Partie 5 (voir le frontispice) – Livre deuxième.
Gravure de la partie 5, livre 2.
Résumé de la séquence
Après la prise de Nysomolis, ville stratégique sur la rivière Hermes, l'armée de Cyrus avance vers Sardis, où Mandane est retenue. La renommée d'un vaillant et mystérieux combattant lydien, nommé Telephane, se propage ; intrigué, Cyrus souhaiterait pouvoir se battre contre lui. Pendant ce temps, Aglatidas rentre de sa mission à la cour de Cresus, porteur de nouvelles relativement bonnes : les prisonniers de guerre sont traités avec respect ; le roi de Lydie accepte de se montrer moins rigoureux envers Artamas, mais refuse toujours de le libérer. De son côté, Abradate semble se plaindre des décisions de Cresus.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 61 : L'attaque de Nysomolis – 6 min.
L'armée de Cresus augmente en nombre de jour en jour. Or Cyrus est impatient de délivrer Mandane, prisonnière du roi de Pont à Sardis. Afin de tromper l'armée ennemie, il décide de ne pas passer le fleuve Hermes par le Château d'Hermes, comme l'on s'y attendrait, mais en attaquant une ville nommée Nysomolis, située près de la rivière, et possédant un pont. Et de fait, la valeur militaire du héros est telle que ses troupes prennent possession de la ville en vingt-quatre heures, ce qui réjouit l'armée et répand la terreur dans le camp lydien.
Lire l'épisode ⬇p. 286Cyrus ne fut pas plustost au Camp, qu'il envoya dire au Roy de Phrigie, que la Reine de la Susiane, et la Princesse de Pont, avoient escrit si avantageusement pour le Prince Artamas. qu'il esperoit que le voyage d'Aglatidas seroit heureux. Le jour suivant, il dépescha vers Ciaxare, pour luy donner advis de tout ce qui s'estoit passé : et pour le suplier de ne luy envoyer plus de troupes : afin que si Thomiris entreprenoit quelque chose, il fust en estat de luy resister, jusques à ce qu'il eust finy la guerre où il estoit engagé, et delivré la Princesse Mandane. p. 287Apres quoy, il ne songea plus qu'à commencer la Campagne : et qu'à reparer par quelque exploit memorable, le malheur qui luy estoit arrivé. Pour cét effet, il ne s'occupa durant quelques jours, qu'à aller voir luy mesme les Machines qu'il faisoit faire ; qu'a aller de Quartier en Quartier, faire une reveuë de toutes ses Troupes en particulier, jusques à ce qu'il en fist une generale : attendant impatiemment le jour bien heureux, où il conmenceroit d'entrer plus avant dans le Pais ennemy. Comme il avoit promis à Ligdamis de ne l'engager à rien qui choquast la generosité, il ne voulut point luy proposer d'obliger son Pere à luy donner passage par le Chasteau d'Hermes : il ne voulut pas mesme songer, à sa consideration, à s'en rendre Maistre par la force : et il resolut d'aller passer la Riviere plus prés de Sardis, en un lieu où il y avoit un Pont, et une petite Ville assez bien fortifiée, qu'il faloit prendre auparavant que d'estre assuré du passage de la Riviere. Cependant il recevoit tous les jours nouvelles que l'Armée de de Cresus grossissoit : il sçeut que les Egiptiens qu'Amasis luy avoit promis. et luy avoit envoyez par Mer, estoient arrivez : que les Thraces l'estoient aussi : et que cette Armée enfin estoit si nombreuse, qu'à peine le plus abondant Pais de toute l'Asie, pouvoit il suffire pour sa subsistance. Il aprit encore par ses Espions que dans peu de jours cette Armée qui s'estoit assemblée aux bords du Pactole, devoit s'avancer jusques à p. 288un lieu nommé Thybarra, ou tous les sujets de Cresus avoient ordre de conduire des vivres pour la commodité du Camp : chaque Ville et chaque Village estant taxé à une quantité precisé, des choses qu'ils pouvoient fournir. Cyrus aprenant donc que ses Ennemis viendroient bien tost à luy, s'il n'alloit promptement à eux, ne songea plus rien qu'à les prevenir : pour cét effet, apres avoir fait une reveüe generale de son Armée, qui se trouva alors estre composée de plus de cent quarante mille hommes : il tint Conseil de guerre, afin de resoudre comment se feroit l'attaque de la Ville de Nysomolis, par où il devoit s'assurer du passage de la Riviere. Le Roy de Phrigie ; celuy d'Hircanie ; le Prince Tigrane ; Phraarte ; Persode ; Gobrias, Gadate ; Hidaspe ; Adusius ; Chrisante ; Artabase ; et plusieurs autres, surent de ce conseil : où il sur resolu que l'on ne s'amuseroit pas à faire un Siege regulier, pour s'emparer de Nysomolis, et qu'il valoit bien mieux perdre quelques Soldats en le prenant par assaüt, que de donner loisir aux Ennemis de le venir secourir avec toute leur Armée. La chose ne fut pas plustost resoluë, que Cyrus songea à l'executer : de sorte que dés le jour suivant, ses Troupes commencerent de filer. Il fit pourtant faire une fausse marche durant un jour, afin d'abuser les Ennemis : et en effet ils y surent si bien trompez ; que ne doutant nullement que Cyrus n'eust dessein de passer la Riviere au Chasteau d'Hermes, ce fut là p. 289qu'ils envoyerent le plus de Troupes : se contentant de tenir seulement la garnison de Nysomolis extrémement forte. Comme Cyrus ne manquoit jamais à rien de ce qu'il devoit, il fut prendre congé de la Reine de la Susiane, et de la Princesse Araminthe : la plus part des Princes qui l'accompagnoient firent la mesme chose : et entre les autres, Phraarte, de qui la passion augmentoit de jour en jour, quoy que la froideur d'Araminte la deust plus tost diminuer. La conversation de Cyrus avec ces deux Princesses, eut quelque chose de fort touchant : ce Prince les consola pourtant autant qu'il pût : les assurant tousjours qu'il ne vouloit que delivrer Mandane : et que si le sort des armes luy estoit favorable, il se souviendroit à leur consideration, des personnes qui leur estoient cheres parmy les Ennernis, et ne les traiteroit pas comme estant les siens : apres quoy montant à cheval, il poursuivit son voyage. Cependant bien que le souvenir de tant d'Oracles fâcheux, et de predictions funestes, deust abatre le coeur a Cyrus, il cacha si bien sa douleur, que tous ses Soldats qui ne les sçavoient point, ne laisserent pas de marcher comme ils avoient accoustumé de faire, lors qu'ils alloient à une victoire assurée. On ne laissoit pas non plus de voir sur le visage de Cyrus, cette noble fierté, qui paroissoit dans ses yeux, dés qu'il avoit pris les armes, et qu'il estoit à cheval. En effet, ce Prince estoit si dissemblable à luy mesme, dés qu'il s'agissoit de combatre, p. 290ou de donner seulement des ordres miliaires ; qu'il n'arrivoit pas un plus grand changement au visage de la Pithie, lors qu'elle rendoit des Oracles, que celuy que l'on voyoit en Cyrus, dés qu'il avoit les armes à la main. On eust dit qu'un nouvel esprit l'animoit, et qu'il devenoit luy mesme le Dieu de la guerre : son taint en devenoit plus vif ; ses yeux plus brillants ; sa mine plus haute et plus fiere ; son action plus libre ; sa voix plus esclatante : et toute sa Personne plus majestueuse : de sorte qu'au moindre commandement qu'il faisoit, il portoit la terreur dans l'ame de tous ceux qui l'environnoient. Il paroissoit pourtant toujours de la tranquilité dans son ame, malgré cette agitation heroique, qui faisoit qu'il changeoit continuellement de lieu, afin d'estre par tout, et de donner ordre à tout : et certes il le faisoit avec tant de prudence, que jamais on n'a pû luy reprocher qu'il eust fait un commandement mal à propos. Aussi estoit il obeï avec une diligence extréme, et une obeissance aveugle : dés qu'il parloit, on commençoit de se disposer à faire ce qu'il vouloit qu'on fist ; et sa presence enfin avoit quelque chose de si divin, et de si terrible tout ensemble : que l'on peut dire que quand il estoit à la teste de son Armée, seulement avec le Baston de General à la main, il ne faisoit pas moins trembler ses Amis que ses Ennemis. Il est vray que ce sentiment faisoit des effets bien differents, dans le coeur des uns et des autres : car les derniers, par la crainte p. 291qu'ils avoient de luy, en prenoient bien sousouvent la suitte : et les premiers, par celle qu'ils avoient de luy desplaire, en estoient incomparablement plus vaillants : estant certain que le feu divin qui eschauffoit son coeur, et qui brilloit dans ses yeux, se communiquoit à toute son Armée : et luy donnoit effectivement une ardeur de combattre, qui n'estoit pas une des moindres causes de ces victoires. Voila donc quel estoit Cyrus, lors qu'il avoit les armes à la main : et voila quel il parut à la teste de son Armée, lors qu'il fut attaquer la Ville de Nysomolis. Comme il luy importoit extrémement de l'emporter en peu de temps, quelque resistance que les Rois de Phrigie et d'Hircanie y fissent, il voulut estre en personne à la premiere attaque qu'on y fit : et beaucoup mesme ont assuré, qu'il posa la premiere Eschelle : et qu'il fut aussi le premier qui parut sur le Rampart ennemy. Ce qu'il y a de constamment vray, est que sans luy cette petite Ville eust pû tenir plus de huit jours : toutefois par son incomparable valeur, il la prit en vintquatre heures, sans y avoir mesme perdu que tres peu de gens : plus de la moitie de la garnison ayant esté taillée en pieces, et le reste ayant pris party dans l'Armée de Cyrus. Ainsi le Roy de Lydie perdit en mesme temps, un passage tres considerable sur la Riviere d'Hermes, et trois mille de ses meilleurs Soldats. Ce premier succés donna tant de joye à toute l'Armée de Cyrus, et porta tant de terreur dans tout le Pais qui p. 292est le long de la Riviere d'Hermes, que l'on eust dit que ce Conquerant estoit desja Vainqueur de toute la Lydie.
Épisode 62 : La renommée de Telephane – 3 min.
L'armée menée par Cyrus gagne chaque jour du terrain sur les troupes adverses, à coup de petites batailles isolées. Bientôt, la renommée d'un combattant lydien d'une valeur exceptionnelle se propage dans les deux camps. Il s'agit d'un dénommé Telephane, qui porte un écu représentant la mort, avec la devise « Je la mérite ». Cyrus essaie en vain de le trouver pour confronter sa valeur à la sienne.
Lire l'épisode ⬇Cependant apres avoir reparé quelque desordre qui s'estoit fait en prenant cette Ville, et y avoir mis garnison, Cyrus fit passer toutes ses Troupes sur le Pont de Nysomolis : de sorte qu'en un jour et demy, toute cette grande Armée inonda, s'il faut ainsi dire, toute la Campagne voisine : portant avec elle une terreur si espouventable, que depuis les bords de la Riviere d'Hermes, jusques à ceux du Pactole, il n'y eut personne qui n'en tremblast, et que la peur ne saisist. L'Armée mesme de Cresus en fut estonnee : neantmoins comme elle estoit beaucoup plus nombreuse que celle de Cyrus, elle se rassura bien tost : mais comme il y avoit encore quelques Troupes qui n'estoient pas arrivées, Cresus ne voulut pas si tost descamper : joint qu'il creut qu'il estoit à propos de laisser un peu allentir la surie de ce Torrent, qui faisoit un si grand bruit : croyant en effet que l'Armée de Cyrus se dissiperoit durant que la sienne se grossiroit encore. Il envoya pourtant vint mille hommes, sous la conduite d'Andramite, pour arrester un peu les Coureurs de l'Armée de Cyrus, en attendant qu'il marchast : se fiant d'ailleurs tellement à l'Oracle qu'il avoit reçeu à Delphes, que quand son Armée eust esté aussi foible qu'elle estoit forte, il n'eust pas laissé d'esperer la victoire, et de croire qu'il devoit destruire l'Empire qui sembloit devoir p. 293estre un jour à Cyrus. Cependant comme ce Prince vouloit s'assurer de tous les passages ; se rendre Maistre de la Campagne ; et ne laisser point de Villes derriere luy, qui pussent l'incommoder, il prit toutes celles qui se rencontrerent sur sa route : Il est vray que cela ne l'arresta pas longtemps : car l'espouvante estoit si grande par tout, que la plus part se rendirent, dés que les Troupes aprocherent. Ce qui les y obligea encore davantage, sut que Cyrus traitta avec beaucoup de douceur toutes celles qui ne luy resisterent point, ne souffrant pas que ses Soldats y fissent le moindre desordre : mais en eschange, celles qui surent assez hardies pour s'opposer au dessein qu'il avoit d'aller diligemment à Sardis, pour y delivrer sa chere Mandane, sentirent sans doute la pesanteur de son bras : et s'aperçeurent trop tard qu'il y a beaucoup d'imprudence d'entreprendre plus qu'on ne peut, et par consequent plus qu'on ne doit. Apres s'estre donc assuré de tout ce qui luy pouvoit nuire, il se posta avantageusement, à une journée et demie de Sardis : tant pour donner quelque repos à ses Troupes, Si rafraichir son Armée, que pour aprendre des nouvelles dés Ennemis, et attendre le retour d'Aglatidas. Il ne se passoit pourtant point de jour, qu'il n'y eust quelque combat : car comme les vint mille hommes que commandoit Andramite pour Cresus s'estoient postez au bord d'un petit Ruisseau, qui n'estoit qu'à trois cens stades de là, où l'un ne pouvoit aller p. 294que par un défilé assez long, ils estoient tous les jours en de continuelles escarmouches, dont le succés n'estoit pas tousjours esgal. Car quelques fois ceux de Cresus avoient quelque avantage : mais pour l'ordinaire, ils estoient pourtant batus : de sorte qu'il n'y avoit point de jour que l'on n'amenast des Prisonniers à Cyrus, qui vouloit tousjours les interroger luy mesme : non seulement pour s'instruire de tout ce qui luy pouvoit estre avantageux, mais encore pour demander s'ils ne sçavoient rien de la Princesse Mandane : car comme il y avoit quelquesfois des Officiers, il avoit tousjours la consolation d'aprendre diverses choses qu'il avoit envie de sçavoir. Il ne s'informoit pas seulement de Mandane, mais encore de ses Rivaux : il sçeut aussi par la mesme voye, qu'il y avoit un Estranger admirablement bien fait, qui s'estoit jetté depuis quelque temps dans le Party de Cresus : et qui estant alors avec Andramite, s'estoit signalé dans les petits combats qui s'estoient faits. Ces Prisonniers ne purent toutesfois luy dire sa condition : luy disant seulement qu'il se faisoit nommer Telephane. En effet, toutes les Parties qui surent à la guerre durant quelques jours, s'aperçeurent bien qu'il y avoit un homme d'une valeur extraordinaire parmy les Lydiens, par la resistance qu'ils trouverent à remporter l'avantage : de sorte que le nom de Telephane, se rendit bientost celebre aux Amis et aux Ennemis. Quoy que Cyrus fust absolument incapable p. 295d'un sentiment envieux, la gloire de ce Telephane, luy donna une si forte envie de le rencontrer, qu'il fut luy mesme à cette petite guerre plus d'une fois, mais il ne le rencontra pourtant pas : si bien que se reprochant ce sentiment là, comme une foiblesse et comme une injustice, luy semblant qu'il ne devoit devoit alors desirer de combattre que ses Rivaux : il ne ongea plus à ce Telephane, dont on luy avoit tant parlé : et ne pensa plus qu'à haster sa victoire ou sa deffaite ; ne pouvant pas apres tant de fâcheuses Predictions, ne mettre point la chose en doute. Cependant il sçeut le jour suivant, que le Roy de Pont estoit arrivé au Camp ennemy, et que ce seroit luy qui commanderoit l'Avant garde : Cyrus ne sçeut pas plustost que ce Ravisseur de sa Princesse estoit si proche de luy, qu'il eut une nouvelle ardeur de combatre : ce qui l'obligea à vouloir tenter quelque chose, auparavant que d'en venir à une Bataille generale, comme il jugeoit bien qu'il la faudroit donner : n'ignorant pas que tous ces petits avantages qu'il remportoit tous les jours, n'estoient pas decisifs : et qu'à moins que deffaire entierement cette grande Armée, il ne delivreroit pas Mandane. Il croyoit pourtant que s'il pouvoit ou tüer ou prendre le Roy de Pont, ce seroit un grand acheminement à sa victoire, et à la libetté de cette Princesse : de sorte que pour pouvoit faire l'un ou l'autre, il entreprit le jour suivant de forcer les Ennemis, et de leur faire quitter le Poste p. 296où ils estoient retranchez. Mais il estoit si avantageux, que quand ils n'eussent eu que dix mille hommes, il auroit esté tres difficile de les en chasser ; il n'auroit pourtant pas esté impossible à Cyrus, à la valeur duquel rien ne pouvoit resister : si la nuit n'eust fait cesser le combat, deux heures plustost qu'il ne faloit pour les vaincre. Il est vray que ses ennemis perdirent tant de monde à cette attaque, qu'il eut lieu d'estre consolé, de ce qu'il n'avoit pu rencontrer pendant ce combat, ny le Roy de Pont, ny Telephane, qu'on luy avoit dit porter une Mort peinte à son Escu, avec cette Devise je la merite.
Épisode 63 : Le retour d'Aglatidas – 6 min.
Aglatidas, qui avait été dépêché dans le camp adverse, est de retour. Son voyage s'est bien déroulé : les prisonniers sont traités avec respect, et il a pu apercevoir la princesse Mandane en haut d'une tour. Le roi d'Assirie, également captif, est au désespoir d'attendre sa libération de la main de son rival. Aglatidas a également remis les lettres de Panthée et d'Araminte à Abradate et au roi de Pont. Tous deux sont intervenus en faveur d'Artamas auprès de Cresus. Mais le roi de Lydie n'a pas changé d'avis au sujet du prince de Phrigie ; il accepte cependant de le traiter en prisonnier de guerre et non en criminel d'état. Quant à Abradate, il éprouve de plus en plus d'amertume vis-à-vis de Cresus. Il souhaiterait se lier d'amitié avec Cyrus et, dans cette intention, il lui envoie en gage un précieux médaillon avec le portrait de Panthée.
Lire l'épisode ⬇Cyrus fut pourtant inconsolable, de ce qu'il n'avoit pas rencontré son Rival : et il songeoit desja par quelles voyes il pourroit forcer le lendemain les Retranchemens des Ennemis : lors qu'il vit revenir Aglatidas. A peine fut il entré dans sa Tente (où il estoit presques seul, tout le monde s'estant retiré pour le laisser reposer une heure ou deux) qu'il fut à luy les bras ouverts : et bien mon cher Aglatidas, luy dit il, sçavez vous comment se porte la Princesse, et comment on la traite à Sardis ? Seigneur, repliqua t'il, on la garde si soigneusement, qu'il ne m'a pas esté possible de sçavoir particulierement de ses nouvelles : je sçay toutesfois qu'elle est en santé, et qu'on la sert avec beaucoup de respect : mais comme elle est dans la Citadelle, aussi bien que la Princesse Palmis, que l'on ne garde pas moins exactement que la Princesse Mandane, il p. 297n'a pas mesme esté au pouvoir de Feraulas, tout adroit qu'il est, de trouver les moyens de faire rien dire à Martesie. Ce n'est pas que je n'aye. veû la Princesse : quoy, interrompit Cyrus, vous avez veû Mandane ! et comment l'avez vous pû voir sans luy parler ? je l'ay veuë Seigneur, reprit il, sur le haut d'une des Tours de la Citadelle, où elle va tous les soirs se promener, avec la Princesse de Lydie : mais les tossez sont si larges, et cette Tour est si haute, que je l'ay presque veuë sans la voir : puis que je n'ay pû luy parler, ny peut-estre en estre veû. Il me semble pourtant, adjousta t'il, qu'une des Femmes qui la suivoient me fit quelque signe, mais je n'en voudrois pas respondre : quoy qu'il en soit, dit il : Feraulas la voit tous les jours de cette sorte : car le lieu où l'on a logé les Prisonniers de Guerre, est vis à vis de cette Tour. Si bien que le Roy d'Assirie, reprit Cyrus avec precipitation, voit ma Princesse comme les autres ? et plus que les autres, dit Aglatidas, car il est continuellement à une fenestre de sa Chambre, qui donne de ce costé là. Ha Aglatidas, s'écria Cyrus, que me dittes vous ! Seigneur, reprit il, ne soyez pas en peine de ce que je vous dis : estant certain que ce Prince n'en est guere plus heureux : car par les ordres du Roy de Pont, qui a grand credit aupres de Cresus, il est gardé si exactement, qu'il ne peut pas avoir la liberté de donner de ses nouvelles, à la Princesse Mandane. Cyrus ayant calmé l'agitation de son esprit, en aprenant une p. 298chose qui luy estoit si agreable, commanda alors à Aglatidas qu'il luy rendist conte de son voyage regulierement : s'informant toutesfois encore auparavant, de la santé du Prince Artamas, comme de celle de tous les autres Prisonniers, et de Feraulas en particulier. Apres qu'Aglatidas luy eut donc apris, que le Prince Artamas estoit hors de danger, et que l'inconnu Anaxaris, Feraulas, Sosicle, et Tegée, se portoient bien : il luy dit qu'il avoit trouvé Cresus à Sardis, dont il avoit esté traité fort civilement. Qu'apres avoir leû sa Lettre, il luy avoit dit que sa recommandation luy seroit tousjours fort chere, excepté pour le Prince Artamas : l'assurant qu'il luy donneroit sa responce le lendemain. Qu'en suitte, luy ayant demandé permission de donner une Lettre au Roy de Pont, de la part de la Princesse sa Soeur, et une de la Reine de la Susiane au Roy son Mary, il la luy avoit accordée : l'ayant fait conduire vers ces deux Princes, par les Gardes qu'on luy avoit donnez pour l'observer, tant qu'il seroit à Sardis. Mais, luy dit Cyrus, le Roy de Pont et Abradate n'estoient il pas au Camp ? non pas alors, reprit Aglatidas, car comme il est fort proche de la Ville, ils y estoient venus pour tenir conseil de guerre : et en effet le Roy de Pont est pany de là pour venir commander l'Avantgarde. De vous dire Seigneur, adjousta t'il, comment Abradate m'a reçeu, il ne me seroit pas possible : mais ce que je vous puis assurer, est que ce Prince aime certainement p. 299la Reine Panthée avec une passion estrange. En effet, il n'eut pas plustost leu sa Lettre, qu'il m'assura qu'il seroit le protecteur de tous les Prisonniers que l'on feroit durant cette guerre, aussi bien que de ceux qui estoient desja à Sardis : me disant cent choses genereuses et obligeantes. En suitte dequoy, voulant executer à l'heure mesme les ordres de Panthée, il fut trouver Cresus, comme je vous le diray, apres que je vous auray fait sçavoir comment le Roy de Pont me traita. je m'assure, reprit Cyrus, que j'auray le desplaisir d'aprendre qu'il n'a pas cessé d'estre genereux : il est certain, repliqua Aglatidas, que j'ay esté surpris de voir de quelle façon ce Prince a agy. Car Seigneur, vous n'avez rien fait pour luy, dont il ne se toit souvenu : il vous apella son Protecteur, et son Liberateur : il protesta qu'il estoit au desespoir d'estre ingrat : et me jura que c'estoit bien moins à la consideration de la Princesse sa Soeur, qu'à la vostre, qu'il vouloir proteger le Prince Artamas, et tous les autres prisonniers. En suitte dequoy, m'ayant ramené chez Cresus, je fus tesmoin de tout ce que le Roy de la Susiane et luy dirent en faveur d'Artamas et des autres : Cresus demeurant tousjours ferme, à dire que le Prince de Phrigie ne devoit point estre traité en prisonnier de guerre, mais en criminel d'Estat : et les deux autres soutenant au contraire avec ardeur, qu'il n'avoit aucun droit sur ce Prince, que celuy que la guerre luy donnait. Cependant la chose ne pût estre resoluë ce p. 300jour là, ny mesme le lendemain, quoy que Cresus m'eust promis de me dépescher : durant cela je visitay, avec la permission du Roy, tous les Prisonniers, sans pouvoir leur rien dire en particulier : je sçeu toutesfois par Feraulas, que le Roy d'Assirie avoit esté reconnu, douant mesme que d'arriver à Sardis : et que depuis sa prison, il avoit toujours eu une melancolie estrange : ne pouvant se consoler de ce qu'il n'auroit pas la gloire de vous aider à delivrer la Princesse Mandane : et de ce qu'au contraire, il faudroit encore qu'il vous deust sa liberté. En effet, ce Prince me chargea de vous tesmoigner, le déplaisir qu'il avoit de ne partager pas les perils que vous aurez à courre durant cette guerre : m'ordonnant de vous faire souvenir de vos promesses, Pour le Prince Artamas, Seigneur, il m'a dit cent choses obligeantes pour vous dire, aussi bien qu'Anaxaris, Sosicle, et Tegée : mais durant que j'estois avec ces Prisonniers, qui comme je vous l'ay dit, sont logez à un Palais qui est vis à vis de la Citadelle ; dans laquelle on ne les a point mis, parce que Cresus ne veut point que le Prince Artamas soit en mesme lieu que la Princesse de Lydie : et que le Roy de Pont n'a pas aussi voulu que le Roy d'Assirie fust avec la Princesse Mandane. Durant, dis-je, que j'estois avec ces illustres Captifs, Abradate et le Roy de Pont voyant que Cresus ne se rendoit point, luy representerent qu'ils avoient deux Personnes si proches et si cheres en vostre puissance, qu'ils avoient p. 301lieu de craindre pour elles, s'il ne traittoit pas Artamas en prisonnier de guerre : mais il respondit à cela, que tant que Mandane seroit en la sienne, ils n'auroient pas lieu de rien aprehender pour la Reine de la Susiane, ny pour la Princesse Araminthe. Comme Abradate est plus violent que le Roy de Pont, il parla plus ferme à Cresus : luy disant qu'il voyoit bien qu'il s'estoit abuse, ayant creû que s'il luy de mandoit le Prince Artamas, afin de vous proposer d'en faire un eschange avec la Reine sa Femme, il ne luy refuseroit point : et que bien loin de cela, il ne vouloit pas seulement demeurer dans les loix ordinaires de la guerre. Adjoustant encore beaucoup d'autres choses, ausquelles Cresus respondit si durement, que je suis le plus trompé de tous les hommes, si Abradate n'a quelque aigreur dans le coeur contre luy. Car lors que je fus prendre sa responce, je luy entendis raconter la chose, parlant à de my bas à un de ses Amis, d'une maniere qui me le fit assez connoistre. Cependant le Roy de Pont et luy, firent pourtant à la fin resoudre Cresus à ce qu'ils souhaitoient : de sorte que j'eus ma responce, telle que je la pouvois desirer. En prenant congé d'Abradate, il me chargea d'une Lettre pour la Reine sa Femme : et m'ordonna de vous dire, que s'il eust este Maistre absolu de la chose, il n'auroit pas seulement protegé Artamas, mais qu'il l'auroit delivré : adjoustant à cela une chaine d'or avec une Medaille, où est le Portrait de Panthée, qu'il me pria de p. 302prendre : afin, disoit il, de me pouvoir souvenir de vous dire qu'il y avoit un homme parmy vos ennemis, qui mouroit d'envie de pouvoir avec honneur estre vostre Amy. Seigneur, luy dis-je alors, vous me dispenserez s'il vous plaist de recevoir un present si magnifique, qu'il pourroit me rendre suspect au Prince que je sers : comme son merite, reprit il, a des chaines plus fortes à vous attacher à luy, que celle que je vous donne n'est precieuse, il ne soubçonnera sans doute pas un homme comme vous, de s'estre laissé suborner. Enfin il falut ceder à la liberalité d'Abradate en l'acceptant : en suitte je fus chez le Roy de Pont, qui me donna sa responce pour la Princesse sa Soeur : et qui me chergea tout de nouveau, de vous assurer que vous pouviez tousjours attendre de luy, tout ce qui ne prejudiceroit point à son amour. Apres cela, Aglatidas ayant remis la Lettre du Roy de Lydie entre les mains de Cyrus, il y leût ces paroles.
CRESUS A CYRUS.
Quelque sujet que j'aye de traitter le Prince Artamas en criminel d'Estat, je ne laisse pas de vous assurer qu'à vostre consideration, et à la priere de deux Princes qui ont secondé la vostre, je le traitteray en Prisonnier de guerre : et mesme avec beaucoup de douceur. p. 303Je souhaite que je sois souvent en estat de vous rendre de pareils offices : et que je ne me trouve jamais dans la necessité d'en recevoir de semblables de vous.
CRESVS.