Partie 9 (voir le frontispice) – Livre deuxième.
Gravure de la partie 9, livre 2.
Résumé de la séquence
Tandis que l'armée de Cyrus s'avance vers l'Araxe, le héros reçoit des nouvelles de Mandane grâce à Feraulas et à Ortalque. Cyrus apprend que la princesse a été conduite à la cour de Thomiris, après que celle-ci et son frère Aryante, ravisseur de Mandane, se sont réconciliés. La seule consolation de la princesse, lors de sa captivité, est l'amitié nouvelle dont elle s'est liée avec Araminte, enlevée par Phraarte et également prisonnière de la reine des Massagettes.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 45 : Le récit de Feraulas – 6 min.
En marche vers le pays des Massagettes, l'armée de Cyrus fait halte à trois jours de l'Araxe. Feraulas arrive peu après, porteur de nouvelles de la princesse Mandane. Il a suivi un navire jusqu'à l'endroit où le Phase se jette dans le Pont Euxin, persuadé que Mandane y est retenue captive par Aryante. Et de fait, il parvient à entrer en contact avec un des gardes de la princesse, qui lui révèle les desseins d'Aryante.
Lire l'épisode ⬇p. 303Apres que Cyrus eut bien examiné tout ce qu'il avoit sçeu d'Aryante, par l'Amy d'Adonacris ; il conclut qu'il falloit en effet executer la resolution qu'il avoit prise, et commencer de marcher vers le Païs des Massagettes, dés qu'il seroit pleinement esclaircy de l'estat des choses : afin qu'il peust tourner Teste, ou vers Thomiris, si elle recevoit Mandane pour la retenir ; ou vers Aryante, p. 304s'il la conduisoit à Issedon. De sorte que donnant dés le lendemain au matin tous les ordres necessaires, et reglant luy mesme la Route que ses Troupes devoient tenir, il partit deux jours apres : mais avant que de partir il visita Adonacris, suivy d'Indathyrse, avec qui il eut une conversation qui luy fit bien connoistre, qu'Anabaris avoit eu raison de luy donner toutes les loüanges qu'il luy avoit données, en racontant ses Avantures. Cette visite ne fut pas seulement une visite de civilité : car Cyrus dit à Adonacris, que connoissant sa vertu par Indathyrse, il le conjuroit, dés qu'il seroit guery, de vouloit aller trouver le Prince Aryante, pour tascher de le ramener à la raison, et de luy persuader de se repentir de l'injuste resolution qu'il avoit prise. Seigneur, repliqua Adonacris, quand vous ne m'auriez pas proposé de faire ce que vous dittes, je vous aurois suplié de me donner la liberté, afin d'aller faire ce que vous voulez que je face : mais Seigneur, puis que la haute estime que je sçay que le Prince Aryante a pour vous, et les obligations qu'il vous avoit comme Anaxaris, ne l'ont pû empescher de suivre aveuglément sa passion ; je crains bien que je ne sois pas plus puissant que je l'ay esté, lors que je l'ay voulu empescher de faire ce qu'il a fait : je ne laisseray pas toutesfois de faire ce que je dois, et pour vous, et pour luy, dés que mes blessures me le permetront, Apres Cela Cyrus embrassa aussi Anabaris, qui s'offrit à le servir en toutes les choses qui despendroient p. 305de luy, pour luy faire delivrer Mandane : sçachant bien que c'estoit empescher la desolation de sa Patrie, que de travailler à la liberté de cette Princesse : de sorte que luy offrant tous les Amis qu'il avoit aupres de Thomiris, il partit avec ce Prince, afin de pouvoir agir pour luy, et pour son Païs, quand il seroit en lieu de le pouvoir faire. Pour Indathyrse, quoy qu'il fust guery de la passion qu'il avoit euë pour Thomiris, elle ne luy estoit pas indifferente : au contraire, il ne pouvoit s'empescher, quelque genereux qu'il fust, de souhaiter que rien ne luy succedast heureusement. Ainsi meslant un sentiment de vangeance, aux interests de Cyrus qu'il aimoit fort, il le suivit aveque joye : estant bien aise aussi de voir qu'il estoit notablement amendé à Adonacris, et qu'il y avoit aparance qu'il les joindroit avant qu'ils fussent sur les Frontieres des Massagettes. Et en effet Indathyrse ne se trompa pas : car Cyrus estoit encore à trois journées de l'Araxe, lors qu'Adonacris le joignit. Comme cette marche avoit assez fatigué son Armée, Cyrus avoit jugé à propos de faire alte en ce lieu là, avant que de s'aprocher davantage de Thomiris, qu'il sçavoit en avoir une tres grande et tres nombreuse : joint que ne sçachant encore où estoit alors Mandane, il pensa, qu'il falloit tascher d'en avoir quelques nouvelles, avant que d'aller plus avant. Il est vray qu'il n'attendit pas long temps : car le troisiesme jour apres qu'il fut Campé, comme il parloit avec p. 306Mazare et le Prince Myrsile, Feraulas revint : qui tesmoigna d'abord avoir tant d'empressement, que Cyrus ne douta point qu'il ne sçeust des nouvelles de sa Princesse. Si bien que prenant la parole, afin de l'obliger plus diligemment à l'aprendre ; eh de grace, mon cher Feraulas (luy dit il, en s'avançant vers luy) dittes moy promprement ce que vous sçavez de Mandane : car je connois bien dans vos yeux que vous en sçavez quelque chose. Il est vray Seigneur, reprit-il, que je sçay une grande partie de ce que vous voules sçavoir : mais le mal est que je ne sçay rien qui vous puisse estre agreable : car enfin, il faut que vous sçachiez qu'ayant obeï à vos ordres, je fus au Port le plus proche de celuy où je vous laissay. Mais Seigneur, au lieu d'y trouver plusieurs Vaisseaux pour aller apres le Prince Aryante, je n'y en trouvay qu'un en estat de faire voile à l'heure mesme : de sorte que m'y embarquant avec vingt de ceux que vous m'aviez donnez, je laissay les autres pour se mettre dans deux Vaisseaux qu'on preparoit : et je dis au Pilote avec qui je traitay, que je n'avois autre dessein que de croiser la Mer, en tirant tousjours vers la Colchide, afin de tascher d'avoir des nouvelles d'un Vaisseau que je cherchois. Et en effet Seigneur, je fus si heureux, que dés le soir nous sçeusmes par des Pescheurs que nous trouvasmes, qu'ils avoient veû un Navire à peu prés tel qu'estoit celuy que je suivois, qui encore qu'il n'eust pas le vent fort favorable, n'avoit pas laissé p. 307de faire force, pour avancer tousjours : si bien qu'esperant que c'estoit celuy que je voulois trouver, je me sis dire la route qu'il avoit tenuë, et je la suivis. Et à dire la verité Seigneur, il a bien parû que les Dieux vouloient que vous sçeussiez où est Mandane : car depuis cela je trouvay tousjours des Barques ou des Vaisseaux, qui avoient rencontré celuy que je suivois. Mais ce qui acheva de me confirmer dans l'opinion que ce Navire estoit celuy du Prince Aryante, fut que j'en trouvay un, dont le Capitaine me dit que l'eau ayant manque à ce Vaisseau qu'il avoit rencontré, il luy en avoit demandé : si bien que s'estant aproché, afin qu'il pûst rendre cet office (qu'on ne refuse point à la Mer, quand on le peut) il avoit veû à la Porte de la Chambre de Poupe, deux fort belles Personnes, qui paroissoient estre fort affligées ; et qu'il avoit entreveû dans cette mesme Chambre, une autre Dame dont il n'avoit pû voir le visage, parce qu'elle essuyoit ses yeux comme ayant pleuré. De sorte Seigneur, que ne doutant plus alors que ce Vaisseau que je suivois, ne fust celuy que je devois suivre, j'en eus une joye extréme : mais ce qui acheva de me donner lieu de le joindre, fut que j'apris encore que le Pilote qui le conduisoit, avoit conferé avec celuy de ce Capitaine avec qui je parlois : afin de sçavoir s'il y avoit seureté d'aborder aupres de l'endroit où le Phase se jette dans le Pont Euxin, parce qu'il ne le vouloit pas faire à un Port de la Colchide, qui n'estoit p. 308pas esloigné de là. Si bien que ce Pilote luy ayant assuré qu'il le pouvoit, pourveû qu'il prist au dessus de l'emboucheure du Fleuve, et qu'il esvitast un Rocher qui est caché sous l'eau en cét endroit ; je me servis des mesmes enseignemens, et je fus en effet au lieu où le Prince Aryante avoit abordé : mais comme il avoit eu beaucoup de temps d'avance, quelque diligence que je pusse faire, il estoit desja desbarqué lors que j'y arrivay. Il est vray que j'apris qu'il avoit conduit Mandane à un Chasteau qui n'est qu'à six stades de là, et qui est scitué au bord du Phase : mais ce qui m'embarrassoit, estoit que je n'osois me monstrer, de peur d'estre reconnu par ceux qui suivoient Aryante et Andramite : ainsi il falut me contenter d'envoyer à Terre (pour tascher d'aprendre des nouvelles) ceux que j'avois pris au Port où je m'estois embarqué. Mais comme me ils estoient assez grossiers, je n'en estois guere mieux informé : et tout ce que je sçavois estoit qu'il ne m'estoit pas possible de rien entreprendre pour delivrer la Princesse : car Aryante etAndramite, la faisoient garder soigneusement par leurs Gens ; et le Chasteau où elle logeoit estoit tres fort. De sorte que n'ayant que vingt hommes de main, je ne pouvois qu'estre Espion : encore ne l'eussay-je pas esté trop bon, si je ne me fusse advisé, apres plusieurs jours de patience, de tascher de faire venir dans mon Vaisseau, un de ceux qui estoient à la suite d'Aryante, afin d'avoir quelque lumiere de son dessein, et de ce p. 309qui le retenoit là. Si bien qu'ayant chosi trois Soldats determinez, je les fis habiller en Matelots : apres quoy suivant l'usage de ceux qui sont abordez en mesme lieu, ils turent faire conversation avec ceux de ce Vaisseau qu'ils rencontrerent sur le Rivage : car dans l'oisiveté où estoient ceux qui n'estoient point de garde, ils ne faisoient autre chose que de se promener sur le bord de la Mer, ou d'aller à la Chasse de ces beaux Oyseaux à qui le Phase donne son nom, et dont il y a une quantité prodigieuse sur ses Rives : si bien qu'apres s'estre abordez ; avoir chassé ensemble ; et avoir parlé de plusieurs choses indifferente, qu'ils se demanderent les uns aux autres ; ceux du Vaisseau d'Aryante, prierent ceux à qui ils parloient d'y entrer à leur retour : de sorte que pour leur rendre civilité, pour civilité, et pour arriver aussi à la fin qu'ils sçavoient que je m'estois proposée, ils les prierent en suitte d'aller au leur. Cependant comme le hazard fit que presques tous ceux à qui ils le proposerent, avoient alors quelques chose à faire à leur bord, il n'y en eut qu'un qui les suivit : mais admirez Seigneur, l'ordre de la Providence : car enfin cét homme qui les suivit, se trouva estre un des Gardes de Mandane, et celuy de tous qui avoit le plus de connoissance de ce que je voulois sçavoir. De sorte Seigneur, que dés que je le vy dans mon Vaisseau, je me montray à luy : et je le surpris si fort par ma veuë, que s'imaginant que vous estiez caché dans ce Navire, et que vous l'alliez p. 310faire jetter dans la Mer pour le punir de son crime, il se jetta à mes pieds, et prenant la parole ; eh de grace Feraulas, me dit-il, sauvez moy la vie : car si nostre Prince me la donne, je luy diray des choses qui luy aideront peut-estre à delivrer Mandane. Vous pouvez juger Seigneur, que je luy promis de vous prier pour luy, pourveû qu'il me dist tout ce qu'il me promettoit : et en effet, je me servis si bien de la crainte et de l'esperance, qu'il me dit tout ce qu'il sçavoit : et il sçavoit tout ce qu'il y avoit à scavoir. Car comme Andramite ne s'estoit plus trouvé son Escuyer apres le Combat, il avoit pris celuy à qui je parlois pour luy en servir, en attendant qu'il retrouvast le sien, ou qu'il en eust un autre : de sorte que s'estant intrigué aupres de luy, il avoit oüy plusieurs conversations d'Aryante et d'Andramite, qui luy avoient apris leurs desseins.
Épisode 46 : Les révélations du garde de Mandane – 2 min.
Le garde, qui a surpris une conversation entre Aryante et Andramite, ravisseur de Martesie, informe Feraulas des projets du ravisseur. Aryante a écrit à Thomiris pour la conjurer d'oublier le passé : il est prêt à renoncer au trône des Issedons à condition d'être reçu par la reine des Massagettes, laquelle doit s'engager à ne jamais rendre Mandane à Cyrus. Thomiris accepte ce marché avec joie, d'autant que cela lui permet de retenir sa rivale prisonnière. Aryante est donc sur le point de partir en direction de la Colchide. De leur côté, Mandane et Martesie sont traitées avec respect par leurs ravisseurs, ce qui ne les empêche pas d'être extrêmement irritées contre eux.
Lire l'épisode ⬇Dittes les moy donc promptement, interrompit Cyrus, si vous les sçavez : je vous diray donc Seigneur, reprit Feraulas, que j'ay sçeu par ce Garde, qu'encore que le Prince Aryante sçeust qu'il y avoit de grandes dispositions à le faire Roy des Issedons, il a mieux aimé songer à conserver Mandane, qu'à conquerir un Royaume, se mettant au hazard de la perdre : ne doutant nullement qu'il ne se vist attaqué tout à la fois, et par vous, et par Thomiris, s'il la menoit à Issedon. Si bien que ne songeant qu'à avoir Mandane en sa puissance, il ne fut pas plustost abordé, qu'il escrivit à Thomiris, et à ceux de ses Amis p. 311qui estoient alors aupres d'elle, afin de la suplier d'oublier le passé : à condition de renoncer solemnellement à la Couronne des Issedons, et de ne pretendre de sa vie à autre qualité qu'à celle de son Sujet : pourveû qu'elle voulust recevoir Mandane dans sa Cour, et s'engager à ne vous la rendre jamais, et à faire tout ce qu'elle pourroit pour la luy faire espouser. Ainsi Seigneur, il vous est aisé de juger, que dans les sentimens où est Thomiris pour vous, elle n'a pas refusé une proposition qui luy assure un Royaume, et qui remet en sa puissance une Personne qu'elle croit qui est seule cause que vous ne l'aimez pas. Aussi ce Garde me dit-il, que la responce estoit venuë aussi favorable qu'Aryante l'eust pû souhaiter ; que Thomiris oublioit le passé ; et offroit telle seureté qu'il voudroit pour sa personne, et pour celle de Mandane ; et qu'elle s'engageoit solemnellement, à ne vous la rendre jamais. Et en effet, me dit encore ce mesme Garde, elle a envoyé deux hommes de qualité à Aryante, luy dire que s'il veut son Fils en Ostage, elle le luy donnera, pourveû qu'il mette Mandane en son pouvoir. Mais comme Aryante sçait bien que Thomiris a un interest qui l'empeschera de luy manquer de parole, pour ce qui regarde Mandane, il a creû qu'il devoit se confier absolument à elle : c'est pourquoy il part demain, pour aller par terre traverser la Colchide, et de là droit vers cette Princesse : mais en mesme temps il a envoyé vers un homme qui s'appelle, ce me p. 312semble, Octomasade, pour luy dire qu'il ne songe plus à le faire Roy : et il a envoyé aussi à Issedon, vers ceux qui se devoient soûlever en sa faveur, pour leur dire la mesme chose. Du moins ay-je entendu tout ce que je viens de dire, de la bouche d'Aryante, ou de celle d'Andramite lors qu'ils ont parlé ensemble, sans qu'ils croyent que je les aye entendus : car l'amour les occupe tellement tous deux, qu'à peine sçavent-ils ce qu'ils voyent, ou ce qu'ils ne voyent pas. Apres cela Seigneur, je creûs que ce Garde ne me pouvoit plus rien aprendre ; et je creûs mesme que le mieux que je pouvois faire, estoit de gagner absolument cét homme, et de le renvoyer, afin qu'il vous pûst donner des nouvelles de Mandane : et en effet, je luy inspiray tant d'horreur de la perfidie de ceux qui vous avoient trahi, que j'ose assurer qu'il sera fidelle Espion. Cependant je ne le renvoyay pas sans luy demander comment Aryante vivoit avec la Princesse : mais il me dit que c'estoit avec tant de respect, qu'elle ne pouvoit avoir autre sujet de s'en pleindre, que celuy de l'avoir enlevée. Il m'assura pourtant qu'elle estoit dans une affliction incroyable : et que si elle n'eust eu Martesie pour la consoler, il ne sçavoit ce qu'elle auroit fait, parce que Doralise estoit elle mesme si affligée et si irritée d'estre enlevée par Andramite, qu'elle n'estoit pas en estat de la soulager. Mais Seigneur, pour ne me fier pas tout à fait à ce Garde, je fis voile dés que je l'eus remis à terre, de peur p. 313que s'il me trahissoit, il ne me fist arrester, et ne m'empeschast de vous venir advertir. Neantmoins comme je voulois sçavoir effectivement si : le Prince Aryante partiroit le lendemain, je ne m'esloignay pas extrémement : et j'envoyay informer dans un Esquif, s'il estoit vray qu'il fust party ; bien marry de n'estre pas en estat de pouvoir l'empescher d'emmener Mandane. Mais comme j'avois trop peu de Gens pour en avoir seulement la pensée, je creûs qu'il valoit mieux venir diligemment vous advertir de ce que je sçavois, que de tenter une chose impossible. Cependant je n'ay pû y venir aussi tost que je l'eusse voulu, parce que j'ay eu le Vent contraire : de sorte que si Gelonide, qui vous estoit autrefois si favorable, l'a voulu, elle a eu le temps de vous faire sçavoir des nouvelles de Mandane. Mais Seigneur, j'oubliois de vous dire que ce Garde de la Princesse, qui m'a promis fidellité, me promit aussi de luy dire à la premiere occasion qu'il en trouveroit, que je luy avois parlé : et qu'il lassureroit que vous la retireriez aussi bien de la puissance de Thomiris, que vous l'aviez retirée de celle du Roy d'Assirie, et de celle du Roy de Pont. Ha Feraulas, s'escria Cyrus, vous m'avez rendu un signalé service, de faire parler de moy à la Princesse ! cependant (dit-il en se tournant vers Mazare, et vers le Prince Myrsile) je ne voy pas qu'il y ait plus rien à attendre.
Épisode 47 : Le retour d'Ortalque et les lettres des dames – 5 min.
Ortalque est également de retour au camp. Il était à la cour de Thomiris le jour où Mandane y a été conduite. Gelonide lui a transmis une lettre de sa part, ainsi que deux autres lettres de Mandane et d'Araminte adressées à Cyrus. Tandis que Mandane donne quelques marques d'affection au héros, Araminte implore ce dernier, au nom de la princesse, de veiller sur Spitridate.
Lire l'épisode ⬇Comme il disoit cela, Ortal que parut : de sorte que Cyrus admirant sa diligence, le reçeut aveque joye, p. 314dans l'esperance d'aprendre encore quelque chose de Mandane : et en effet il ne se trompa pas dans l'esperance qu'il en eut : car Ortalque luy dit, que comme il estoit allé par Terre, il n'avoit pû arriver aux Tentes Royales, que le jour qui avoit precedé celuy où Mandane y estoit arrivée, et y avoit esté reçeue avec beaucoup de magnificence. Quoy, s'escria Cyrus, vous avez esté en mesme lieu que Mandane ! ouy Seigneur, repliqua Ortalque, et Gelonide à qui j'avois donne vostre Lettre dés le soir, voulut que je visse arriver cette Princesse. Myrsile ne pouvant alors s'empescher de demander des nouvelles de la Personne qu'il aimoit, fit si bien que sans choquer la civilité, il engagea Ortalque à parler de Doralise, et à dire qu'elle et Martesie suivoient tousjours la Princesse. Mais encore, dit alors Cyrus, que me mande Gelonide ; vous le sçaurez Seigneur, reprit Ortalque, quand vous aurez veû ce que je vous presente. En effet, en disant cela, Ortalque donna un Paquet à Cyrus, qui estoit assez gros pour luy donner la curiosite de l'ouvrir diligemment : aussi le fit-il avec une promptitude estrange. Mais il fut-bien agreablement surpris, lors qu'il vit que la Lettre de Gelonide estoit accompagnée de deux autres : dont l'une estoit de Mandane, et l'autre de la Princesse Araminte. Cependant, quelque surprise que luy donnast la veuë de cette derniere, il n'hesita pas à choisir laquelle il devoit ouvrir la premiere : et quoy qu'il semblast que pour entendre mieux les deux autres, il p. 315falust lire celle de Gelonide avant que de les voir, puis que c'estoit elle qui les envoyoit ; il leût pourtant celle de Mandane, où il trouva ces paroles.
MANDANE A CYRUS.
C'est par la bonté et par l'adresse de la vetueuse Gelonide, que j'ay la liberté de vous dire que si te ne me souvenois de tant de Grandes choses que vous avez faites pour me delivrer, j'aurois desja perdu l'esperance s'estre jamais libre : mais comme je n'en puis perdre la memoire, je ne puis aussi cesser d'esperer de vous voir encore rompre les chaines que te porte. Mesnagez pourtant vostre vie : et ne m'exposez pas en l'exposant trop, à la plus grande de toutes les infortunes. Ortalque vous dira comment j'ay esté receuë de la Reine des Massagettes : mais je vous diray que j'ay eu beaucoup de consolation de trouver la Princesse Araminte icy car puis qu'elle ne doit pas encore estre heureuse, je suis du moins bien aise que nous soyons malheureuses ensemble : estant certain que dans le peu que je l'ay veuë, j'ay desja plus d'amitié pour elle, que je ne vous accusois d en avoir. Voila tout ce que vous peut dire presentement une Personne qui aura bien tost le bonheur d'estre delivrée encore une fois par vous ; si la Fortune rend justice à vostre valeur, comme je la rends à vostre vertu, et à vostre affection.
MANDANE.
p. 316La lecture de cette Lettre donna de la joye, et de la douleur à Cyrus : car il fut bien aise d'y voir quelques marques de tendresse : mais il fut suffi bien affligé, dans la pensée qu'il eut que l'illustre Personne qui les luy donnoit n'estoit pas libre, et estoit sous la puissance d'une Rivale irritée : et d'une Rivale encore qui avoit une Armée aussi nombreuse que la sienne, pour s'opposer à tout ce qu'il voudroit entreprendre pour delivrer Mandane. Cependant apres avoir fait cette reflection, où la joye et la douleur avoient leur part, il ouvrit la Lettre d'Araminte, qui estoit conçeuë en ces termes.
ARAMINTE A CYRUS.
Je voy bien que la Fortune veut que je fois tousjours delivrée, ou comme estant la Princesse Mandane, ou comme estant captive avec elle. Cependant pour reconnoistre les obligations que je vous ay, et celles que je vous auray encore, je vous assure que je seray tout ce qui me sera possible, pour rendre sa prison moins rude et que je ne songeray pas tant à adoucir mes propres malheurs que les siens. En eschange je vous conjure Seigneur, de prendre quelque soin du malheureux Spitridate, en quelque lieu de la Terre qu'il soit : et d'obliger p. 317le Prince Tygrane à blasmer l'injuste Phraarte son Frere, de la violente resolution qu'il aprise. Je vous demande pardon de vous parler de quelque autre chose que de la Princesse Mandane, en un temps où elle doit occuper tout vostre esprit : mais comme vous estes assez malheureux vous mesme, pour n'ignorer pas combien les maux que je souffre sont difficiles à suporter sans s'en pleindre, j'espere que vous me pardonnerez : et je l'espere d'autant plustost, que je vous en conjure par la Princesse Mandane, de qui la merveilleuse beauté, et le rare merite, m'ont donné tant d'admiration, que je suis fortement persuadée, que vous ne pouvez rien refuser de tout ce qu'en vous demande en son nom.
ARAMINTE.
Quelque amitié qu'eust Cyrus pour l'excellente Princesse qui luy escrivoit cette Lettre, il l'eust sans doute leuë avec precipitation, en l'estat où estoit son ame, si elle n'eust pas eu l'adresse d'y parler au commencement, et à la fin, de la Princesse Mandane. Mais comme il y trouvoit en mesme temps des choses qui regardoient sa Maistresse, et son Amie, il la leût avec loisir, et avec beaucoup de satisfaction : en suitte de quoy, il ouvrit celle de Gelonide, où il leût ce qui fuit.
p. 318GELONIDE A L'INVINCIBLE CYRUS.
Avant jugé plus à propos de confier à Ortalque qu'à cette Lettre, tout ce qu'il est necessaire que vous sçachiez, je ne vous l'escriray point : et je vous diray seulement Seigneur, que vous devez estre assuré que je serviray la Princesse Mandane en toutes choses : car puis que c'est servir la Reine que je fers que de s'opposer à ce qu'elle veut faire contre vous, et que je vous puis rendre office sans la trahir ; croyez Seigneur, que je le feray avec toute l'adresse dont je suis capable, et avec toute l'affection possible.
GELONIDE.
Comme Cyrus achevoit de lire cette Lettre ; Chrysante et Aglatidas arriverent aupres de luy : de sorte que comme ce Prince sçavoit qu'ils avoient escrit à Gelonide, il demanda à Ortalque si elle ne leur avoit pas respondu ? et l'obligea à luy bailler les Lettres qu'il avoit pour eux, apres qu'il luy eut dit qu'elle leur avoit fait responce : car comme ce n'estoit que pour Mandane qu'ils avoient escrit, il avoit plus d'interest qu'eux à tout ce qu'elle leur respondoit : aussi fut il fort aise de voir par ces deux Lettres, qu'elle avoit p. 319effectivement dessein de rendre tous les offices qu'elle pourroit à cette Princesse.
Épisode 48 : Mandane à la cour de Thomiris – 6 min.
Cyrus interroge Ortalque afin de savoir comment Mandane est traitée à la cour de Thomiris. Ce dernier lui relate l'arrivée de la princesse au pays des Massagettes : après une entrevue lors de laquelle Thomiris s’est engagée auprès d’Aryante à oublier le passé, à condition que Mandane soit mise en son pouvoir, la princesse a été conduite en grande pompe jusqu’à la cour. Thomiris lui a rendu visite, puis Mandane a fait la connaissance d’Araminte, enlevée par Phraarte et également retenue captive à la cour des Massagettes.
Lire l'épisode ⬇Cependant des qu'il eut achevé de les lire tout haut, et qu'il les eut baillées à ceux à qui elles estoient escrites, il obligea Ortalque de luy dire tout ce qu'il sçavoit de Mandane : et de le luy dire en presence de Mazare, de Myrsile, d'Aglatidas, de Chrysante, et de Feraulas. Seigneur, reprit Ortalque, j'ay sçeu par Gelonide que le Prince Aryante apres avoir enlevé Mandane, fut aborder à la Colchide : et que de là il a si bien negocié avec Thomiris, que cette Reine pour avoir Mandane en sa puissance, luy a promis d'oublier le passé ; de ne vous rendre jamais cette Princesse ; et de la luy faire espouser. Puis que je l'ay bien ostée de la puissance du Roy de Pont, reprit Cyrus avec impetuosité, j'espere que je l'osteray bien de celle de Thomiris : et que ses Tentes ne seront pas si difficiles à forcer, que Sinope, Babilone, Sardis, et Cumes : mais achevez Ortalque, poursuivit il, de me dire ce que je veux sçavoir : et aprenez moy principalement, comment la Reine des Massagettes traitte Mandane ; et si vous l'avez veuë. Seigneur, repliqua Ortalque, pour satisfaire vostre curiosité, il faut que je vous die que j'ay sçeu que des que le Traité du Prince Aryante fut fait, l'on vit une joye sur le visage de Thomiris, qui n'y avoit point paru depuis que vous partistes d'aupres d'elle : et que la pensée de voir la Princesse Mandane en sa puissance, luy donna une satisfaction incroyable. Mais afin que le p. 320Traité du Prince son Frere et d'elle fust plus solidement fait, il y eut une entreveuë d'Aryante, et de Thomiris, au bord de l'Araxe : ce Prince ayant laissé Mandane sous la garde d'Andramite, pendant qu'il fut vers la Reine des Massagettes. J'ay sçeu de plus par Gelonide, qui se trouva à cette entre-veuë qu'il se fit une reconciliation solemnelle entre ces deux Personnes : Aryante agit pourtant si adroitement, qu'il ne parla point à Thomiris de la passion qu'il sçavoit qu'elle avoit pour vous : et elle agit aussi avec tant de retenuë ; malgré la violence de son temperamment, qu'elle ne luy dit pas que c'estoit moins parce qu'il estoit son Frere, que parce qu'il estoit vostre Rival, qu'elle le traittoit si bien. Ce n'est pas qu'ils ne s'entendissent tous deux parfaitement : mais Aryante eut ce respect pour celle à qui il demandoit protection, de ne le faire pas rougir de sa foiblesse : et Thomiris eut ce respect là pour elle mesme, de ne la descouvrir pas ouvertement. Mais afin de porter plus facilement la Princesse Mandane, à desesperer de sa liberté, et à ne desesperer pas Aryante ; ils resolurent qu'il falloit qu'elle traversast toute l'Armée de Thomiris : et en effet Seigneur, lors que cette Princesse fut conduite par le Prince Aryante, vers la Reine sa Soeur, Thomiris fit ranger son Armée en Bataille, dans une grande Plaine : de sorte que Mandane (à qui elle avoit envoyé un superbe Chariot, et un compliment par un de ses Officiers) passa au milieu de toutes ces Troupes : p. 321dont la multitude et la magnificence donnerent beaucoup de chagrin à cette Princesse ; du moins Martesie me l'a-t'elle raconté ainsi. Cependant Aryante et Andramite alloient à Cheval avec leurs Gens, apres le Chariot de Mandane, qui fut d'abord conduite dans une superbe Tente, qui touchoit celle où l'on avoit mis la Princesse Araminte, dés que Phraarte apres l'avoir enlevée, fut demander Asile et protection à la Reine des Massagettes. Mais Seigneur, elle n'y fut pas si tost, qu'on y mit des Gardes : et elle n'y eut pas esté une heure, que Thomiris fut la visiter ; car le Prince Aryante en traittant avec elle, l'avoit obligée à luy rendre tous les honneurs imaginables. Joint aussi, à ce qu'on en peut juger, que quand elle n'auroit eu autre raison de visiter cette Princesse, que celle de sa propre curiosité, elle l'auroit esté voir. De vous dire Seigneur, comment cette entre-veuë se fit, il ne me sera pas aisé de le faire bien exactement : car Martesie me l'a racontée avec tant de precipitation, que je ne sçay si je n'en oublieray point quelque circonstance, quoy que je face pourtant tout ce que je pourray pour n'en oublier aucune. Je vous diray donc Seigneur, que lors que Thomiris arriva, Mandane se pleignoit avec Doralise et Martesie, de la cruauté de sa fortune : et que dés qu'elle sçeut que cette Princesse arrivoit, elle fut au devant d'elle jusques à l'entrée de sa Tente, où elle la reçeut, avec autant de tristresse sur le visage, que civilité en toutes p. 322ses paroles. Mais Seigneur, cette tristesse n'empescha pas que Thomiris ne fust surprise de la beauté de la Princesse : du moins ceux qui la virent, remarquerent-ils que dés qu'elle la vit, elle rougit : et qu'il parut tant d'admiration dans ses yeux, par la surprise que l'esclat de la beauté de Mandane luy donna, que Doralise ne doute pas, qu'il n'y eust alors un instant, où elle trouva que vous n'aviez pas eu tort de n'estre point infidelle à une Personne qui avoit une beauté si merveilleuse. Mandane de son costé, trouva aussi Thomiris si belle (quoy qu'elle ne soit plus dans cette premiere jeunesse, qui a je ne sçay quelle fraischeur qu'on ne trouve que rarement au delà de dix-sept ans)que Martesie m'a chargé de vous dire, qu'elle ne doute nullement que la Princesse ne vous eust en cét instant, une nouvelle obligation d'une chose passée, voyant que vous aviez pû refuser l'affection d'une aussi belle Reine que celle-là. En effet Seigneur, il est certain que Thomiris ne paroist pas avoir plus de vingt-deux, ou vingt-trois ans. Mais pour en revenir où j'en estois, la Reine des Massagettes ne vit pas plustost Mandane, que cette Princesse prenant la parole ; je ne sçay Madame (luy dit elle en Assirien, sçachant que Thomiris le parloit) si je me dois pleindre ou loüer, de l'honneur que vous me faites : neantmoins, comme la Renommée m'a parlé de vous avec beaucoup d'avantage, je veux esperer pour vostre gloire, et pour ma satisfaction, que vous me protegerez : et je veux croire p. 323que les Gardes que vous m'avez donnez, font plus ma seureté, que pour me retenir captive. En fin Madame, je veux encore me persuader, que vostre raison esclairera celle du Prince Aryante, et qu'il se repentira de l'injuste resolution qu'il a prise. Comme il est mon Frere, repliqua Thomiris, il ne seroit pas juste que je fusse absolument contre luy : et tout ce que je vous puis dire de plus equitable, adjousta-t'elle en souriant, c'est que dés que vous l'aurez mis en liberté, je vous y metray aussi : de sorte que vous promettant que dés qu'il ne sera plus vostre Esclave, vous ne serez plus prisonniere, c'est vous promettre autant que je dois. Mais Madame, (adjousta-t'elle, sans luy donner loisir de respondre) ce qui m'amene icy principalement, est pour vous dire que vostre captivité n'aura rien de rude : et que vous serez servie avec tout le respect qu'on doit a vostre condition, et à vostre merite. Quoy que ce que vous me dittes, reprit la Princesse, n'ait rien qui ne semble civil et obligeant, je ne laisse pas de le trouver infiniment rude : car enfin Madame, par quel droit le Prince Aryante m'a-t'il amenée icy, et par quel droit m'y pouvez vous retenir ? Par celuy de la force reprit Thomiris, qui est le mesme qui a rendu Cyrus Vainqueur d'une grande partie de l'Asie. Cependant, adjousta-t'elle, comme il y a fort peu que vous estes icy, et que je n'ay pas encore eu le temps d'examiner toutes les raisons du Prince mon Frere ne parlons point s'il vous plaist aujourd'huy, ni de p. 324liberté, ni de prison. Joint aussi poursuivit-elle, que je ne pense pas que vous vous en mettiez guere en peine : car la victoire est tellement accoustumée à suivre Cyrus, que quand vous ne devriez estre libre qu'apres qu'il m'auroit vaincuë, vous espereriez sans doute de l'estre bientost. En effet (adjousta-t'elle encore, avec un ton de voix où il y avoit quelque fierté, tout languissant qu'il estoit) qu'elle aparence y a-t'il qu'une Reine pûst resister à un Prince qui a vaincu tant de Rois ? car enfin je n'ay ny Villes ny Places fortifiées, qui me puissent servir d'Asile, et je n'ay que la valeur de mes propres Sujets : jugez donc Madame, si une Princesse pour qui Cyrus n'a mesme aucune estime, pourra se deffendre longtemps contre luy. Ha Madame, interrompit prudemment Mandane, je ne tomberay pas d'accord de ce que vous dittes ! car je sçay que Cyrus vous estime infiniment. Je sçay mieux que vous ce qu'il pense de moy (repliqua Thomiris en rougissant de confusion) mais apres tout Madame, adjousta-t'elle, toute foible que je suis, je puis vous assurer qu'encore que les Massagettes n'ayent point de Villes, ils ne sont pas aisez à vaincre : car comme ils combatent seulement pour la gloire, et qu'ils ne craignent pas que la longueur de la Guerre destruise leurs Villes et leurs Maisons, puis qu'ils n'en ont point ; ils combatent opiniastrément, et ne se rendent jamais qu'a l'extremité. Mais Madame, poursuivit-elle, ne parlons s'il vous plaist, ny de victoire, ny de p. 325Guerre : laissons l'advenir dans le secret de Dieux, et songeons seulement à faire que le present n'ait rien de fascheux pour vous. C'est pour cela Madame, que je souffriray que la Princesse de Pont qui est icy vous voye : car comme elle est d'un Païs où il y a plus de politesse que vous n'en trouverez dans le nostre, je croy qu'elle vous divertira, et qu'elle se tiendra bien hereuse d'estre avec une Personne comme vous. Mandane estant alors fort surprise d'ouïr dire qu'Araminte fust au lieu où elle estoit, ne pût s'empescher de tesmoigner son estonnement, et de demander comment elle y pouvoit estre. De sorte que Thomiris, qui n'estoit sans doute pas marrie de changer ce discours, luy dit en peu de mots que le Prince Phraarte la luy avoit amenée, et luy avoit demandé protection : apres quoy Thomiris ne pouvant demeurer plus longtemps avec une Personne qu'elle trouvoit plus belle qu'elle n'eust voulu la trouver, se retira, apres luy avoir encore fait quelque civilité. A peine fut elle sortie, que la Princesse Araminte, conduite par celuy qui commandoit ceux qui la gardoient, entra dans la Chambre de la Princesse : mais Seigneur, cette entreveuë fut plus agreable que celle de Mandane et de Thomiris : car encore que ces deux Princesses ne se fussent jamais veuës, elles ne laisserent pas de s'aborder comme si elles eussent esté Amies : et l'esgallité de leur fortune, jointe à la haute estime qu'elles avoient l'une pour l'autre, sur le rapport de ceux qui leur avoient parlé p. 326de leur merite, lia en un instant une tres estroite amitié entre ces deux admirables Personnes. D'autre part Hesionide fit la mesme chose avec Martesie : pour Doralise, son destin a esté si heureux en cette occasion, qu'elle est la consolation de ces deux Princesses : car encore qu'elle soit tres affligée, et du malheur de Mandane, et de celuy qu'elle a de voir Andramite aupres d'elle, c'est une espece de douleur despite, s'il est permis de parler ainsi, qui luy a fait dire cent plaisantes choses au plus fort de son desespoir, depuis qu'elle est en ce lieu là. Mais Seigneur, pour achever de vous dire tout ce que je sçay, vous sçaurez que la vertueuse Gelonide agit si adroitement, qu'elle me fit le lendemain au soir parler à Martesie, qui me fit aussi voir un moment la Princesse, qui m'ordonna de vous dire tout ce que je sçavois de sorte Seigneur, que Gelonide trouvant qu'il estoit à propos que vous sçeussiez promptement l'estat des choses, me donna le Paquet que je vous ay presenté ; me fît partir dés le lendemain ; et me donna un Guide, afin qu'on ne m'arrestast point en passant l'Araxe. Mais en me congediant, elle m ordonna de vous dire, qu'elle alloit faire tout ce qu'elle pourroit, pour tascher de remettre la raison dans l'ame de Thomiris s et dans celle d'Aryante : adjoustant toutes fois, qu'a dire les choses comme elle les pensoit, elle craignoit fort de ne le pouvoir pas. Apres cela, Ortalque s'estant teû, Cyrus luy fit encore beaucoup de questions, où il respondit p. 327dit selon ce qu'il sçavoit, ou ne sçavoit pas : et il se retira quand il eut satisfait la curiosité de son Maistre. Mais comme le Prince Myrsile n'avoit osé l'interrompre, il n'estoit pas assez esclaircy de tout ce qu'il vouloit sçavoir de Doralise : c'est pourquoy à la premiere occasion qu'il en trouva, il quitta Cyrus afin d'aller entretenir Ortalque avec plus de loisir.