celles que Prince leur avoit desja accordées. A peine eut il dit cela, que ces Habitans, sans affliger de la mort de leur Prince, qui eust pû les punir s'il eust vescu, crierent tous d'une voix, qu'ils feroient tout ce qu'il voudroit : et qu'ils avoient desja eu dessein d'Envoyer vers Cyrus, pour luy offrir de luy livrer les Portes de la Ville, dont ils s'estoient rendus Maistres. Anaxaris voulant alors dépescher quelqu'un vers ce Prince, vit parmy la presse le Heraut que Cyrus avoit Envoyé à Cumes : et qui n'en ayant pû p. 578sortir, à cause de ce tumulte, s'estoit tenu là à regarder à quoy ce desordre aboutiroit : de sorte que voulant se servir de luy, pour Envoyer vers Cyrus, il commanda qu'on le fist aprocher. Anaxaris ne se resolut pourtant pas sans peine à faire faire ce message : car dans la violente passion qu'il avoit dans l'ame, s'il eust suivi ses sentimens, il auroit entrepris de deffendre ce chasteau, et contre les Habitans, et contre Cyrus. Mais comme ce dessein estoit entierement esloigné de toute raison, et absolument hors d'aparence de reüssir, il en rejetta la pensée : et se détermina d'achever ce qu'il avoit resolu. Mais dés qu'il voulut parler à ce Heraut, le peuple, apres s'estre atroupé par diverses bandes, et avoir tenu un Conseil tumultueux, recommença de crier : et de dire qu'il vouloit voir la Princesse Mandane, auparavant que d'Envoyer vers Cyrus : ces Habitans de Cumes ne voulant pas ouvrir leurs portes à ce Prince, qu'ils ne fussent bien assurez de luy pouvoir rendre la Princesse qu'il vouloit delivrer ; et que cette Princesse ne leur promist qu'elle conserveroit leur Ville. Anaxaris voulant donc les satisfaire, leur dit qu'il alloit la querir : et en effet il fut à la chambre de cette Princesse, qui attendoit avec beaucoup d'inquietude, quel seroit le succés d'un si grand tumulte. Mais dés qu'elle vit Anaxaris, elle conmença d'esperer que ce succés seroit heureux : principalement lors que s'aprochant tres respectueusement d'elle, il prit la parole pour luy dire, ce que le peuple souhaitoit. p. 579Madame, luy dit-il, l'estat de vostre fortune est changé : car au lieu d'estre sous la puissance du Roy de Pont, le peuple de Cumes veut estre sous vostre protection : et vous demande par moy, qu'il puisse avoir l'honneur de vous voir. Genereux Inconnû, luy repliqua Mandane, que ne vous dois-je point ! que ne vous devra pas le Roy mon Pere ! et qu'elle reconnoissance ne devez vous pas attendre de l'illustre Cyrus, pour qui vous avez sans doute entrepris ce que vous venez d'executer, avec tant de bonheur et tant de courage ? Tant que j'ay esté dans l'Armée de Cyrus (reprit Anaxaris en rougissant) j'ay sans doute combatu pour vous, pour l'amour de luy seulement : mais Madame, ne luy donnez s'il vous plaist aucune part, à ce que j'ay fait dans Cumes : estant certain que je l'ay fait pour la Princesse Mandane, sans considerer qu'elle seule. Cependant (adjousta-t'il, pour ne luy donner pas loisir de faire quelque reflection sur ses paroles) comme se peuple est impatient ; qu'il a les armes à la main ; et qu'il ne faut qu'un moment pour le faire changer de resolution ; venez s'il vous plaist, Madame, venez travailler à vostre liberté, afin que vous ne la deviez qu'à vous mesme. Ha genereux Anaxaris, repliqua-t'elle, cela n'est pas possible ! et quoy que je puisse plustost dire que je la dois à cent mille hommes, que de dire que je ne la dois qu'à moy ; je veux me renfermer dans des bornes plus estroites : et vous assurer qu'il y en a deux, dont vous en p. 580estes un, à qui j'en suis particulierement obligée. Apres cela, Mandane se laissant conduire par Anaxaris, fut à un Balcon qui estoit sur la Porte du chasteau, suivie de Martesie : où elle ne parut pas plustost, que le peuple jetta des cris de joye estranges. Il ne se contenta pourtant pas de la voir : mais députant six d'entre eux, Anaxaris les fit entrer dans le chasteau, et les presenta à la Princesse Mandane : qui les reçeut comme des Gens, qui avoient dessein de la délivrer : aussi furent-ils si charmez de sa douceur, et si esblouïs de sa beauté, qu'ils ne sçavoient presques ce qu'ils luy disoient. Les uns demandoient qu'on ne pillast point leur Ville : les autres que Cyrus leur pardonnast : et parlant tout ensemble confusément, il n'estoit pas aisé de leur respondre. Mais enfin Mandane, leur ayant non seulement promis que leur Ville seroit conservée, mais qu'elle auroit encore de nouveaux Privilèges ; les fit consentir qu'elle Envoyast à Cyrus ce mesme Heraut, qu'Anaxaris y avoit voulu Envoyer. Ce fut toutesfois à condition, qu'elle escriroit à ce Prince : disant grossierement que peut-estre ne croiroit il pas à celuy qu'on luy envoyeroit : adjoustant encore que pour plus grande seureté pour eux, ils suplioient cette Princesse, de vouloir recevoir Cyrus à la Porte de leur Ville, et les presenter à luy, pour luy en offrir les clefs.