Partie 9 (voir le frontispice) – Livre premier.
Gravure de la partie 9, livre 1.
Résumé de la séquence
Après avoir obtenu confirmation de l'identité du ravisseur de Mandane (Anaxaris n'est autre qu'Aryante, frère de Thomiris), Cyrus, informé des circonstances curieuses de cet enlèvement, entame une nouvelle poursuite. Mais c'est finalement le roi d'Assirie qui parvient à rejoindre le coupable Anaxaris.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 1 : La véritable identité d'Anaxaris – 5 min.
Cyrus reçoit d'Indathirse la confirmation qu'Anaxaris n'est autre qu'Aryante, frère de Thomiris. Il a été reconnu formellement par un écuyer qui a été longtemps au service de la reine des Massagettes. Feraulas lui apprend ensuite les circonstances curieuses de l'enlèvement : Mandane et ses suivantes semblaient consentantes. Il est vrai que son récit révèle que la princesse croit Cyrus mort, tombé sous les coups du roi d'Assirie.
Lire l'épisode ⬇p. 5Quoy, (s'écria Cyrus apres avoir entendu le veritable nom d'Anaxaris, qu'Indathirse luy aprit) il peut estre vray qu'Anaxaris soit le Prince Aryante Frere de Thomiris qui estoit allé au Royaume des Issedons avec le jeune Spargapise, lors que Ciaxare m'envoya vers cette Princesse ! Ouy Seigneur, reprit Indathirse, Anaxaris est veritablement Aryante, Frere de la Reine des Massagettes : p. 6et le voyage qu'il estoit allé faire lors que vous estiez aupres de cette Princesse, est cause qu'il a pû demeurer inconnu dans vostre armée : car comme vous ne l'aviez jamais veû, il luy a esté aisé de passer pour ce qu'il a voulu. Mais encore, dit Cyrus, quel dessein peut-il avoir eu en se cachant si long temps, et en me rendant de si grands services, pour me rendre apres le plus malheureux de tous les hommes ? est-ce qu'il attendoit une occasion de vanger Thomiris, en m'enlevant la Princesse que j'adore ? et dois-je regarder la violence qu'il vient de faire, comme un effet de la vangeance de cette Reine irritée, ou de l'amour qu'il a pour Mandane ? Seigneur, reprit Indathyrse, je ne puis vous dire quelle a esté l'intention du Prince Aryanthe : mais je sçay avec certitude, qu'il y a tres long temps qu'il n'est pas assez bien avec Thomiris, pour estre le Ministre de sa vangeance. Mais comment sçavez vous, dit Cyrus, qu'Anaxaris est Aryante ? car je vous advouë que ce que vous me dites me surprend si fort, que je ne puis m'empescher de vous demander toutes les circonstances d'une chose qui me paroistroit tout à fait incroyable, si tout autre que vous me la disoit. Seigneur, reprit Indathirse, je sçay si bien qu'Anaxaris est Aryante, qu'on ne peut pas le sçavoir mieux : car un Escuyer que j'ay icy, en qui je me fie de toutes choses, et qui l'a veû des années entieres, l'a veû de ses propres yeux aupres de Mandane. En effet comme je voulois estre p. 7asseuré du lieu, où vous estiez pour vous joindre, je l'avois envoyé s'en informer, avec ordre de me le revenir dire en une ville où je me suis arresté un jour pour me mettre en estat de pouvoir paroistre devant la Princesse Mandane, que je sçavois que vous conduisiez. De sorte que cét Escuyer qui a de l'esprit, estant arrivé hier au lieu où vous estiez, et où nous allons, il y vit Anaxaris faire la fonction de Capitaine des Gardes de la Princesse Mandane. Mais comme il le vit sans en estre veû, parce qu'il estoit meslé dans la presse du peuple qui regardoit cette Princesse en allant au Temple, il ne dit rien de l'estonnement qu'il avoit de le voir : joint que ne connoissant personne de ceux qui l'environnoient, il n'avoit pas lieu de pouvoir tesmoigner la surprise où il estoit. Il trouva pourtant moyen de se faire entendre, pour demander comment se nommoit celuy qu'il regardoit avec tant d'attention : si bien que luy ayant esté respondu qu'il s'appelloit Anaxaris, mais qu'on ne pouvoit luy dire ny qui il estoit, ny d'où il estoit, il comprit aisément, comme il a de l'esprit, que le Prince Ariante ne vouloit point estre connu : de sorte que se taisant, il revint diligemment vers moy, non seulement pour m'asseurer que je vous trouverois encore au bord du Fleuve Halis ; mais pour me dire qu'il avoit veù le Prince Aryante, qui se faisoit nommer Anaxaris, et qu'il estoit Capitaine des Gardes de la Princesse Mandane. D'abord je luy dis qu'il s'abusoit à quelque ressemblance p. 8imparfaite : toutesfois il me soustint si fortement qu'il ne se trompoit pas, que je fus contraint de ne resister plus, et de me contenter de mettre la chose en doute dans mon esprit, sans luy en parler davantage. Mais Seigneur, lors qu'en arrivant au lieu où je croyois vous trouver, j'ay sçeu que cét Anaxaris avoit enlevé Mandane, je n'ay plus douté qu'il ne fust le Prince Aryante ; et j'en suis presentement aussi persuadé, que si je l'avois veû moy-mesme. Ha ! mon cher Indathirse, s'escria Cyrus, je le suis pour le moins autant que vous : car en fin si Anaxaris n'estoit pas de la condition que vous le croyez, il n'auroit asseurément jamais eu l'audace d'enlever ma Princesse. Il me semble mesme, luy dit-il encore aujourd'huy que vous m'avez dessillé les yeux, que je me remets qu'il y a quelque ressemblance imparfaite, entre Thomiris et luy ; et qu'il y a mesme je ne sçay quoy dans le son de sa voix, et dans son accent, qui me devoit du moins faire connoistre qu'il estoit Scythe : mais c'est asseurément que les Dieux qui ont resolu que je perisse, m'aveuglent et m'ostent la raison, afin que je contribuë moymesme à la perte de Mandane et à ma propre perte. Apres cela Cyrus se taisant, continua durant quelque temps de marcher en soupirant : puis tout d'un coup appellant Feraulas, à qui le Roy d'Assirie parloit, il luy demanda comment on s'estoit apperçeu que Mandane estoit enlevée. Seigneur, luy dit-il, Anaxaris a conduit la chose si finement, qu'on ne l'a p. 9sçeu que plus de quatre heures apres son départ : car en fin, Seigneur, il est party avec la Princesse plus d'une heure devant le jour. Cependant ce n'a esté qu'une heure devant que je sois party pour venir icy, qu'on a sçeu qu'elle n'estoit plus à son Apartement : et ce qui est le plus surprenant, est qu'Aryanite qu'elle a laissée, avoit ordre de cacher son départ, aussi bien que Pherenice, de toutes ses autres Femmes : car pour Doralise et Martesie elles sont avec elle. Ha Feraulas s'écria Cyrus, ce que vous dites ne peut estre ! et je ne croiray jamais que Mandane se soit fait enlever, et enlever par Anaxaris. Seigneur, reprit Feraulas, je ne le croy pas non plus que vous : mais ce qu'il y a de vray, est que la Princesse ny les deux Filles qui sont avec elle, n'ont appellé personne à leur secours ; que tous les Gardes de Mandane l'ont suivie ; et qu'Andramite et ses Amis l'accompagnent. Et ce qui est encore le plus estonnant, c'est qu'Arianite dit qu'Anaxaris est venu faire esveiller Martesie, afin qu'elle esveillast Mandane : et qu'apres qu'elle a eu fait ce qu'il vouloit ; qu'il a eu parlé à la Princesse ; qu'il luy a eu leû quelque chose qui estoit escrit dans des Tablettes qu'il tenoit ; et qu'il luy a eu monstré une Escharpe qu'elle n'a fait qu'entre-voir ; elle a jetté des cris de desespoir estranges, et versé des torrens de larmes, avec une amertume de coeur extréme. Arianite dit encore, qu'apres cela Mandane ayant fait approcher Martesie, et envoyé esveiller Doralise, elles ont pleuré p. 10quelque temps avec elle : et qu'en suitte cette Princesse se levant avec diligence, pendant qu'Anaxaris estoit allé donner ordre au depart, elle s'est laisse habiller sans faire autre chose qu'essuyer ses larmes. Elle dit aussi que comme elle a esté preste à partir, et à monter dans un Chariot qu'on avoit fait venir au pied d'un Escalier dérobé qui donne à une Cour de derriere ; Martesie luy a commandé de la part de la Princesse, de faire que ses Femmes n'ouvrissent point la porte de sa chambre, qu'il ne fust fort tard. De sorte qu'Arianite pressant alors Martesie, de luy dire où alloit la Princesse ; quelle estoit sa douleur ; et pourquoy elle ne menoit pas toutes celles qui estoient à elle ? vous aurez bien-tost ordre de venir où elle sera, luy a repliqué Martesie : mais cependant ma chere Arianite, luy a-t'elle dit, repentez vous encore une fois d'avoir tant servy le Roy d'Assirie, puis que vous estes peut-estre cause qu'il a tué l'illustre Cyrus, et que nostre Princesse mourra de la douleur que sa perte luy donne. Vous pouvez juger, Seigneur, qu'une Fille qui croyoit le Roy d'Assirie mort, a esté bien surprise d'entendre qu'il vivoit, et qu'il vous avoit tué ; elle n'a pourtant pû tesmoigner sa surprise à celle qui la causoit, car Martesie et Doralise ont suivy Mandane avec autant de diligence que de douleur.
Épisode 2 : La poursuite du ravisseur – 6 min.
Feraulas termine son récit en révélant que les amis de Cyrus se sont lancés à la poursuite du ravisseur de Mandane. Le héros, après avoir rencontré Arianite, que Mandane a laissée sur place, se met à son tour à la recherche d'Anaxaris. Mais c'est le roi d'Assirie qui a finalement la chance de rattraper le convoi. Le ravisseur repère aussitôt son poursuivant ; on se prépare à l'affrontement.
Lire l'épisode ⬇Cependant comme cette nouvelle a fort touché Arianite, elle l'a dite aux autres Femmes de la Princesse, et a esté esveiller Pherenice pour la luy dire. Si bien qu'ayant passé le p. 11reste de la nuit, et une partie du matin a raisonner sur une si estrange avanture ; Arianite a envoyé chercher Chrysante par un Esclave : il n'a toutesfois pû sortir d'assez long temps, parce que quatre Gardes qu'Anaxaris avoit laissez à la Porte du Chasteau, ne vouloient laisser sortir personne, à cause qu'il le leur avoit deffendu. Mais à la fin s'estans laissez gagner, cet Esclave a trouvé Chrysante qui venoit de sçavoir que vous n'estiez pas chez vous : si bien qu'aprenant en mesme temps par Arianite qu'il a esté trouver, que la Princesse estoit sortie, il a eu un estonnement qu'il n'a pas crû devoir cacher : de sorte qu'ayant à l'heure mesme adverty le Prince Artamas, Mazare, Intapherne, Myrsile, et quelques autres, il s'est en un moment eslevé un si grand bruit de vostre mort et du départ de la Princesse, que je ne sçaurois vous representer le desordre que cette funeste nouvelle a causé, et parmy tous vos Amis, et parmy les Soldats : et ce qu'il y avoit d'estrange, c'est qu'on ne sçavoit quelle resolution prendre ny de qui recevoir les Ordres. Les uns disoient qu'il faloit aller au Roy d'Hyrcanie ; les autres à Cresus ; et tous ensemble parlant de vanger vostre mort, et d'aller apres Mandane, on ne faisoit pourtant ny l'un ny l'autre, tant on avoit l'esprit troublé. Quelques uns disoient mesme que peut-estre Anaxaris n'enlevoit-il pas cette Princesse, veû la maniere dont on sçavoit qu'elle estoit partie. Mais le Prince Myrsile ayant sçeu alors par un des siens, qu'il y avoit plus de p. 12quatre jours qu'Andramite s'estoit assuré de quelques uns de ses Amis, pour un grand dessein qu'il disoit avoir, il n'a plus douté que ce n'eust esté comme sçachant qu'Anaxaris en enlevant Mandane, enleveroit aussi Doralise qu'il aime : de sorte que presuposant qu'il les a enlevées en les trompant, ce Prince sans faire nul fondement sur le bruit qui couroit que le Roy d'Assirie estoit vivant, et qu'il vous avoit tué, a assemblé quelques uns de ses Amis, et est allé diligemment pour tascher de descouvrir, quelle route a tenuë Anaxaris. Le Prince Mazare a aussi pris le mesme dessein, mais il a pris un autre chemin : et pour le Prince Artamas, Intapherne, Chrysante, Aglatidas, et moy, nous nous sommes partagez, avec intention de vous chercher en tant de lieux que nous peussions vous trouver en quelqu'un : de sorte qu'ayant sans doute esté conduit par les Dieux à l'endroit où vous estiez, j'ay lieu de croire qu'ils vous conduiront aussi bien tost où est Mandane. Non non, reprit ce Prince affligé, il ne faut plus rien esperer : et il faut au contraire craindre toutes choses. Apres cela, la responce que la Sibille luy avoit renduë par Ortalque, luy revenant dans la memoire, il ne douta plus qu'il ne fust destiné à de funestes avantures, et que Thomiris ne fust celle qui le devoit perdre. Il crût mesme alors que l'Oracle du Roy d'Assirie auroit son effet à l'avantage de son Rival : et il n'osa esperer que celuy que la Princesse de Salamis avoit reçeu, et qui luy estoit si avantageux p. 13deust plus estre interprété à son avantage. De sorte que la douleur s'emparant de son esprit, il ne parla plus du tout qu'il ne fust arrivé au lieu où estoit Arianite ; de la bouche de qui il voulut aprendre plus precisément tout ce que Feraulas luy avoit desja dit. Il trouva avec elle Pherenice, Amaldée, Telamire, et toutes ces autres Dames qui l'accompagnoient : mais il les trouva toutes en larmes. Sa veuë les consola pourtant extrémement : leur semblant que puis qu'il estoit vivant, il n'y avoit plus à craindre pour Mandane. Cedant leur estonnement n'estoit pas petit, non plus que celuy de tous ceux qui apres avoir crû le Roy d'Assirie mort, et avoir oüy dire en fuite qu'il avoit tué Cyrus, les voyoient tous deux vivans, et les voyoient mesme agir comme ils faisoient autrefois : car apres qu'ils eurent sçeu d'Arianite tout ce qu'ils en pouvoient sçavoir ; qu'ils eurent interrogé les quatre Gardes qu'Anaxaris avoit laissez et qui ne sçavoient rien autre chose, sinon qu'il leur avoit commandé de ne laisser sortir personne du Chasteau qu'il ne fust extremement tard : et que le Roy d'Assirie eust, esté pensé de la legere blessure qu'il avoit au bras gauche ; ils aviserent ensemble ce qu'il estoit expedient de faire en une si fascheuse rencontre. Il est vray que ce conseil fut souvent interrompu : car de tous les Quarties de cette grande Armée, ce n'estoient que gens qui venoient pour s'esclaircir si ce grand bruit qui s'estoit si promptement espandu, et de la vie du Roy d'Assirie, et de la p. 14mort de Cyrus, et de l'enlevement de Mandane, avoit quelque verité. Mais à la fin comme la chose pressoit extrémement, Cyrus avec le conseil de tous ses Amis, et de son Rival, apres avoir sçeu qu'Anaxaris n'avoit pas plus de cent hommes aveque luy, resolut que le Roy d'Assirie ; le Prince Artamas ; le Prince Intapherne, et luy ; prendroient deux cens Chevaux chacun, et se partageroient, pour tascher de trouver la route qu'avoit tenue Anaxaris, dont il ne pût alors avoir nulle lumiere. Mais comme il estoit bien aise que quelques uns de ses Amis fussent avec le Roy d'Assirie, de peur que s'il trouvoit Mandane, et qu'il la tirast des mains d'Anaxaris, il n'eust quelque tentation de manquer à sa parole, et de l'enlever pour luy ; il agit avec tant d'adresse, malgré toute sa douleur, qu'il fit que plusieurs de ses Amis suivirent son Rival, comme Araspe, Aglatidas, et quelques autres. Ainsi ces quatre Princes prenant les gens dont ils avoient besoin, se separerent, apres estre convenus des diverses routes qu'ils devoient tenir, et du lieu où ils se donneroient des nouvelles les uns des autres, en cas qu'ils en eussent de Mandane. Mais lors que ces quatre Troupes eurent pris chacune le chemin incertain qu'elles devoient prendre, et que Cyrus continuant de marcher, en se faisant informer continuellement de ce qu'il cherchoit, et en s'en informant luy mesme, vint à considerer qu'apres avoir pris Sinope, Artaxate, Babilone, Sardis, et Cumes : qu'apres avoir assujety p. 15tant de Royaumes ; et qu'apres avoir delivré Mandane, qui avoit esté enlevée par le Roy d'Assirie, par le Prince Mazare, et par le Roy de Pont ; il la voyoit encore enlevée par le Prince Aryante, il estoit dans un desespoir aussi grand que legitime. Car enfin il se voyoit aussi malheureux qu'il s'estoit veû sous le nom d'Artamene, lors qu'à son retour des Massagettes, il aprit en aprochant de Themiscire, que le Roy d'Assirie, qui portoit alors le nom de Philidaspe, avoit enlevé Mandane. Il y avoit pourtant des instans où il vouloir s'imaginer que peut-estre Aryante ne l'enlevoit-il pas : mais il n'y avoit pas moyen de le croire fortement : car comme il luy avoit confié tout son secret, il luy avoit dit l'heure où il se devoit batre contre le Roy d'Assirie : de sorte que voyant qu'il avoit enlevé Mandane, devant qu'il eust pû seulement s'estre batu contre son ennemy, il n'y avoit pas moyen de pouvoir conserver cette esperance. Ainsi sans sçavoir precisement ce qu'il devoit croire de cette fascheuse avanture, il voyoit tousjours bien qu'elle estoit tout à fait cruelle pour luy. Cependant quelque foin qu'il prist de trouver quelque lumiere de ce qu'il vouloit sçavoir, il n'en avoit aucune. Le Prince Artamas de son costé n'estoit pas plus heureux qu'il l'estoit, et Intapherne ne l'estoit pas aussi davantage. Mais si ces trois Princes chercherent Aryante inutilement, et le Prince Myrsile comme eux, il n'en fut pas de mesme du Roy d'Assirie : au contraire il sembloit que la p. 16Fortune le conduisoit sur les pas de Mandane ; car il trouva la route qu'elle avoit tenue, dés qu'il fut à cinquante stades du lieu où il s'estoit separé de Cyrus : si bien que la suivant diligemment, et aprenant toujours des nouvelles du passage de ceux qu'il cherchoit, il sçeut que le Chariot où estoit cette Princesse, s'estant rompu, on avoit esté long temps à le racommoder : de sorte qu'esperant alors de la joindre, il marcha si viste qu'il arriva enfin sur une petite eminence, qui n'estoit qu'à trente stades du Pont Euxin, d'où il vit à l'entrée d'un petit Bois, des Gens à cheval ; un Chariot arresté ; une Dame couchée sous des Arbres, la teste appuyée sur les genoux d'une autre ; et qui par son action sembloit essuyer ses larmes : y ayant encore une autre Femme à genoux devant elle, qui agissoit aussi comme si elle eust pleuré : de sorte que sçachant que Mandane n'avoit avec elle que Doralise, et Martesie, il ne douta plus que ce ne fust elle qu'il oyoit. Si bien que sans hesiter un moment, j'couragea les siens à bien faire ; il leur commanda de songer principalement à prendre garde de ne combatre pas si prés de Mandane, de peur qu'ils ne la peussent blesser sans y penser : apres quoy il leur ordonna de marcher, et de couper d'abord les resnes des Chevaux qui estoient au Chariot de cette Princesse, afin qu'Aryante ne s'en peust servir, ne doutant nullement qu'il n'y fust : neantmoins comme il n'estoit pas assez prés pour connoistre les visages de ceux qu'il voyoit, il ne le pouvoit p. 17sçavoir que par conjecture. Cependant les aparences le trompoient : car ce Prince ayant laissé Mandane sous cét ombrage, estoit allé luy mesme reconnoistre, si son Chariot pouvoit passer à un lieu qui luy accourciroit deux heures de chemin, pour aller à un Port où il avoit envoyé s'assurer d'un Vaisseau, dés qu'il avoit sçeu que Cyrus se devoit battre contre le Roy d'Assirie. De sorte qu'Andramite estant demeuré à commander l'escorte de Mandane, ne vit pas plus-tost paroistre ce Gros de Cavalerie, à la teste duquel estoit le Roy d'Assirie, qu'il ne douta pas qu'il n'allast estre attaqué. Mais afin de pouvoir du moins sçavoir qui l'attaquoit, il commanda à quelques uns des siens d'aller reconnoistre qui commandoit ceux qu'il voyoit : et commandant aux autres de se preparer à une vigoureuse deffence, il en mit une partie aupres de Mandane, et posta les autres à la teste de ce petit Bois qui estoit assez aisé à deffendre, parce qu'il n'y pouvoit pas estre facilement envelopé. Comme cela ne se pût faire sans que Mandane s'en aperçeust, et qu'elle n'avoit l'imagination remplie que du Roy d'Assire, qu'elle croyoit avoir tué Cyrus, elle se releva avec precipitation : conjurant Andramite si c'estoit luy qui paroissoit, de la deffendre contre ce Prince : obligeant mesme Doralise d'employer le pouvoir qu'elle avoit sur Andramite pour le porter à mourir plustost que de soufrir qu'elle tombast sous la puissance d'un homme, p. 18qu'elle croyoit avoir tué Cyrus ce jour là. Mais à peine eut-elle dit cela, que ceux qu'Andramite avoit envoyez reconnoistre le Roy d'Assirie, revenant au galop, l'assurerent que ce Prince estoit effectivement à la teste de ceux qui venoient à luy : de sorte que Mandane redoublant ses prieres à Andramite, et ses commandemens à ses Gardes, elle mettoit elle mesme obstacle à ceux qui venoient pour la delivrer : ne croyant pas alors estre plus dangereusement enlevée par Anaxaris, qu'elle ne sçavoit pas estre Aryante, qu'elle ne l'avoit esté par le Roy d'Assirie, par Mazare, ou par le Roy de Pont.