Partie 9 (voir le frontispice) – Livre troisième.
Gravure de la partie 9, livre 3.
Résumé de la séquence
En raison des blessures consécutives à son duel avec Thomiris, Cyrus se voit prescrire un repos forcé. Pendant ce temps, plusieurs nouvelles arrivent au camp. Le héros apprend ainsi que le sort de Mandane est entièrement aux mains de Thomiris, et non pas seulement de son frère Ariante. Par ailleurs, Phraarte, ravisseur de la princesse Araminte, se trouve également à la cour des Massagettes. Il est sur le point de conduire sa bien-aimée en Bithinie, où règne l'usurpateur Arsamone. Or le roi de Pont, frère d’Araminte, s’est battu en duel contre le ravisseur de sa sœur. Les deux hommes ont succombé à leurs blessures. Enfin, le serviteur du roi de Pont informe Cyrus d’une faille dans le fort des Sauromates, susceptible de rendre sa prise plus aisée.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 79 : La négociation d'Adonacris – 5 min.
De retour au camp après le duel avec Thomiris dans le bois, Cyrus, légèrement blessé à la hanche, est contraint par les chirurgiens à se reposer. Il ne peut monter à cheval pendant sept ou huit jours, qui lui paraissent une éternité. Adonacris revient bientôt de sa mission auprès de la reine des Massagettes, porteur de mauvaises nouvelles. Si Ariante se repent d'avoir trahi la confiance de Cyrus, il n'est plus en mesure de lui rendre Mandane, car Thomiris la détient en son pouvoir. Par ailleurs, durant son séjour, Adonacris a vu Phraarte mourir, au lendemain d'un duel. Il explique également à Cyrus pourquoi Thomiris se trouvait dans le bois : sachant que Cyrus passerait bientôt l'Araxe par cet endroit, elle était partie reconnaître le lieu pour y poster des hommes.
Lire l'épisode ⬇p. 499Des que Cyrus fut arrivé à sa Tente, il changea l'ordre qu'il avoit donné à Chrysante d'aller vers Thomiris : et il se fit rendre conte en peu de mots de l'estat des choses, pendant qu'on estoit allé appeller ses Chirurgiens : et donna ses ordres à tous en si peu de temps, qu'il n'avoit plus rien à faire, lors qu'ils arriverent, pour visiter sa blessure, qu'ils trouverent estre tres favorable, et sans aucun danger. Mais ils dirent pourtant à Cyrus, qu'il estoit absolument necessaire qu'il gardast le lit deux jours, et qu'il en fust sept ou huit sans p. 500monter à cheval : à cause que sa blessure estant assez prés de la hanche, elle ne pourroit se consolider en peu de temps, s'il ne se donnoit du repos ; adjoustant que s'il ne le faisoit pas, il s'exposeroit à estre forcé d'y estre malgré luy beaucoup davantage. D'abord Cyrus ne vouloit pas leur obeïr, regardant alors sept ou huit jours comme sept ou huit Siecles : car il n'ignoroit pas que tant qu'il ne seroit point en estat d'agir, il ne pourroit rien faire entreprendre à son Armée. Toutesfois à la fin voyant que les advis de ceux qu'il devoit croire en cette occasion estoient conformes, il leur obeït, mais à peine eut-il eu loisir de se reposer deux heures, qu'Adonacris qui estoit demeuré aux Tentes Royales apres Anacharsis, arriva, et fut luy rendre conte de son voyage. Il est vray que Cyrus n'eut pas eu grande impatience de luy en demander des nouvelles, veû la disposition où il sçavoit par luy mesme qu'estoient Thomiris et Aryante, si ce n'eust esté parce qu'il avoit beaucoup d'envie de sçavoir, qui pouvoit les avoir fait partir si tost des Tentes Royales, apres le départ d'Anacharsis : et ce qui les avoit fait aller dans les Bois où il les avoit rencontrez : car il sçavoit bien qu'ils ne pouvoient pas alors avoir eu nouvelles du dessein qu'il avoit fait de passer l'Araxe. De sorte que dés qu'Adonacris fut aupres de luy, ce Prince prit la parole le premier, afin de l'obliger plustost à luy aprendre ce qu'il vouloit sçavoir. Je ne vous demande point, luy dit-il, genereux p. 501Adonacris, ce que vous avez gagné sur l'esprit d'Aryante : car apres l'avoir veû l'Espée à la main, je sçay la responce qu'il vous a faite. Mais je vous demande pourquoy Thomiris est venuë si promptement dans les Bois qui sont au deça du Fort des Sauromates ? Seigneur, repliqua Adonacris, pour satisfaire vostre curiosité, il faut vous dire beaucoup de choses importantes : c'est pourquoy encore que ma negociation n'ait pas esté heureuse, je ne laisseray pas de vous suplier de me permettre de vous dire tout ce que j'ay fait : afin de vous dire en suite tout ce que j'ay apris. Je vous diray donc Seigneur, puis que vostre silence semble m'en donner la permission, qu'il est vray que je n'ay pû rien obtenir d'Aryante : il est pourtant certain que j'ay veû une fois son esprit esbranlé : et que se souvenant de toutes les obligations qu'il vous a, je luy ay veû autant de confusion que d'amour. Ouy mon cher Adonacris (me dit-il, lors que je le pressois le plus fortement) tout ce que vous dittes est vray : et j'advouë qu'Anaxaris est un lasche, un ingrat, et un perfide, que Cyrus doit haïr horriblement : et qu'il est esgallement indigne, et de l'amitié de Cyrus, et de l'amour de Mandane. Mais Adonacris, quand Aryante voudroit reparer le crime d'Anaxaris, il le voudroit inutilement : et Mandane est si peu en sa disposition, adjousta-t'il, qu'à peine Thomiris souffre t'elle qu'il la voye, bien loin d'estre en estat de la pouvoir rendre à Cyrus. Ainsi comme je me repentirois p. 502en vain, puis que je ne pourrois la delivrer quand je le voudrois, il vaut autant que je ne me repente pas. Aussi bien, poursuivit-il, suis-je persuadé que je me repentirois bienstost de m'estre repenti : c'est pourquoy faites seulement ce que vous pourrez, pour faire que mon Rival me haïsse sans me mespriser : et taschez de diminuer la grandeur de mon crime, par la grandeur de mon amour. Apres cela Seigneur, je redoublay mes raisons, et mes prieres : et j'ose vous assurer que mon affection me fit dire tout ce qu'un beaucoup plus habille homme que moy eust pû penser en cette occasion. Mais comme j'estois avec ce Prince, on le vint querir de la part de Thomiris, qui venoit de recevoir advis que le Prince Phraarte, qui estoit allé voir le travail du Fort des Sauromates, s'estoit batu contre un Estranger qu'il avoit rencontré : et qu'il estoit blessé à mort, aussi bien que son ennemy. De sorte que comme Phraarte estoit en tres grande consideration aupres de Thomiris, elle ne sçeut pas plustost l'estat où il estoit, qu'elle partit des Tentes Royales, pour aller le voir au Fort des Sauromates, où on l'avoit porté, parce qu'il s'estoit batu assez prés de là. Si bien que partant deux heures apres qu'Anacharsis fut parti, et menant le Prince Aryante, et Andramite avec elle, je les suivis : esperant que je pourrois peutestre gagner quelque chose sur l'esprit d'Aryante, par mon opiniastreté. Ainsi je fus avec eux jusques au Fort des Sauromates : où p. 503nous ne fusmes pas plustost arrivez, que Thomiris et Aryante furent visiter Phraarte qu'ils trouverent à l'extremité. Toutesfois comme il avoit sa raison toute libre, il les pria qu'il leur pûst parler sans tesmoins : et en effet il les entretint prés de demie heure, apres quoy ayant perdu la parole, ils le quitterent. Mais ce qu'il y eut de remarquable, fut que depuis qu'il eurent parlé à Phraarte, ils consulterent assez long temps ensemble : paroissant mesme qu'Aryante avoit quelque chose dans l'esprit, qui ne luy plaisoit pas. En suitte de quoy Thomiris le quittant, fut voir celuy qui s'estoit battu contre Phraarte, qu'on avoit porté au mesme lieu : de sorte qu'il est aisé de juger qu'il faut que cét Inconnu fust fort considerable : cependant je n'ay pû en sçavoir davantage : et tout ce que je vous en puis dire ; est qu'ils sont tous morts : et qu'on leur a rendu les mesmes honneurs. Mais Seigneur, pour achever men recit, je vous diray encore, qu'Aryante et Thomiris, dans le dessein que j'ay sçeu qu'ils ont, de vous engager parmi les Défilez qui sont dans les Bois qui environnent le Fort des Sauromates, furent les reconnoistre, pour voir où ils Posteroient des Gens de Guerre si vous passiez l'Araxe. Mais comme il auroit falu trop de temps à les voir tous en un jour, s'ils les eussent veûs ensemble ; Thomiris et Aryante prirent chacun une partie du Bois pour en reconnoistre les passages, sans sçavoir que vous aviez passé l'Araxe : car comme ceux qui estoient au p. 504bord de ce Fleuve, croyoient que Thomiris estoit aux Tentes Royales, il est à croire que c'est là qu'ils envoyerent pour luy porter cette nouvelle. Aussi vous puis-je assurer qu'on n'en a rien sçeu au Fort des Sauromates, jusques au retour de Thomiris, et à celuy d'Ariante : qui apres vous avoir rencontré dans les Bois, et vous avoir combatu, ont esté esclaircis de la verité par plusieurs advis qu'ils en ont eus. Cependant quoy qu'Aryante soit blessé ; il a voulu qu'on le reportast aux Tentes Royales, aupres de qui est le gros de l'Armée : mais il n'a pas voulu que je luy parlasse. De sorte que je suis revenu vers vous, bien-marry Seigneur, de n'avoir pû rien faire pour vostre service, non plus que les Amis d'Anabaris, qui m'ont promis de ne perdre aucune occasion de toutes celles que la Fortune leur offrira, pour tascher de moyenner la liberté de Mandane.
Épisode 80 : Phraarte, ravisseur d'Araminte – 4 min.
L'homme que Cyrus avait rencontré durant la fuite du roi de Pont est de retour, apportant de mauvaises nouvelles de son maître. Alors qu'il rejoignait les troupes d'Ariante, le roi de Pont a appris la présence de Phraarte, ravisseur de sa sœur Araminte, à la cour de Thomiris. Il a ensuite rencontré deux de ses sujets, obéissant désormais à Arsamone. Il s'avère que celui-ci a proposé un marché à Phraarte : il lui envoie Istrine et la princesse de Bithinie en échange d'Araminte. Phaarte a accepté, persuadé qu'il lui sera plus aisé de contraindre Araminte à l'épouser en Bithinie, plutôt qu'au pays des Massagettes.
Lire l'épisode ⬇Comme Adonacris achevoit de prononcer ces paroles, on vint dire à Cyrus qu'un homme à qui il avoit parlé aupres de l'Araxe, le jour qu'il estoit revenu de voir la Princesse Onesile, de mandoit avec empressement à luy parler. De sorte que Cyrus jugeant bien que c'estoit celuy qu'il avoit chargé de dire au Roy de Pont, qu'il seroit mieux de venir combatre dans son Armée, que d'aller combatre pour le Ravisseur de Mandane, il commanda qu'on le fist entrer. Si bien qu'Adonacris s'estant retiré, et cét homme estant entré, Cyrus luy demanda ce qu'il avoit à luy dire de la part du Roy son Maistre ? Seigneur p. 505(respondit-il en soûpirant) je vous damande pardon de ne pouvoir vous cacher la douleur que j'ay de la mort d'un Prince qui estoit vostre Rival : mais ce qu'il m'a chargé de vous dire, me rendra peut-estre excusable : et vous obligera vous mesme à pleindre le malheur d'un si Grand Prince. Quoy, s'escria Cyrus, le Roy de Pont est mort ? ouy Seigneur, repliqua-t'il, et il est mort avec des sentimens bien opposez à ceux du Prince qui luy a fait perdre la vie. Ce que vous me dittes, reprit Cyrus, me surprend d'une telle sorte que pour m'obliger à vous croire, il faut que vous me racontiez cet accident avec toutes ses circonstances. Pour le pouvoir faire Seigneur, respondit cét homme, il faut que je vous die qu'apres que je vous eus quitté, je sus passer le Fleuve à l'endroit le plus proche où je le pûs passer : et que je fus si heureux que le lendemain je rencontray le Roy mon Maistre qui s'estoit arresté à la premiere Habitation : afin d'avoir un cheval en donnant une Bague qu'il avoit encore. Mais Seigneur, quoy que je luy disse tout ce que vous m'aviez fait l'honneur de me dire, et que mesme il en fust sensiblement touché, il ne laissa pas de continuer son voyage trois jours apres. De sorte que comme on luy dit que le chemin des Bois estoit le plus court pour aller au lieu où estoit l'Armée, il le prit ; et fut en passant au Fort des Sauromates ; où il aprit fortuitement, en s'informant des nouvelles generales, que Phraarte (qu'il avoit sçeu à Cumes avoir enlevé la p. 506Princesse sa Soeur, estoit aux Tentes Royales avec Araminte : et il sçeut de plus qu'il devoit arriver ce jour là au Fort où nous estions. De vous dire Seigneur, ce que ce déplorable Prince pensa en cette occasion, il ne me seroit pas aisé : Ha Fortune, s'escria-t'il, c'est trop d'opiniastreté à me persecuter ! et il faut à la fin que ma constance succombe. En effet, poursuivit-il, n'est-ce pas estre bien malheureux, que d'estre accablé de tant de disgraces à la fois ? J'aime sans estre aimé ; j'ay perdu deux Royaumes que mes ennemis possedent ; j'ay de l'obligation au Rival qu'on me prefere ; je l'estime mesme autant que la Princesse qui le prefere à moy le peut estimer ; je haïs Aryante, et comme mon Rival, et comme le Ravisseur de Mandane, et comme mon Vainqueur ; et cependant je me resous à combatre pour luy, plustost que de combatre pour Cyrus : et pour achever de m'accabler, je trouve en cette Cour le Ravisseur d'Araminte. Songe donc, adjoustoit-il, si l'honneur te permet de voir un Prince qui a enlevé ta Soeur, sans te vanger de cét affront : et pense enfin que n'ayant jamais rien fait de lasche, que l'amour ne t'ait forcé de faire, tu n'auras pas cette excuse en cette occasion. Apres cela Seigneur, ce Grand Prince se teût : et m'ayant fait signe qu'il vouloit estre seul, je sortis du lieu où il estoit : mais comme le hazard se mesle de tout, il se trouva qu'à la Tente qui touchoit celle où j'estois, il y avoit des Estrangers qui parloient une Langue qui ne p. 507m'estoit pas inconnuë : car j'ay trop esté en Pont, et en Bithinie, pour n'en sçavoir pas le langage, qui est celuy dont ces Estrangers se servoient, l'entendis donc que deux hommes qui estoient dans cette Tente parloient assez haut, parce qu'ils ne croyoient pas qu'on entendist leur Langue : mais comme je prestay l'oreille, j'entendis qu'un des deux disoit à l'autre, qu'Arsamone auroit une grande joye de voir Araminte en sa puissance : et qu'il ne doutoit pas que les Princesses qu'il devoit donner en Ostage à Thomiris, n'arrivassent bientost. Il est vray (repliqua celuy à qui il parloit) qu'Arsamone en aura bien de la joye : mais Spitridate en aura aussi bien de la douleur quand il le sçaura : et je ne sçay si nous sommes bien sages, de servir si aveuglement Arsamone dans toutes ses violences : et si quand le Prince son Fils viendra à regner, nous ne nous en repentirons point. Apres cela Seigneur, ces deux hommes ayant changé de place, je n'entendis plus ce qu'ils dirent : cependant comme je creus qu'il importoit que mon Maistre sçeust ce que j'avois entendu, je fus le retrouver et le luy dire : si bien qu'ayant une forte curiosité d'en scavoir davantage, et ne doutant pas que ceux que je venois d'entendre ne fussent nais ses Sujets, il se resolut de se montrer à eux. Et en effet sans se consulter davantage luy mesme, il sortit de la Tente où il estoit logé, et fut à celle où ces Gens estoient : qu'il surprit d'une telle sorte par sa veuë ; que quoy qu'ils le vissent en un estat p. 508bien different de celuy où ils l'avoient veû, ils ne laisserent pas de trembler en le voyant : et d'avoir du respect pour luy. Si bien que comme il connut leurs sentimens par leur action, il profita du desordre de leur esprit : et sçeut leur parler avec tant d'authorité, qu'il les obligea à luy dire ce qu'ils faisoient au lieu où il les trouvoit. De sorte qu'il sçeut par eux qu'Arsamone (qui avoit sçeu que Phraarte en partant de la Colchide, avoit pris la route des Massagettes) avoit envoyé vers Thomiris luy offrir de faire une puissante diversion, en attaquant Ciaxare : et en faisant mesme soûlever une partie de l'Assirie, pourveû qu'elle remist Araminte en son pouvoir : s'engageant mesme de luy faire espouser Phraarte ; et luy offrant pour la seureté de ce Traité, de remettre entre ses mains la Princesse sa Fille, et la Princesse sa Niece : à condition qu'elle luy promettroit aussi que si Spitridate tomboit sous sa puissance, pendant la Guerre qu'elle alloit avoir avec Cyrus, elle le remettroit sous la sienne. En suite de cela, ces deux hommes qui estoient tous deux d'Heraclée, dirent que Thomiris avoit accepté la chose : et que Phraarte y avoit consenti ; se tenant encore plus assuré d'espouser Araminte par force à la Cour d'Arsamone, qu'à celle de Thomiris : adjoustant qu'ils estoient demeurez en ce Païs là, pour tenir les choses en l'estat qu'elles estoient : et que bien tost la Princesse de Bithinie, et la Princesse Istrine y arriveroient. Apres cela ils luy dirent encore qu'ils estoient p. 509venus voir ce Fort par curiosité : et qu'ils venoient d'aprendre que Phraarte y arriveroit ce jour-là. Et en effet Seigneur, à peine ces Sujets du Roy de Pont, eurent-ils dit à ce Prince ce qu'il avoit voulu sçavoir, qu'on dit que Phraarte alloit arriver ; et qu'il estoit allé voir les Travaux du dehors de la Place : de sorte que le Roy de Pont deffendant à ces deux hommes de dire qui il estoit ; et le leur deffendant avec la mesme authorité que s'il eust encore esté sur le Thrône ; il monta à cheval, et j'y montay aussi, sans sçavoir quel estoit son dessein.
Épisode 81 : La mort du roi de Pont – 3 min.
Le roi de Pont a fait parvenir à Phraarte des tablettes dans lesquelles il le défiait en duel. Ce dernier, étonné de se voir confronté au frère de sa bien-aimée, alors qu’il pensait avoir affaire à Spitridate, s’est trouvé finalement vaincu. Mais les blessures des deux hommes ont été si nombreuses que tous deux ont péri peu de temps après. Avant de mourir, Phraarte a exhorté Thomiris à envoyer Araminte à Arsamone, afin qu'elle n'épouse pas Spitridate, tandis que le roi de Pont s'est repenti de ses actions criminelles contre Mandane et Cyrus.
Lire l'épisode ⬇Mais enfin Seigneur, sans m'amuser à des circonstances inutiles, il fut où l'on luy avoit dit que Phraarte estoit : il ne se monstra pourtant pas à luy d'abord : au contraire apres se l'estre fait montrer, il fut aut galop dans un Bois qui n'en est pas loin : et me donnant ses Tablettes dans quoy il avoit escrit quelque chose, il me chargea de les donner à Phraarte, qui regardoit travailler, et de ne luy dire pas qui il estoit. Et en effet, obeïssant au Roy mon Maistre, je portay ces Tablettes, Phraarte leût ce qui estoit escrit dedans, et me demanda tout bas, qui estoit celuy qui les luy envoyoit, et où il estoit ? Seigneur, luy dis-je, il est à deux cens pas d'icy : mais pour son nom il m'a deffendu de vous le dire, et je n'oserois luy desobeïr. Apres cela, comme Phraarte estoit brave, et que sa valeur estoit un peu inconsiderée, il ne s'opiniastra pas davantage à vouloir sçavoir le nom de celuy qui le vouloit voir l'Espée a la p. 510main : et il ne songea qu'a contenter cét Inconnu qui luy demandoit satisfaction d'un outrage. Joint que s'imaginant, à ce qu'il dit apres, que c'estoit peut-estre Spitridate, il ne voulut pas differer davantage à le satisfaire. Si bien que comme il estoit allé peu accompagné, il se défit aisément des siens sur divers pretextes : et apres m'avoir renvoyé assurer mon Maistre, qu'il seroit bien tost à luy, il me suivit un quart d'heure apres, et vint à l'endroit que je luy avois marqué en le quitant, sans autre compagnie que celle d'un Esclave seulement, et sans autres armes que son Espée : car mon Maistre, comme je l'ay sçeu depuis, luy avoit mandé qu'il faloit que l'Espée seule decidast leur different. Mais Seigneur, il fut bien estonné lors qu'arrivant au lieu où estoit son ennemy, il vit qu'il ne le connoissoit pas : il est vray qu'il sortit bien-tost de cét estonnement, pour rentrer dans un autre : car dés que le Roy de Pont le vit, il mit l'Espée à la main : et s'avançant vers luy ; c'est en cet estat, luy dit il, que je vous dois dire que je suis Frere de la Princesse Araminte : et que je suis en pouvoir de vous empescher de la remettre entre les mains de l'Usurpateur de mes Royaumes. Si vous estes celuy que vous dittes (reprit brusquement Phraarte, en mettant aussi l'Espée à la main) vous ne devez pas vous pleindre d'un Prince qui veut oster Araminte à Spitridate que vous n'aimez pas. Il est vray que je ne l'aime pas, reprit-il, mais je l'estime : et il n'en est pas autant de vous. p. 511Pour un Ravisseur de Mandane, repliqua brusquement Phraarte, vous estes bien sensible à un enlevement. A ces mots le Roy de Pont sans respondre davantage s'avança vers luy, avec une valeur incroyable : Phraarte de son costé, se batit comme un homme desesperé d'estre forcé de se batre, contre le Frere de sa Maistresse : neantmoins comme il avoit une valeur un peu brutale, à ce que disent ceux qui le connoissoient, il ne laissa pas de se batre contre le Roy de Pont, avec la mesme opiniastreté que s'il eust esté son Rival. Pour moy je fus contraint d'estre Spectateur de ce combat : car comme Phraarte n'avoit qu'un Esclave aveque luy, je ne pouvois faire autre chose. Mais enfin Seigneur, apres s'estre batus tres long-temps, et s'estre blessez mortellement en divers endroits, le Roy de Pont pressant vivement le Prince Phraarte, luy donna un si grand coup à travers le corps, qu'il tomba de cheval, et laissa tomber son Espée, dont le Roy de Pont se saisit, parce qu'il se jetta à terre au mesme instant. Ainsi il fut vainqueur de Phraarte : mais à peine sçeut-il qu'il avoit vaincu, qu'il tomba de foiblesse à quatre pas de son ennemy : de sorte qu'estant contraint de me servir de l'Esclave du vaincu, pour secourir le vainqueur, je l'envoyay advertir ceux du Fort de cét accident. Si bien qu'estant venu du monde, on porta ces deux blessez dans les Tentes du Fort des Sauromates : et on envoya advertir Thomiris, et Aryante, de ce qui estoit arrivé. Cependant quoy qu'un Chirurgien p. 512qui se trouva là, dist que les blessures de mon Maistre estoient mortelles, aussi bien que celles de Phraarte, je ne dis pourtant pas qui il estoit : de peur qu'on ne l'arrestast, et qu'on ne hastast sa mort par cette violence. Mais lors que Thomiris et Aryante arriverent, j'ay sçeu que Phraarte le leur dit : et qu'ils les pria de luy promettre de tenir le Traité qu'ils avoient fait avec Arsamone : afin qu'Araminte estant sous la puissance de ce Prince, n'espousast jamais Spitridate. Mais Seigneur, apres que Phraarte eut fait cette injuste priere à Thomiris, et à Aryante, il perdit la parole ; et peu de temps apres la vie. Cependant Thomiris ayant sçeu de Phraarte la qualité de mon Maistre, le vint voir, suivie seulement d'un homme de condition de Lydie, apellé Andramite : car pour Aryante il est à croire qu'il ne pût se resoudre à faire une visite à son Rival. Seigneur, ce malheureux Prince à qui les aproches de la mort avoient donné ses sentimens plus justes, et pour vous, et pour Mandane ; dit à cette Reine des choses si touchantes, pour l'obliger à vous rendre cette Princesse ; et pour la porter à persuader à Aryante de se repentir de la violence qu'il luy avoit faite ; que si je pouvois vous les redire, vous seriez charmé de sa vertu. Je vy pourtant bien Seigneur, adjousta cét homme, que Thomiris ne se laissoit pas persuader : aussi ne fut-elle pas long temps aupres de luy : mais comme elle l'assuroit qu'encore qu'il eust un ennemy qui luy estoit fort considerable, p. 513elle ne laissoit pas de le considerer aussi extrémement, et de vouloir qu'on eust beaucoup de soin de luy : j'ay si peu de part à la vie, luy repliqua-t'il, que je ne vous demande rien pour moy, non pas mesme un Tombeau : car je n'ay pas dessein d'eterniser la memoire de mes malheurs : mais Madame, poursuivit il en soupirant, je vous demande toutes choses pour la Princesse Mandane. Apres cela Thomiris estant sortie sans luy respondre precisément ; et ce malheureux Roy sentant bien qu'il ne pouvoit plus guere vivre ; me commanda de faire sçavoir à la Princesse Mandane quand je le pourrois, qu'il s'estoit repenti de sa violence, sans se pouvoir repentir de l'avoir aimée : et de la conjurer de ne haïr point sa memoire. Pour vous Seigneur, il me chargea de vous dire qu'il estoit au desespoir de mourir ingrat, et de ne pouvoir s'empescher de mourir vostre Rival : et qu'il vous prioit d'avoir soin de la Princesse Araminte : adjoustant en suite, qu'il vouloit mourir Amy de Spitridate : et qu'il me conmandoit de l'en assurer. Apres cela Seigneur, sa raison s'estant esgarée, il passa la nuit suivante à parler continuellement de Mandane : mais à en parler sans suitte et sans aucune liaison : puis s'estant affoibly tout d'un coup, il mourut à la pointe du jour : ainsi le vainqueur et le vaincu, moururent presques en mesme temps : et reçeurent apres leur mort les mesmes honneurs parles ordres de Thomiris.
Épisode 82 : La faille dans le fort des Sauromates – 2 min.
Après la mort du roi de Pont, son serviteur a rencontré un écuyer d'Andramite. Ensemble, ils se sont promenés autour du fort des Sauromates ; ils ont découvert une faille dans la construction, qui pourrait permettre à cinq cents hommes de s'emparer du bâtiment. Tandis que l'écuyer est resté sur place, le serviteur du roi de Pont est venu avertir Cyrus.
Lire l'épisode ⬇Cependant comme cette Princesse estoit sur les lieux, elle voulut aller reconnoistre les Bois qui sont à l'entour p. 514de ce Fort, avant que de s'en retourner : mais durant qu'elle y fut, et que nous combatiez Aryante, un Escuyer d'Andramite que son Maistre avoir laissé en ce lieu là pour quelque commission qu'il luy avoit donnée, vint m'aborder par curiosité, pour sçavoir qui estoit le Maistre dont je regrettois la perte : car Seigneur, j'oubliois de vous dire, que Thomiris n'avoit point publié sa condition mesme apres sa mort : et je m'imagine qu'elle en via ainsi, afin que la nouvelle de la mort du Roy de Pont, ne fust pas portée à la Princesse sa Soeur, avant qu'elle fust retournée aux Tentes Royales. Mais enfin Seigneur, cét Escuyer d'Andramite ne m'eut pas plustost abordé, que nous nous reconnusmes pour avoir porté les Armes ensemble au Siege d'Ephese, du temps que le Prince Artamas s'apelloit Cleandre : de sorte que nous embrassant aveque joye, nous nous rendismes conte de nos avantures, et nous renoüasmes nostre ancienne amitié, qui avoit esté fort estroite. Mais pour la renoüer fortement, il me confia le dessein qu'il a de vous servir : et je luy dis aussi qui estoit mon Maistre, et ce qu'il m'avoit chargé en mourant de vous venir dire. De sorte que nous excitant l'un l'autre dans le dessein de reparer les fautes que nous avions faites contre vous, en taschant de vous rendre quelque service considerable ; nous fusmes nous promener ensemble à l'entour du Fort. Mais Seigneur, en nous y promenant, nous remarquasmes que l'endroit par où p. 515il n'est pas encore entierement achevé, est si facile à surprendre, qu'avec cinq cens hommes seulement, on s'en peut rendre Maistre : si bien que souhaitant alors ardamment que vous eussiez passé l'Araxe pour pouvoir former cette Entreprise, nous creûmes faire des souhaits inutiles, parce que nous ne sçavions pas encore que vous l'eussiez passé. Mais Seigneur, nous sçeusmes bien tost par le retour de Thomiris, et par Aryante qui revint blessé, que vous estiez plus prés de nous que nous ne pensions. Si bien que cét Escuyer d'Andramite et moy, regardant alors la chose que nous avions imaginée, comme une chose possible, nous l'examinasmes aveque soin : et pour faciliter nostre dessein, Thomiris partant de là, et Aryante aussi, Andramite laissa heureusement pour nous cét Escuyer dans ce Fort, par les ordres d'Aryante : avec commandement d'aller les advertir quand il seroit achevé : et il l'y laissa mesme avec quelque authorité sur les Travailleurs : car comme cét Homme s'intriguoit autant qu'il pouvoit, pour faire reüssir le dessein que nous avions formé, il persuada à son Maistre qu'il avoit autre fois servy le Prince de Cumes aux Fortifications de sa Ville, et qu'il s'y entendoit extremement. Or Seigneur, depuis le départ de Thomiris et d'Aryante, cét Escuyer et moy ayant consideré l'assiette des lieux et l'estat present de la Place ; nous avons resolu que je viendrois vous advertir que si vous voulez diligemment envoyer p. 516cinq cens hommes, par un chemin qu'un Guide que j'ay pris m'a fait prendre, vous surprendrez le Fort, et vous en serez bientost Maistre : mais Seigneur, ce dessein veut de la diligence, car on dit que des que Thomiris sera retournée aux Tentes Royales, et qu'elle aura donné quelque ordre à la seureté de la Princesse Mandane, et au despart d'Araminte, qu'elle doit renvoyer à Arsamone, dés que les deux Princesses qu'il baille en Ostage seront arrivées, elle reviendra avec toute son Armée, afin de s'emparer des Passages qu'elle a reconnus : et de vous engager à la combatre en un Poste desavantageux pour vous : c'est pourquoy Seigneur, il faut se haster : et il ne faut pas mesme plus de Gens que ce que je vous en demande, de peur que si on separoit un plus grand Corps de vostre Armée, ceux du Fort n'en fussent advertis. Vous me dittes tant de choses surprenantes (dit alors Cyrus, voyant que cét honme n'avoit plus rien à dire) que je ne sçay à laquelle respondre la premiere : je vous diray toutesfois que je pleins le pitoyable Destin du Roy de Pont ; que je louë la fidellité que vous avez euë pour luy ; et que je reconpenseray le zele que vous avez pour moy.