Partie 2 (voir le frontispice) – Livre troisième.
Gravure de la partie 2, livre 3.
Mais helas! il vit Policrite toute seule dans un petit Bateau sans Rames et sans Gouvernail; qui ne sçachant que faire, s'estoit mise à genoux pour prier les Dieux (Partie II, livre 3, p. 700-702)
Résumé de la séquence
Chrisante et Feraulas informent Artamene du sort de Mandane en lui communiquant les nouvelles apportées par Martesie. Celle-ci se rend ensuite auprès du roi pour lui donner des informations au sujet de la détention de sa fille. Ciaxare hésite à libérer Artamene, car il attend le retour d'un ambassadeur qui doit confirmer ou infirmer les bonnes intentions du roi d'Armenie, censé avoir donné asile au roi de Pont, ravisseur de Mandane. Pendant ce temps, le prince Artibie vient, de la part de Philoxipe, ami d'Artamene, offrir une troupe de dix mille hommes à Ciaxare. Son étonnement est grand, lorsqu'il apprend que le héros est en prison. Il obtient la permission de le voir, accompagné de Leontidas. Ce dernier transmet à Artamene une lettre de Philoxipe et revient le lendemain raconter au captif les aventures de son ami.
Lire toute la séquence ⬇Épisode 110 : Cyrus reçoit les nouvelles de Mandane – 3 min.
Depuis que le roi a donné l'autorisation à ses amis de rendre visite à Artamene, il est très difficile de voir l'illustre prisonnier seul. Chrisante et Feraulas parviennent cependant à lui rapporter le récit de Martesie, omettant toutefois l'épisode de l'oracle. Artamene ne sait que penser de la situation. Il redoute la vertu du roi de Pont, capable selon lui d'attendrir Mandane. D'un autre côté, sachant sa bien-aimée en Armenie, il est rassuré par la présence de son ami, le prince Tigrane. Par contre, le tempérament du roi son père l'inquiète.
Lire l'épisode ⬇p. 549Ces deux fidelles Serviteurs d'un illustre Maistre, ne peurent pourtant satisfaire l'envie qu'ils avoient, que le lendemain au matin : n'estant presque pas possible de pouvoir trouver Artamene seul, depuis que Ciaxare avoit donné la liberté de le voir, à moins que de prendre l'heure de son lever. Tout le monde vouloit joüir de ce privilege avec empressement : et tout le monde pour le faire durer davantage et pour gagner temps ; disoit à Ciaxare qu'Artamene commençoit de se laisser vaincre : et descouvriroit à la fin ce qu'il vouloit sçavoir. Ce genereux Prisonnier de son costé, mouroit d'impatience d'estre delivré, afin de pouvoir delivrer Mandane : Mais quoy que son amour occupast toute son ame, il n'oublia pas qu'Araspe estoit dans les fers aussi bien que luy : p. 550et il envoya plusieurs fois sçavoir de ses nouvelles ; et luy tesmoigner que sa prison augmentoit la rigueur de la sienne. Il fut pourtant extraordinairement soulagé, lors que Chrisante et Feraulas estant allez le trouver qu'il estoit encore au lict, luy eurent apris que Martesie estoit à Sinope. Je Nom de Martesie luy fit faire un cry de joye, s'imaginant que peut estre le Princesse n'en estoit elle pas fore soing : et le recit qu'ils luy firent en suite, des avantures de Mandane, et de sa fidelité pour luy ; fit un renversement si grand dans son ame, qu'il n'estoit pas capable de sentir avec tranquilité, le transport et le plaisir qu'une si aimable nouvelle luy donnoit. Car afin de ne le troubler point, et de le luy laisser gouster tout pur, Chrisante et Feraulas ne luy dirent pas l'Oracle que le Roy d'Assirie avoit reçeu à Babilone : bien est il vray qu'il trouva une autre voye de le moderer, par l'inquietude qu'il eut de sçavoir que la Princesse estoit en la puissance du Roy de Pont, de qui le rare merite luy estoit assez connu, N'admirez vous point Chrisante, disoit il en le regardant, le caprice de ma fortune, qui fait que j'ay pour Rivaux, les plus honnestes Gens du monde, et les plus raisonnables dans leur amour ? Car enfin si Mandane estoit aimée par de ces Princes de qui la passion est brutale jusques à la fureur ; et qui ne parlent que de violences, de fer, de feu, et de sang : qui se veulent faire aimer, par les mesmes voyes que l'on se peut faire haïr : qui n'ont que des sentimens coupables ; p. 551qui ne pretendent qu'à des faveurs criminelles : et qui ne les demandent que le poignard à la main, et la fureur dans les yeux : je ne devrois pas craindre que l'illustre Mandane les preferast à Artamene. Mais Chrisante, ce que vous venez de me dire, m'espouvante aveque raison : et de la façon dont vous m'avez raconté la chose, les Ravisseurs de Mandane me sont cent mille fois plus redoutables qu'ils ne me le seroient s'ils estoient moins raisonnables et moins soumis. Mais Seigneur, interrompit Feraulas, le Roy d'Assirie n'est pas aupres de Mandane : l'on vous a assuré que le Prince Mazare n'est plus : et elle est entre les mains d'un Roy sans Royaume. Il est vray, reprit il, mais ce Roy sans Couronne en merite cent : et c'est ce qui fait mon inquietude. Neantmoins il y avoit des momens, où il estoit bien aise de sçavoir que la Princesse estoit en Armenie : et d'autres aussi, où il en estoit bien fâché. Car si la vertu de Tigrane luy donnoit quelque consolation : l'humeur violente et ambitieuse du Roy d'Armenie son Pere, luy donnoit de la crainte et du chagrin. Feraulas s'aquita alors de la commission que Martesie luy avoit donnée, de faire ses compliments à Artamene, qui les reçeut si agreablement ; qu'il renvoya Feraulas à l'heure mesme vers elle, pour luy tesmoigner le regret qu'il avoit de n'estre pas en estat de luy aller dire luy mesme tout ce qu'il pensoit : et combien il se tenoit son p. 552obligé, de luy avoir fait sçavoir par luy, tous les sentimens de la Princesse. Il envoya aussi Chrisante vers les Princes qui s'interessoient en sa liberté, a fin de consulter avec eux, sur le retour de Martesie.
Épisode 111 : Ciaxare reçoit les nouvelles de Mandane – 2 min.
Martesie se rend auprès de Ciaxare, feignant d'être arrivée la veille à Sinope. Elle lui rapporte en détails les nouvelles de Mandane, sans mentionner toutefois l'oracle, ainsi que tout ce qui a trait à Artamene. Le roi reste dubitatif : il est heureux que le ravisseur de sa fille soit un roi dépossédé de son royaume et par conséquent très faible, mais il craint aussi que le roi d'Armenie ne saisisse cette occasion pour lui faire la guerre. Ciaxare pressent qu'il aura besoin d'Artamene. Il attend donc le retour de Megabise, envoyé en Armenie, pour décider du sort de son prisonnier. Si Mandane est détenue captive, il libérera son chef de guerre ; par contre, si elle est libérée, il aura moins d'indulgence envers Artamene.
Lire l'épisode ⬇Ils trouverent tous, que le plustost qu'elle pourroit voir le Roy seroit le meilleur : parce que la certitude qu'il auroit de la fortune de la Princesse ; et l'apparence presque infaillible d'une nouvelle guerre ; le seroient peut-estre plus facilement resoudre à delivrer Artamene. Chrisante donc n'ayant pas manqué d'advertir Martesie, elle parut dés le mesme soir : et feignit de ne faire que d'arriver à Sinope Le Roy la reçeut avec une joye extréme : et il en jetta des larmes de tendresse : car il n'ignoroit pas combien la Princesse sa Fille l'aimoit. Elle luy aprit les divers enlevemens de Mandane : et luy raconta toutes choses, à la reserve de ce qui regardoit Artamene, qu'elle cacha avec beaucoup de soing : ne le nommant pas seulement un fois en tout son recit. Elle ne luy par la pas non plus, de l'Oracle rendu à Babilone, de peur d'embarrasser son esprit, et de desplaire à Artamene : et comme le sien estoit adroit, elle passa delicatement sur toutes les choses qui pouvoient servir ou nuire. Ciaxare fut en quelque sorte consolé de sçavoir que c'estoit le Roy de Pont qui tenoit la Princesse en son pouvoir : s'imaginant qu'un Prince despoüillé de ses Estats, ne trouveroit pas tant de protection qu'un autre. Il creut bien pourtant, que le Roy d'Armenie seroit bien aise d'avoir p. 553un nouveau pretexte de guerre : et dans cette pensée il soupira : et ne pût s'empescher de souhaiter en secret, qu'Artamene le mist bientost en estat de le delivrer, en luy advoüant ce qu'il vouloit absolument aprendre de luy. Apres donc que ce Prince eut fort entretenu Martesie, il la voulut faire loger au Chasteau : mais elle le supplia de souffrir qu'elle s'en retournast chez son Parent, où en effet elle s'en alla : et où elle fut visitée de toutes les Dames de la Ville ; et de tout ce qu'il y avoit de Princes, et de personnes de qualité à Sinope. Cependant tous les Amis d'Artamene parloient continuellement au Roy en sa faveur : et le Roy tesmoignoit effectivement desirer de pouvoir rompre ses chaisnes : mais en mesme temps il paroissoit estre opiniastrément resolu, à vouloir sçavoir precisément, l'innocence ou le crime d'Artamene. Il y avoit aussi dans son coeur un sentiment confus, qui faisoit qu'il ne sçavoit pas luy mesme ce qu'il vouloit : car enfin si par le retour de Megabise qu'il avoit envoyé en Armenie, il aprenoit qu'on luy rendist sa Fille, il sentoit bien qu'il auroit moins d'indulgence pour Artamene : mais si au contraire on la luy refusoit, et qu'il falust recommencer une nouvelle guerre ; il connoissoit bien aussi, que la liberté d'Artamene, seroit necessaire pour celle de Mandane. Ainsi demeurant toujours irresolu, les Rois de Phrigie et d'Hircanie, et tous ces Princes qui luy parloient peut Artamene : ne pouvoient tirer de Ciaxare, p. 554une parole decisive.
Épisode 112 : L'arrivée des troupes de Philoxipe – 2 min.
Un jour, une armée étrangère, comptant dix mille hommes, arrive à Sinope. Le prince Philoxipe, favori du roi de Chypre et ami d'Artamene, a acquis ces troupes ciliciennes en mariant sa sœur Agariste au prince de Cilicie. Il tient à les offrir à Ciaxare afin de contribuer à la gloire d'Artamene. A la tête de ces troupes se trouve un jeune prince appelé Artibie, frère du prince de Cilicie, qui est étonné d'apprendre qu'Artamene est prisonnier de Ciaxare. Bien que le roi essaie de détourner la conversation, le jeune chef militaire parvient toujours à placer le nom d'Artamene.
Lire l'épisode ⬇Comme ils estoient un jour à l'entour de luy, on vint luy dire qu'il paroissoit des Troupes Estrangeres dans la Plaine, qui s'aprochoient de Sinope : et un moment apres, Thimocrate et Philocles entrerent ; et dirent au Roy que le Prince Philoxipe, Favory du Roy de Chipre leur Maistre et ancien Amy d'Artamene : ayant marié la Princesse Agariste sa Soeur, au Prince de Cilicie ; l'avoit obligé en l'espousant, d'envoyer dix mille hommes à Artamene, afin qu'il les presentast à sa Majesté : et qu'il leur fist la grace de souffrir qu'ils eussent quelque part à la gloire que toutes ses Troupes aquerroient, sous la conduite d'un si Grand Roy, et par la valeur d'un homme aussi extraordinaire comme estoit Artamene. Ciaxare rougit à ce discours : et eut quelque confusion de voir, que celuy qui luy devoit presenter les Troupes de Cilicie, estoit luy mesme en estat d'avoir besoin de la faveur d'autruy. Ce Prince reçeut pourtant tres civilement ce que Thimocrate et Philocles luy dirent ; et leur accorda la permission qu'ils luy demandoient, de faire entrer celuy qui commandoit ces Gens de guerre, qui estoit Frere du Prince de Cilicie. Ciaxare voulut mesme pour luy faire plus d'honneur, aller sur les Ramparts de la Ville, afin de voir arriver ces Troupes, qui se trouverent estre fort belles ; composées d'hommes bien faits, bien armez, et bien aguerris ; et le Prince qui les conduisoit, jeune et de fort bonne mine. Apres donc que le Roy eut veû passer les Troupes Ciliciennes p. 555au pied des Murailles, et qu'il eut ordonné qu'on les fist camper aupres de celles de Chipre, comme estant en amitié particuliere ensemble : le jeune Prince qui estoit leur Chef, apellé Artibie, fut conduit à Ciaxare par Thimocrate et par Philocles : qui luy dirent qu'Artamene n'estoit pas en estat de le presenter. Artibie en aprenant la cause, en fut un peu surpris : et douta mesme s'il devoit continuer de s'offrir à Ciaxare : sçachant bien que Philoxipe n'avoit obligé le Prince son Frere à envoyer ces Troupes, que pour favoriser Artamene. Mais Thimocrate et Philocles qui jugeoient bien qu'en cas de besoing elles pourroient estre utiles à Artamene ; luy dirent qu'il ne faloit pas laisser de les offrir au Roy : mais qu'en luy parlant, il ne faloit pas aussi qu'il manquast de s'aquiter de sa commission : et de luy tesmoigner que l'interest d'Artamene, estoit ce qui faisoit agir Philoxipe. En effet, ce jeune Prince ne fut pas plustost devant Ciaxare, qui l'avoit envoyé complimenter par Aglatidas et par Andramias, qu'apres l'avoir salüé ; Seigneur, luy dit il, j'avois esperé de vous estre presenté par une personne qui vous doit estre si chere, et qui s'est renduë si illustre par toute la Terre ; que j'ay eu besoing que Thimocrate et Philocles ayent aporté tous leurs soings à me consoler de la douleur que j'ay d'estre privé de cét avantage. Car enfin, quoy que le Prince de Cilicie mon Frere et mon Seigneur, et le Prince Philoxipe, m'ayent envoyé pour le p. 556service de vostre Majesté, et que je leur aye obei avec plaisir : je vous avouë qu'en mon particulier, j'avois eu une joye extréme, de pouvoir esperer d'aprendre sous l'illustre Artamene, un Mestier qu'il sçait si parfaitement. Vous trouverez tant d'autres Maistres dans cette Armée, dit le Roy, en luy monstrant tous ceux qui l'environnoient, que quand le bien de mes affaires ne me permettroit pas de delivrer Artamene, vous n'auriez pas sujet de vous repentir d'estre venu parmy nous. Seigneur, reprit le Roy de Phrigie, nous ne sommes tous que les Disciples d'Artamene ; et ce Prince a raison de regretter comme il fait, la privation d'un avantage infiniment grand. Comme ce discours ne plaisoit pas à Ciaxare, il le changea adroitement : et s'informa avec grand soing, de la santé du Roy de Chipre, de celle de Philoxipe, et du Prince de Cilicie. Mais quoy qu'il peust dire, Artibie en revenoit tousjours à Artamene. S'il luy parloit du Roy de Chipre, il luy disoit que ce Prince avoit toujours eu grande opinion de sa prudence, depuis qu'il avoit sçeu qu'il avoit donné la conduite de ses Armées à Artamene : S'il luy demandoit des nouvelles de Philoxipe, il luy disoit qu'il avoit eu envie de venir luy mesme commander à la place de Thimocrate, afin de pouvoir revoir Artamene : et s'il luy parloit du Prince de Cilicie, il luy disoit encore, qu'à moins que d'estre amoureux comme il l'estoit, de la Princesse sa femme qu'il venoit d'espouser ; il seroit venu p. 557luy mesme, pour connoistre cet Artamene dont il avoit tant entendu parler. Enfin Ciaxare voyant qu'il n'y avoit point de discours si esloigné, où le Nom d'Artamene ne trouvast sa place en la bouche d'Artibie ; luy dit qu'il estoit juste qu'il s'allast reposer ; et ordonna qu'on le logeast le mieux qu'on pourroit, et que l'on en eust tous les soings possibles.
Épisode 113 : La lettre de Philoxipe – 2 min.
Artibie obtient la permission de rendre visite à Artamene. Il se rend dans la prison du héros, accompagné par Leontidas, capitaine et ami de Philoxipe, qui transmet de la part de ce dernier une lettre à Artamene. Celui-ci paraît fort intrigué, car la lettre lui fait supposer que de grands changements sont survenus dans la vie de Philoxipe, lequel n'avait jamais connu l'amour. Leontidas revient le voir le lendemain afin de lui raconter la vie de Philoxipe.
Lire l'épisode ⬇Mais auparavant que de le quitter, Artibie luy demanda la permission d'aller du moins voir dans les fers, celuy qu'il avoit creû trouver à la teste d'une Armée ; ce que Ciaxare luy accorda. Il fut donc à l'heure mesme conduit par Aglatidas et par Andramias, et accompagné par Thimocrate et par Philocles, à la Prison d'Artamene : qui au seul Nom de Philoxipe, et de la Princesse Agariste sa Soeur, carressa extraordinairement Artibie. Ce Prince luy presenta un de ses Capitaines nommé Leontidas, qui estoit de Chipre, qu'Artamene avoit connu chez Philoxipe, dont il estoit Amy particulier : et que ce Prince avoit chargé en partant, de l'assurer de la continuation de son amitié, et de luy rendre une Lettre de sa part. Artamene l'ayant reçeuë avec joye (car il estimoit infiniment Philoxipe, quoy qu'il n'eust pas tardé fort long temps à l'Isle de Chipre) demanda permission à Artibie de la lire : et ayant obtenuë, il vit que cette Lettre estoit telle.
p. 558PHILOXIPE A ARTAMENE.
Je suis bien aise que la Fortune ait esté de mon advis : et qu'elle vous dit donné ce que je jugeay que vous meritiez, dés le premier jour que j'eus l'honneur de vous voir. Je souhaite que comme elle n'a pas esté aveugle en vous favorisant, elle ne soit pas non plus inconstante : et que vous puissiez, joüir toute vostre vie d'un bonheur que personne ne vaut sçaurait envier sans injustice. Au reste je n'ay marié la Princesse Agariste ma Soeur, qu'à condition que le Prince de Cilicie son Mary vous envoyeroit des Troupes : j'espere qu'en ma consideration, le Prince Artibie vous sera cher ; et qu'apres avoir aquis vostre estime par les rares qualitez qu'il possede, vous luy accorderez encore vostre amitié. Mais pour vous dire quelque chose d'agreable, afin de vous y obliger davantage ; sçachez que cét homme illustre, que vous vintes chercher dans nostre Isle, par le seul desir de connoistre sa vertu, est amoureux de la vostre : et que si le bien de sa Patrie ne l'eust r'apellé à Athenes, Solon eust fait pour Artamene ; ce qu'Artamene fit pour Solon. Si vous vous interessez encore en ma fortune, j'ay prié Leontidas de vous l'aprendre : et de vous assurer que je n'ay guere eu plus de passion pour la beauté de Policrite, que j'en ay pour la gloire d'Artamene.
PHILOXIPE.
p. 559Apres qu'Artamane eut achevé de lire, il renouvella les civilitez à Artibie : et luy monstrant la Lettre de Philoxipe, Vous voyez, luy dit il, que les souhaits de ce Prince n'ont pas esté exancez, et que la Fortune dont il parle m'a abandonné : Mais, poursuivit il se tournant vers Leontidas, c'est de vous qui je dois recevoir beaucoup de consolation à mes maux : en m'aprenant du moins, ce qui regarde le Prince Philoxipe. Car enfin, si ma memoire ne me trompe, il faut qu'il soit arrivé un grand changement en luy : s'il est vray qu'il ait aimé, comme il le paroist par sa Lettre : puis que dans le temps que je l'ay connu, il n'aimoit que les Livres, la Peinture, la Musique, et tous les autres beaux Arts : et que s'il avoit une Maistresse, c'estoit sans doute la vertu de Solon, dont je luy entendois parler continuellement. Ha ! Seigneur, reprit Leontidas, il est en effet arrivé bien des changemens en la vie du Prince Philoxipe ; et qui vous surprendront sans doute autant, qu'ils ont surpris non seulement toute la Cour, mais tout le Royaume de Chipre : estant certain que je ne pense pas qu'il y ait une personne en toutes les Villes de Paphos, d'Amathuse, de Salamis, et de Cithere, qui n'ait eu de l'estonnement de cette avanture. Artamene ayant alors tesmoigné une extréme envie d'aprendre la fortune d'un Prince si illustre : Leontidas luy promit de venir le lendemain au matin satisfaire sa curiosité ; et en effet le reste du jour s'estant passé en p. 560civilitez avec Artibie, ou à donner les ordres necessaires à leurs Troupes, apres qu'ils surent sortis de la Prison d'Artamene : le jour suivant Thimocrate et Philocles qui vouloient aussi aprendre ce qui estoit arrivé dans la Cour de Chipre depuis leur départ ; menerent Leontidas à Artamene : qui pour ne perdre point de temps, le fit assoir au milieu d'eux ; et l'obligea de commencer son discours en cette sorte.